Rencontre avec Me Juglar, Avocat à la Cour, ancien 7ème Secrétaire de la Conférence du Barreau de Paris de la promotion 2015. Retour sur sa passion pour l’éloquence, sa vocation pour l’avocature et le handicap dans la profession.
Si vous deviez nous définir l’éloquence en quelques mots, que diriez-vous ?
Je dirai d’abord que c’est de la clarté et de la spontanéité. Je pourrais aussi prendre l’expression de Christian Charrière-Bournazel qui dit que c’est utiliser le beau pour exprimer le vrai. L’éloquence est une arme formidable, parce que tout le monde n’en est pas pourvu de la même façon, tout le monde n’a pas le même style. C’est une arme qui s’adresse à l’intelligence première de l’auditeur. Mais, c’est aussi un danger car l’éloquence se pratique à deux : il y a un locuteur et un auditeur. Si l’auditeur n’est pas bien disposé le jour où le locuteur parle, alors ce dernier se retrouve tout seul, et cela ne fonctionne plus.
Selon vous, quelles seraient les qualités d’un bon plaideur ?
C’est probablement tout d’abord avoir un bon esprit de synthèse, ensuite avoir un bon style rédactionnel et des références, et, enfin, être à l’écoute. Aujourd’hui, on ne peut pas tout prévoir à l’avance, il y aura toujours un moment, surtout en défense, où l’on devra répondre. La plaidoirie, écrite à l’avance, préparée, mâchée, devient un discours et perd alors de sa spontanéité et sa force de conviction. Il y a des situations devant le tribunal correctionnel ou devant le juge des libertés et de la détention où il faut plaider sans préparation.
Vous avez eu vos premières assises il y a peu de temps, comment s’y prépare-t-on ?
D’abord, c’est un effet terrifiant, parce que l’on se retrouve devant une des juridictions les plus solennelles, celle qui représente le peuple français avec dans la balance un résultat qui peut être très lourd pour toutes les parties, on parle de vingt ans de prison voire de la perpétuité.
Deux dangers guettent la plaidoirie : l’écriture et le PowerPoint, issu de la pratique des avocats-conseils. Tout le problème réside dans le fait que les conférenciers lisent et ajoutent quelques vagues commentaires. Ils estiment que l’écrit remplace l’oral. L’écrit ne remplace pas l’oral, il le complète. Le message oral est fondamental ! Je suis persuadé que l’on peut faire passer un message beaucoup plus important en dix ou vingt minutes de plaidoirie qu’en cent pages écrites.
Avec l’oral on transmet une vie, un sentiment. Et même si en droit commercial, le client est souvent absent, il faut, par ses mots, lui donner corps.
La conférence du Barreau de Paris vous-a-t-elle fait progresser dans votre pratique du droit pénal ?
Oui, la conférence du barreau de Paris, en elle même, m’a aidée. Seulement, ce n’est pas par le seul fait d’être secrétaire de la conférence du barreau de Paris que l’on progresse en droit pénal. On apprend de ses confrères, des juges comme tous praticiens quelque peu solitaire. La Conférence à ceci de magique qu’elle donne accès, dès le début d’une carrière, à des dossiers inaccessibles autrement. C’est en cela qu’elle fait progresser.
L’apport majeur de la conférence réside dans l’exercice de l’improvisation. Ce qui est assez paradoxal d’ailleurs car les discours de la conférence sont des discours très policés, peut être presque trop, car ils sont rédigés par avance. Or, quand on commence ses premières plaidoiries, il n’y a pas de préparation : il faut plaider après avoir pris connaissance de quelques éléments du dossier.
Il est très difficile d’être éloquent lorsque l’on est sur un siège, dans un bureau. On perd tous ses repères. Ce sont des plaidoiries très techniques, peu gagnent, beaucoup perdent.
Pensez-vous que plaider s’apprend ?
