Dans un contexte de plus en plus tendu entre certaines personnes et les services de Police ou Gendarmerie, il est légitime de s’interroger si l’on peut tout dire sur les réseaux sociaux. De plus en plus de personnes prennent régulièrement la liberté de publier des photos ou commentaires injurieux à l’égard des forces de l’ordre sur des réseaux sociaux (Facebook, Twitter..) ou des forums de discussion, ce sur le fondement de la liberté d’expression prévue aux articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ayant valeur constitutionnelle.
Le premier coup de semonce avait été donné par un jugement rendu en 2010 par le tribunal correctionnel de Brest, condamnant ainsi l’auteur de propos injurieux envers des Gendarmes à 3 mois de prison ferme et 1200 euros d’amende. On note la sévérité des juges dans le troisième et quatrième attendu exprimant « qu’en tenant des propos outrageants à l’égard de la gendarmerie sur Facebook, facilement accessible à tous, il a gravement porté atteinte à la dignité et au respect dû à cette institution dont le travail quotidien s’exerce souvent dans des conditions difficiles, et sur l’importance accordée par l’institution qu’il représente à ce type d’outrage dont elle a été l’objet de la part de M. X ». Plus récemment, le tribunal correctionnel de Metz a, le 25 juin 2015, eu à juger une affaire dans laquelle l’auteur des faits était poursuivi pour outrage sur les réseaux sociaux, mais également lors de son interpellation. Si en appel, le prévenu a obtenu la relaxe concernant les propos outrageants sur Facebook, il fut condamné à une peine d’emprisonnement de 8 mois fermes en ce qui concerne les faits relatifs à son interpellation.
Que-ce qu’un outrage ? Il peut prendre diverses formes, telles que des paroles, gestes, menaces de nature à porter atteinte à la dignité d’une personne ou au respect de la fonction dont elle est investie. Il relève du pouvoir d’appréciation du magistrat en charge de l’affaire.
– Une parole est toute expression verbale pouvant émaner d’une personne en colère à travers un langage particulier, mais également des bruits (d’animaux ou sifflements). La cour d’appel de Paris a condamné pour outrage un prévenu, qui, arrêté pour une infraction au Code de la route, avait recommandé « de s’occuper des voleurs au lieu de… », mais qui avait fait preuve d’une trop grande proximité en appelant les forces de l’ordre par « mon pote ». A noter aussi que la question de savoir si l’agent victime de l’outrage est en service ou non ne joue aucun rôle, tel que rappelé par la cour d’appel de Paris le 19 mai 2000.
– Un geste est toute expression du corps pouvant exprimer un mépris, tel que le signe du majeur ou bras d’honneur, mais également un regard provocateur.
– L’écrit est toute représentation écrite ou symbolique destiné à exprimer un manque de considération envers la fonction.
Il convient de rappeler brièvement que l’article 433-5 du Code pénal prévoit des peines d’amendes (7500 euros), dans le cas où ces propos viseraient (1) une personne chargée d’une mission de service public (instituteur, chauffeur de bus, arbitre de sport), et/ou des peines de prison (7500 euros et 6 mois d’emprisonnement) dans le cas où ces propos viseraient (2) une personne dépositaire de l’autorité publique (gendarme, policier, douanier, magistrat…). A noter que lorsque l’outrage est commis en réunion, une peine de prison de 6 mois peut s’ajouter à la peine d’amende. Dans le second cas, la commission en réunion peut venir doubler l’amende et la peine privative de liberté.
Mais dans quels cas ? Si l’on s’en tient à la lettre du même article, il faut, pour que l’outrage soit constitué, que les propos tenus aient un caractère non-public. En effet, le texte dispose que constituent un outrage … « les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics… ». Dès lors, on considère que l’infraction est constituée si son auteur a eu l’intention de commettre l’infraction et de porter l’outrage à la connaissance de l’agent.
On constate donc que le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Brest était illégal, de par le fait que le compte de M. X en question était public et accessible à tous, d’où il fut infirmé par la Cour d’appel.
Dans ce cas précis, le débat porte donc sur le « caractère public ou non d’une diffusion sur Internet ». Les propos publiés sur la toile peuvent être limités en termes d’audience de par la confidentialité plus ou moins stricte que l’on définit sur l’accès à son compte. Il faut donc que les propos soient non-accessibles à tous, pour être constitutifs du délit d’outrage. Il faudra ainsi prouver que les paramètres de confidentialité du compte Facebook de l’employé ont été inadéquats pour que soit admis le caractère de correspondance privée.
Néanmoins, un autre problème pourrait se poser quant au nombre d’amis présents sur un compte en particulier. Un compte comptant 1500 amis sera-t-il considéré comme public, vu le nombre important de personnes pouvant avoir accès aux publications ?
Qu’en est-il alors si une personne prend la liberté d’insulter une personne dépositaire de l’autorité publique sur une page accessible à tous ?
Cette personne tomberait sous la qualification d’injure, qui peut être publique ou privée. Elle est définie en l’article 29 de la loi sur la presse de 1881 comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ». L’injure publique est un délit puni d’une peine d’amende de 12000 euros (article 33 alinéa 2), tandis que l’injure privée relève de la matière contraventionnelle, punie d’une amende de première à quatrième classe (750 euros maximum).
A noter que dans ce cas, le délai de prescription est plus court, car l’action de la victime doit être intentée dans les 3 mois, à compter de la date du premier acte de publication des propos « injurieux ».
Patrick-Alexandre Degehet