Internet est un outil technique aussi bénéfique que néfaste pour le droit d’auteur. Bénéfique parce qu’il permet de promouvoir et de diffuser des œuvres presque sans aucune limite. En ce sens, il facilite indéniablement l’accès à la culture. Mais Internet constitue également une véritable menace pour les auteurs. L’absence de contrôle et de régulation des échanges en fait un terrain propice aux activités de contrefaçon. A ce titre, il convient de s’intéresser à la relation entre droit d’auteur et P2P d’une part (I) et à la relation entre droit d’auteur et streaming d’autre part (II).
I. Conséquences juridiques du téléchargement d’œuvres protégées par le droit d’auteur (également appelé P2P)
Le pair-à-pair (peer-to-peer en anglais, le plus souvent abrégé P2P) est un modèle de communication libre qui permet à deux ordinateurs connectés à Internet d’échanger directement des fichiers entre eux, sans avoir à passer par un serveur central. Dans la très grande majorité des cas, le P2P est contrefaisant puisque les fichiers échangés contiennent des œuvres protégées par le droit d’auteur: œuvres musicales ou œuvres audiovisuelles. A ce titre, la responsabilité de l’utilisateur d’un logiciel de P2P peut être engagée (A). Il en est de même pour la responsabilité de l’éditeur de ce logiciel (B).
A. Responsabilité juridique de l’utilisateur d’un logiciel de P2P
Actuellement, l’internaute qui se livre à des échanges d’œuvres protégées par le droit d’auteur par l’intermédiaire d’un logiciel de P2P peut voir sa responsabilité engagée pour contrefaçon. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Il faut distinguer la situation antérieure à l’entrée en vigueur de la loi n°2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée (1) de la situation actuelle (2).
1. La situation antérieure à l’entrée en vigueur de loi n°2011-1898 du 20 décembre 2011
Dans un premier temps, la jurisprudence a considéré que l’utilisation d’un logiciel de P2P constituait une contrefaçon lorsque le téléchargement était immédiatement suivi d’une remise en ligne du fichier téléchargé. Autrement dit, le P2P n’était pas considéré comme contrefaisant en lui-même, mais en ce qu’il permettait la rediffusion d’un fichier téléchargé à l’ensemble des internautes.
Ce raisonnement trouvait son fondement dans l’exception de copie privée prévue par l’article L. 122-5 2° du Code de la propriété intellectuelle (CPI). Dans sa rédaction ultérieure, l’article disposait: « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire: 2° Les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ». En d’autres termes, la copie autorisée était celle réalisée en un nombre réduit d’exemplaires, strictement destinée à l’usage privé de celui qui a réalisé la copie. Ainsi, dans l’hypothèse où l’internaute téléchargeait un fichier uniquement pour son usage personnel, l’utilisation d’un logiciel de P2P n’était pas contrefaisante. Un jugement du tribunal de grande instance de Bayonne du 15 novembre 2005 illustre d’ailleurs clairement la distinction entre utilisation licite et utilisation illicite d’un logiciel de P2P. Dans sa décision, le juge a très nettement dissocié l’acte de téléchargement (downloading) de l’acte de remise en ligne du fichier téléchargé (uploading) et a ainsi considéré qu’ « en stockant sur le disque dur de son ordinateur des morceaux de musique, ou en les gravant sur les CD ROM, [l’internaute] n’a fait qu’user de son droit d’établir une copie pour son usage personnel ».
2. La situation depuis l’entrée en vigueur de loi n°2011-1898 du 20 décembre 2011
La solution permettant à l’utilisateur d’un logiciel de P2P d’invoquer l’exception de copie privée a par la suite été mise à mal par le législateur. En effet, la loi n°2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée a modifié le CPI en introduisant l’exigence de source licite de la copie privée. Désormais, l’article L 122-5 2°, dans sa nouvelle rédaction, dispose: « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire: 2° Les copies ou reproductions réalisées à partir d’une source licite et strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ». Autrement dit, le fait de télécharger un fichier qui contient une œuvre protégée est dorénavant susceptible d’engager la responsabilité de l’internaute, quand bien même le téléchargement est strictement réservé à son usage personnel et ne serait suivi d’aucune remise en ligne. Pour invoquer l’exception de copie privée et s’exonérer de sa responsabilité, l’internaute doit désormais démontrer que le fichier qu’il a téléchargé provient d’une source licite. Mais rapporter une telle preuve relève de l’impossible en pratique puisqu’il est extrêmement difficile d’identifier la personne qui a mis en ligne l’œuvre protégée.
B. Responsabilité juridique de l’éditeur d’un logiciel de P2P
L’utilisateur d’un logiciel de P2P n’est pas le seul à être susceptible de voir sa responsabilité engagée. En effet, la loi n°2006-961 du 1er aout 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (plus communément appelée loi DADVSI) a introduit une nouvelle disposition dans le CPI qui permet également d’engager la responsabilité de l’éditeur d’un logiciel de P2P. Désormais, l’article L 335-2-1 1° dispose: « Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende le fait: 1° d’éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres ou d’objets protégés ». Il est clair que les logiciels de P2P entrent dans le champ d’application de la disposition. Cependant, tous les éditeurs de logiciels de P2P ne seront pas automatiquement condamnés. Il revient au juge d’établir dans quelle mesure le logiciel tend à favoriser la contrefaçon. Pour s’exonérer de sa responsabilité, il appartient alors à l’éditeur du logiciel de P2P de démontrer que l’utilisation du logiciel n’a pas pour finalité manifeste d’encourager la contrefaçon. Autrement dit, que la majorité des échanges effectués par l’intermédiaire du logiciel sont licites, c’est-à-dire que les échanges se font en vertu d’une autorisation préalable de mise à disposition des œuvres protégées accordée par les titulaires des droits patrimoniaux sur les œuvres.