Plaider se découvre et s’apprend. On découvre effectivement son talent mais on doit le perfectionner auprès de grands maîtres ou lors des joutes oratoires. Il y a une part d’apprentissage ne serait-ce que dans la façon de présenter son discours. Malheureusement, chez beaucoup de monde, la timidité, le manque d’envie resteront des obstacles. Je connais des confrères qui sont d’excellents avocats mais qui sont incapables de plaider. On peut être très bon avocat et ne jamais plaider de sa vie !
Quel a été votre plaidoirie la plus marquante ?
En ce qui me concerne, c’est ma plaidoirie d’assises. Plaider trente minutes sans notes avec pour impératif de captiver l’attention du jury, on sort d’un tel événement complètement marqué.
La plaidoirie que j’ai entendue qui m’a le plus marquée c’est celle de Me Jean Louis Tixier-Vignancour pour le général Salan[1]. C’est une plaidoirie magnifique, un chef d’œuvre d’éloquence. Une plaidoirie victorieuse : éviter la peine capitale. Technique sans être ennuyeuse, elle n’est pas revendicatrice, ni revendicative. Elle traduit tout le mal être de cette époque, tout le malheur de l’accusé.
Pour vous, quel est le plus grand procès de l’histoire ?
Cela dépend des époques. L’un des plus grands procès de l’histoire, mais pas par son résultat, c’est celui de Louis XVI. C’est une véritable honte pour la France. Je crois véritablement que c’est un procès absurde : c’est un nouvel Etat qui juge son prédécesseur. Un tel sentiment de supériorité est extrêmement gênant. Ce moment de l’histoire met en lumière un pouvoir législatif qui se constitue en pouvoir judiciaire, illustration des excès vers lesquels on est prêt à aller au nom d’une idéologie.
Je pense que l’un des grands procès de ces 100 dernières années c’est le procès Dils. Cet enfant de 16 ans est accusé, en 1986, de l’assassinat de 2 petits garçons. Il va être condamné. Il faut imaginer que ce garçon passe en cour d’assises à l’âge de 18 ans. Condamné à une très grosse peine, il ne peut faire appel car, à l’époque, la cour d’assises jugeait en premier et dernier ressort. Plus tard, son avocat déposa un recours en révision. La cour de révision accepta de faire rejuger l’affaire. On est au début du XXI siècle. Jugé à nouveau, il est de nouveau condamné. C’est finalement la cour d’assises d’appel qui acquittera Patrick Dills. Cette saga judiciaire illustre tout notre malaise face à l’intime conviction et en fait, pour cela, un des plus grands procès.
Il y a aussi évidemment l’affaire Patrick Henri dans laquelle Badinter s’est illustré.
En parlant de Badinter, savez-vous pourquoi il n’a pas voulu défendre Philippe Maurice, le dernier condamné à mort gracié ?
On ignore toutes les circonstances qui poussent un avocat à agir ou refuser d’agir. Il n’a jamais l’obligation d’accepter un client, c’est d’ailleurs une des beautés de ce métier. Cela peut aller d’une affaire aussi sordide que celle des honoraires à une mauvaise entente entre l’avocat et son client.
Les concours de plaidoirie sont-ils utiles ?
Ils sont essentiels à la formation, du moins pour devenir plaideur. En ce qui concerne la conférence du Barreau de Paris, il me semble qu’elle est même essentielle pour la formation d’avocat en elle-même. Je pense vraiment qu’aujourd’hui il faut pouvoir se préparer à passer devant des magistrats qui exigent de plus en plus une qualité, de la finesse d’analyse.
Ces concours portent le qualificatif de « concours d’éloquence » seulement c’est un raccourci ! Ce sont des concours de réflexion. L’éloquence sans le fond n’est rien. Bien parler mais présenter une thèse creuse n’intéresse personne. Le travail d’un avocat consiste à offrir une vision différente du dossier. Mon père de conférence, Alexandre Silva, m’a dit ceci : « mon fils, la conférence n’est pas tellement de dire les choses bien, elle est de les dire différemment des autres. »
Vous avez touché au droit pénal, droit commercial, droit de la propriété intellectuelle. L’art oratoire a-t-il une importance équivalente dans tous les procès aussi bien pour un contentieux pénal que pour un contentieux portant sur la propriété intellectuelle ?
