Zeynab Alshelh, une Australienne de 23 ans, a affirmé avoir été chassée d’une plage de Villeneuve-Loubet pour avoir porté un burkini. En effet, le maire de la ville a pris un arrêté anti-burkini interdisant la baignade à toute personne ne respectant pas le principe de laïcité. Le juge des référés du Conseil d’État a rendu son ordonnance en considérant que cet arrêté constituait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et de venir, de conscience et de liberté personnelle.
Ces libertés constituent les fondements essentiels d’une société démocratique. Elles constituent aussi et surtout des conditions primordiales de l’épanouissement de chacun. Elles valent sous réserve de l’ordre public non seulement pour des considérations accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique.
Le burkini à l’encontre du principe de laïcité ?
Rappelons tout d’abord que le principe de laïcité consiste à séparer le pouvoir politique du pouvoir religieux. Ce principe a été affirmé pour la toute première fois en France lors de la Révolution de 1789 en indiquant que l’État garantissait la liberté de culte.
Depuis cette affirmation, la laïcité est souvent remise en question. De facto, une question se pose de manière récurrente aujourd’hui : la laïcité est-elle un instrument de combat contre les religions ? La réponse qui pourrait être donnée suppose que la laïcité consiste à empêcher l’influence des religions, quelles qu’elles soient, dans l’exercice du pouvoir politique et administratif. C’est en effet pour cela que l’État et l’Église ont été séparés par la loi du 9 décembre 1905.
Il faut cependant distinguer laïcité et neutralité. L’article 1 de la loi de 1905 assure que la République « garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées […] dans l’intérêt de l’ordre public ». Le port du burkini porte-t-il atteinte à l’intérêt de l’ordre public ? Dans l’espace public comme la rue, les transports en commun ou encore les centres commerciaux, toute personne a le droit de porter un signe religieux. Cependant, depuis la loi de 2010, il est interdit de « porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Le port du burkini, n’empêchant pas la visibilité du visage de la personne, ne constitue ni une atteinte au principe de laïcité, ni une atteinte à l’intérêt de l’ordre public.
L’atteinte au principe de laïcité n’a pas été retenue par le Conseil d’État. Aussi, ce dernier a-t-il jugé que la mesure de police du maire devait être justifiée et proportionnée au regard des seules nécessités de l’ordre public.
Une mesure d’interdiction du burkini non justifiée
La justification des arrêts anti-burkini réside dans le fait que les mesures prises par les autorités pour préserver l’ordre public doivent répondre à un besoin social impérieux. En effet, pour que la mesure d’interdiction soit justifiée, il aurait fallu que le port du burkini porte atteinte à la sécurité, la salubrité, la moralité publique ou au respect de la dignité humaine.
En l’espèce, le maire ne fonde son interdiction sur aucune de ces composantes de l’ordre public. Le Conseil d’État a estimé qu’il fallait la preuve d’un trouble matériel qui serait constitué d’interventions des forces de l’ordre par exemple, ou de rixes autour du burkini. La défense de la commune de Villeneuve-Loubet n’ayant pas été en mesure de fournir de preuve matérielle, aucun trouble public réel n’a été constaté. De facto, la mesure prise s’en trouve disproportionnée.
Une proportionnalité jugée absente par le Conseil d’État
La dialectique de l’ordre public et des libertés traverse la pensée juridique depuis le XVIIIe siècle et se pose avec acuité depuis la montée en puissance du terrorisme. La multiplication des mesures visant à répondre à cette évolution de fait suscitent des interrogations quant à la protection des libertés.
Ainsi, dans le cadre de son office, il appartient au maire de mettre en équilibre le maintien de l’ordre public avec le respect des libertés. A cet effet, il lui appartient de mettre en balance ces deux intérêts pour éviter toute disproportion manifeste. Cette analyse n’ayant pas été prise en compte par le maire, le Conseil d’État a jugé que l’arrêté contesté a porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales.
Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé dans l’affaire Ahmet Arslan et a. Turquie, en date du 23 février 2010, que la liberté de religion, qui implique la liberté de la manifester, protège le port de vêtements particuliers exprimant une appartenance religieuse dans les lieux publics ouverts à tous. Cette affaire était relative aux membres d’un groupe religieux possédant une tenue faite d’un turban, d’un sarouel, d’une tunique et d’un bâton. La Cour conclut que la nécessité de la restriction n’était pas établie de façon convaincante par la Turquie, dans la mesure où rien n’indiquait que les requérants aient représenté par le port de leurs vêtements une menace pour l’ordre public ou qu’ils aient fait acte de prosélytisme.
Ce qui inspire la démarche des deux juridictions est sans doute la conception commune de l’atteinte à l’ordre public et le commun respect des droits de l’Homme comme piliers de la paix sociale et de la justice.
Kouassi Dogou
Jean-François Alban
et Lola Perez
Pour en savoir plus :
Conseil d’État, Ordonnance du 26 août 2016, Ligue des droits de l’Homme et autres – association de défense des droits de l’Homme collectif contre l’islamophobie en France, n°402742 et 402777
Cour EDH, 8 juillet 1999, Ceylan c. Turquie, req. n°23556/94 par. 32
Cour EDH, 25 mai 1993, Kokkinakis c. Grèce req. n°14 307/88 par.31
Le Monde, 26 août 2016 : Le Conseil d’État met un terme aux arrêtés « anti-burkini »