II. Conséquences juridiques de la diffusion d’œuvres protégées par flux (également appelé streaming)
Le streaming est un modèle de diffusion par flux, en continu. Contrairement au P2P, le streaming permet à un internaute de visionner des films ou d’écouter des morceaux de musique sans avoir à les télécharger sur son disque dur. Comme en matière de P2P, se pose la question de la responsabilité juridique de l’utilisateur du logiciel de streaming (A) et de l’éditeur du logiciel (B).
A. Responsabilité juridique de l’utilisateur d’un logiciel de streaming
Dans le cadre du streaming, les données ne sont pas stockées de manière permanente sur le disque dur, mais seulement de manière provisoire dans la mémoire vive de l’ordinateur. De ce fait, l’internaute qui visionne un film en streaming se situe dans une situation bien différente de celui qui a eu recours à un logiciel de P2P. Par conséquent, il peut bénéficier de l’exception de l’article L. 122-5 6° du CPI qui dispose: « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire: 6° La reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu’elle est une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et qu’elle a pour unique objet de permettre l’utilisation licite de l’œuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d’un réseau faisant appel à un intermédiaire ». Autrement dit, l’utilisateur d’un logiciel de streaming ne peut pas voir sa responsabilité engagée.
B. Responsabilité juridique de l’éditeur d’un logiciel de streaming
La situation est différente pour l’éditeur du logiciel de streaming. Deux dispositions du CPI sont applicables en la matière. Il s’agit des articles L. 335-2-1 1° et L. 335-4 du CPI.
Premièrement, comme nous l’avons vu précédemment, l’article L. 335-2-1 1° permet d’engager la responsabilité d’un éditeur d’un « logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres ou d’objets protégés ». Tout comme le logiciel de P2P, le logiciel de streaming est clairement visé par l’article L. 335-2-1 1°.
Par ailleurs, la diffusion d’œuvres protégées en streaming correspond à leur mise à disposition au public. Plus précisément à un acte de représentation. Conformément aux principes fondamentaux du droit d’auteur, cela nécessite l’autorisation du titulaire des droits patrimoniaux sur les œuvres diffusées. En ce sens, l’article L 335-4 alinéa 1 du CPI dispose: « Est punie de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende toute […] mise à disposition du public, à titre onéreux ou gratuit, […] d’une prestation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme, réalisée sans l’autorisation, lorsqu’elle est exigée, de l’artiste-interprète, du producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes ou de l’entreprise de communication audiovisuelle ». Ainsi, dans une décision rendue le 13 juillet 2007, le tribunal de grande instance de Paris a jugé: « constitue une atteints aux droits patrimoniaux sur une œuvre cinématographique, la diffusion de celle-ci en streaming sur un site internet sans autorisation du titulaire des droits patrimoniaux ». De même, dans un arrêt du 25 septembre 2012, la Cour de cassation a confirmé la condamnation du site de streaming Radioblog, soulignant que « tout service de communication au public en ligne d’œuvres protégées, sans avoir obtenu les autorisations requises et toute mise à disposition d’un logiciel ayant cette finalité, entrent dans les prévisions des articles L. 335-4 et L. 335-2-1 du code de la propriété intellectuelle ». Pour s’exonérer de sa responsabilité, il appartient à l’éditeur du logiciel de streaming de démontrer que l’utilisation du logiciel ne permet pas manifestement l’échange non autorisé d’œuvres protégées. Il doit également rapporter la preuve qu’elle a obtenu l’autorisation des titulaires des droits patrimoniaux sur les œuvres protégés de diffuser ces œuvres.
A titre d’exemple, la société américaine Netflix a négocié plusieurs autorisations de mise à disposition d’œuvres protégées avec des sociétés de gestion et de répartition des droits d’auteur avant son lancement en France le 15 septembre dernier (SACD, ADAGP et la SACEM). Netflix propose donc des œuvres dont la mise à disposition a préalablement été autorisée par les titulaires de droits patrimoniaux (producteur ou distributeur) en contrepartie d’un prix permettant une rémunération des auteurs de ces œuvres. Le système se révèle ainsi en adéquation avec le droit d’auteur.
Pour en savoir plus:
- TGI Bayonne, corr., 15 novembre 2005, Ministère Public et SCPP c/ Monsieur D. T, n°1613/2005
- TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 13 juill. 2007, Carion c/ Dailymotion, n° 07/05198
- Cass. crim. , 25 septembre 2012, pourvoi n° 11-84224
- Articles L. 122-5 2°, L. 122-5 6°, L. 335-2-1 1° et L. 335-4 du Code de la propriété intellectuelle
- Loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée parue au JOFR n°295 du 21 décembre 2011
- Loi n° 2006-961 du 1 août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information parue au JORF n°178 du 3 août 2006
Justine Vallot