Dans le contentieux pénal, on plaide corps présent. Cela change beaucoup. Cela ajoute un côté spectaculaire dans la justice. Le client est dans l’expectative.
Dans un contentieux civil ou commercial on est plus réservé et peut être à tort. Quand on plaide devant un juge civil, il faut savoir lui faire oublier le temps sans qu’il s’endorme. Pour avoir plaidé au civil, les juges n’ont pas forcément une oreille bienveillante.
La technicité du contentieux commercial peut-elle enlever tout spectaculaire dans la prise de parole ?
D’une certaine manière oui, car on parle de chiffres. C’est quelque chose qui est assez rétif à l’expression orale. Seulement, il y a toujours un moment où on parle des hommes. Là réside toute la complexité de ce contentieux : derrière le chiffre trouver l’homme. Quand on parle d’un contrat de vente d’avion que l’on veut résoudre il y a des espoirs déçus, la souffrance des gens qui l’espèrent. Il faut intéresser un juge à une histoire.
Vous avez exercé au sein de cabinets internationaux : Ernst & Young, Clifford Chance. Est-ce qu’il y a une approche différente de la plaidoirie selon les nationalités ?
Tout va dépendre de la culture. La plaidoirie est assez gréco-latine. Je pense que l’on ne plaide pas de la même façon quand on est anglais ou français. On adopte une approche différente du droit, de la procédure. Le souci de justice est le même, mais la technique de plaidoirie n’est pas la même.
L’avocat américain participe bien plus que l’avocat français au procès. Il est soumis à chaque fois à un contre interrogatoire : le cross examination. En France, ce procédé ne se retrouve pas réellement car le juge, tel un inquisiteur, dirige le débat.
Le juge américain à un rôle beaucoup plus retranché : il doit statuer sur les objections. C’est un juge qui apparaît moins puissant. Il faut imaginer qu’en cours d’assises celui qui dirige l’audience c’est le juge. A partir du moment où il n’a pas eu recourt à un élément du dossier, on ne peut pas débattre dessus. Aux USA, la procédure est encore plus orale car on peut faire lire une pièce par un témoin, il existe le système des objections, mentir à la barre est extrêmement grave.
J’étais un jour dans un cabinet d’instruction et le juge a disserté sur le rapport à la vérité entre français et anglais. Nous avons dans nos traditions historiques l’Eglise qui peut pardonner, confesser un mensonge. De ce fait, le mensonge perd de sa gravité. Pour un anglo-américain qui est protestant, il n’y a pas de réparation ni de pardon possible. La seule explication aura lieu avec dieu au moment du jugement dernier. Cela change totalement le rapport à la vérité.
Matthieu, vous êtes malvoyant, comment avez-vous réussi un parcours aussi brillant sans avoir pu étudier le droit par un apprentissage visuel ?
Je lisais assez peu d’ouvrages de droit, je m’en tirais avec mes notes. Je parvenais à retenir, miracle de l’ouïe et de l’oral, la synthèse délivrée par les professeurs dans les différentes matières et cela me suffisait pour réussir mes examens. Je me suis vraiment mis à lire des livres juridiques lorsque j’étais en Angleterre en DEA (ndlr. Master 2) et aujourd’hui encore.
Je suis de la génération qui a découvert internet. On avait perçu toute la puissance des nouvelles technologies déjà à l’époque car c’est grâce à la numérisation rendue plus simple que j’ai pu lire de nombreux livres. De plus, les fonds documentaires que l’on a aujourd’hui ont été progressivement numérisés.
Vous dites au sujet des non-voyants : « Je suis opposé à toute idée de quota ou de discrimination positive, considérant qu’il n’est pas question, par exemple, de « forcer la main » d’un employeur ! ». Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous adoptez cette position ?
Dès lors que j’ai passé mon bac je me suis écarté de ce milieu de déficient visuel, un milieu qui est particulier qui compte des gens brillantissimes. D’ailleurs, à Nanterre, vous avez un Maître de conférence aveugle, M. Boujeka, qui enseigne le Droit de l’Union européenne. C’est une personne incroyable : intelligente, excellent juriste mais qui est peu à peu sorti de ce milieu de déficient visuel. Parmi les quelques gens brillants, il y en a d’autres qui n’essayent même pas de s’en sortir. Ainsi, je suis opposé à toute idée de quotas en faveur des déficients visuels.
Il faut arrêter avec cette nécessité de recruter des gens parce qu’ils sont noirs, handicapés… C’est insupportable. Je suis très dubitatif. Quand j’ai passé la conférence on ne m’a pas élu parce que j’étais aveugle. Pareillement, je n’ai pas élu ma fille de conférence parce que c’est une fille. On n’élit pas les gens pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’ils ont fait.
Donc le handicap ne doit pas être une limite c’est cela ?
Les quotas partent d’une très bonne intention : garantir l’accès pour les handicapés à des emplois salariés afin d’enrayer le très fort taux de chômage qui les frappent car certains employeurs sont rebutés. Seulement, il y a des gens qui ne font pas d’efforts pour se faire recruter. Je crois que quand on est handicapé on doit arriver avec sa solution. L’employeur ne connaît rien et n’a pas à connaître. Si le candidat est dans l’impossibilité d’apporter une solution, je doute qu’il soit capable de se débrouiller seul au quotidien.
Vous êtes un chanteur accompli comme en atteste votre prestation lors du concert de la Maison du Barreau de Paris[2]. Le chant est-il un des meilleurs moyens de maîtriser sa voix et exceller ainsi dans l’art oratoire ?
Le chant n’est pas le meilleur moyen d’exceller dans l’art oratoire mais est évidemment un atout pour la plaidoirie. La voix peut aider à mettre en valeur le fond. Le chant est une arme formidable permettant d’acquérir une maîtrise vocale car la voix est sollicitée dans des fréquences qui ne lui sont pas familières, il permet de maîtriser sa respiration, confère une endurance importante lorsqu’il s’agit de tenir sur de grandes distances (aux assises, lors d’un discours).
Est-ce que vous – auriez un conseil particulier pour les étudiants qui voudraient progresser dans l’art oratoire ?
D’abord : écouter. Ecouter du beau français, des pièces de théâtre enregistrées, aller au théâtre. Ensuite : lire, des classiques, par exemple. Cette lecture permet d’acquérir de l’esprit qu’il faut avoir très aiguisé lorsqu’il s’agit de réparti. Quand vous aurez lu tous les grands du XVIIème, XVIIIème, XIXème, les tragédies grecques dans le texte, alors vous pourrez vous intéresser à la plaidoirie d’avocat.
Inspirez-vous de certaines plaidoiries que l’on peut retrouver transposées à l’écrit comme celles de Tronchet ou Isorni qui ont été reproduites dans le livre d’Yves OZANAM.
Un petit mot pour la fin ?
Il est essentiel, aujourd’hui, de ne pas perdre le sens de la parole. Alors que nous écrivons de plus en plus par les mails, Facebook, Twitter, il faut continuer de parler. L’écrit et l’oral sont deux choses qui se complètent mais sont fondamentalement différentes. Quand on le perd de vue nous perdons un coté de notre schizophrénie.
Arthur ROUYER
Président honoraire Lysias Paris 10 – Nanterre
Vice-Lauréat L1 Conférence Nationale Lysias 2011
Pierre ZIENTARA
Vice-Président – Chargé de la Promotion Lysias Paris 10 – Nanterre
Lauréat L1 Conférence Nationale Lysias 2015
[1] https://www.youtube.com/watch?v=Y_eHs7aVdx4
[2] https://www.youtube.com/watch?v=yQkHOH2DvWw