Non les TOM n’existent plus ! Les petits juristes en herbe que vous êtes l’ont bien remarqué, les Territoires d’Outre-Mer (TOM) ont la vie dure dans la conscience collective. Pourtant, cela fait déjà plus de dix ans que cette catégorie de collectivité territoriale a disparu du paysage juridique constitutionnel français. Elles ont en effet été remplacée par la catégorie des Collectivités d’Outre-Mer (COM). Petit rappel sur une mutation fondamentale du droit outre-mer.
Que vous preniez un forfait téléphone qui ne prend pas en charge les coûts vers les TOM, que vous envoyiez une carte postale dans le TOM de Polynésie française ou que vous regardiez un reportage de TF1 consacré aux Départements d’Outre-Mer (DOM) et TOM, il apparaît une étonnante résistance des TOM à leur propre disparition. Pourtant, depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 les collectivités territoriales de la République sont « les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 »[1]. Nulle mention donc des territoires d’outre-mer.
Afin de remercier les collectivités ultramarines de leur fidélité pendant la guerre, il leur est fait une grande place dès le préambule de la Constitution de 1946 afin d’affirmer leur appartenance à la République en dehors de tout système colonial.
Cependant, il n’est pas pour autant question d’une assimilation pleine et entière et très rapidement un régime législatif modernisé instaure une summa divisio encore fortement prégnante aujourd’hui :
- une logique assimilationniste pour les DOM cités à l’article 73 de la Constitution[2], c’est-à-dire que l’identité législative leur est applicable ;
- les TOM[3] qui doivent se doter de « statuts particuliers » selon l’article 74 du texte fondamental français dont la spécialité législative est la règle. Autrement dit, les textes nationaux ne sont applicables que sur mention expresse.
Mais l’Union française mise en place dans la Constitution de la IVème République n’a pas fonctionné, notamment du fait de la dislocation de l’« empire » français avec la perte du Vietnam, des comptoirs français de l’Indes et du Maroc. Dès lors, les collectivités ultramarines sont au centre des inquiétudes lors des débats pour l’élaboration de la Constitution de la Vème République, au point d’ailleurs que soit envisagé un modèle fédéral pour répondre aux attentes desdites collectivités. In fine, la Constitution de 1958 laissera quatre possibilités aux TOM :
- la première sera laissée lors du vote du référendum pour l’instauration de la Constitution de la Vème République. Les TOM votant « non » à cette consultation populaire accéderons ainsi directement à l’indépendance. Seule la Guinée empruntera cette voie le 28 septembre 1958 ;
- les trois possibilités suivantes sont issues de l’application de l’article 76 de la Constitution, traduction de la libre détermination des peuples posée dans le préambule :
- la deuxième possibilité est de faire évoluer son statut vers celui d’un département d’outre-mer qui conserve le principe de l’identité législative. Ce choix ne séduira aucun territoire ;
- la troisième possibilité est de maintenir le statut de TOM au sein de la République avec le principe de la spécialité législative maintenue. La Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, les Comores, la Côte française des Somalis adopterons cette solution ;
- enfin, la dernière possibilité laissera le choix de quitter le cadre républicain en devenant membre de la Communauté instaurée par la nouvelle Constitution. Ce choix, qui permettait des relations de partenariats privilégiés avec la France agrémentées d’une autonomie certaine dans un État quasi fédéral, sera fait par le Gabon, le Moyen Congo, Oubangui-Chari, le Tchad, le Sénégal, la Mauritanie, le Soudan, la Côte-d’Ivoire, le Dahomey, la Haute-Volta, le Niger et Madagascar.
Pour ce qui concerne les DOM, Leur statut est maintenu avec toutefois une volonté de mieux prendre en compte les spécificités locales. Les réformes constitutionnelles concernant les collectivités ultramarines impliquent en outre davantage les TOM dont la vocation à la libre détermination des peuples s’applique selon la fameuse doctrine Capitant. Ce faisant, ils sont logiquement plus au centre des débats constitutionnels.
Néanmoins, malgré la loi constitutionnelle du 4 juin 1960 qui avait pour vocation de rénover la Communauté et de faire vivre de façon effective ses institutions, cette organisation va rapidement péricliter sous l’effet de la décolonisation des États nouveaux d’Afrique et de Madagascar. C’est une loi constitutionnelle du 4 août 1995 qui abrogera définitivement toutes les dispositions relatives à la Communauté pourtant caduques depuis le début des années 60.
Concernant les territoires d’outre-mer, leur nombre a progressivement diminué sous l’effet de la création de la Communauté puis de la décolonisation de Djibouti et des Comores. Si bien qu’à la fin des années 90, on ne dénombrait plus que quatre territoires relevant de cette catégorie, et qui de surcroît faisaient apparaître des situations de plus en plus différenciées. À tel point qu’aujourd’hui il y autant de statuts d’outre-mer que de collectivités territoriales d’outre-mer. C’est d’ailleurs cette différenciation à outrance au sein de la catégorie des TOM qui va entraîner la disparition de cette catégorie puisque peu à peu vidée de sa substance. Dès lors, afin de trouver un semblant d’unité au sein de cette catégorie, le pouvoir constituant dérivé, au détour des révisions constitutionnelles de 2003, 2007 et 2008, a instauré une nouvelle catégorie : les COM régis par l’article 74 de la Constitution. Celle-ci a une définition extrêmement souple et large des statuts des collectivités qu’elle concerne, englobant ainsi des statuts allant de l’identité législative, voire de la quasi gestion directe comme pour l’archipel de Wallis-et-Futuna ou encore pour les Terres Australes et Antarctiques françaises (TAAF), à l’autonomie poussée et renforcée comme pour la Polynésie française.
In fine, Mayotte, anciennement TOM puis COM, est devenue en 2011 un DOM. Ainsi, cette dernière catégorie comprend désormais les « quatre vieilles » : Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion ajoutée de Mayotte. La catégorie des COM est quant à elle composée de la Polynésie française, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Wallis-et-Futuna et de deux anciennes communes guadeloupéennes devenues COM en 2007 : Saint-Martin et Saint-Barthélémy. De plus, la Nouvelle-Calédonie est une collectivité sui generis depuis 1999 et n’appartient ainsi plus à aucune catégorie citée. Autrement dit, les mutations institutionnelles des DOM-TOM-COM sont nombreuses depuis 1946. Les COM ne sont pas, ce que beaucoup pensent, uniquement des anciens TOM et les DOM revêtent une nouvelle dimension en tant que Région d’Outre-Mer (ROM).
Arnaud BUSSEUIL,
Doctorant en Droit Public,
École Doctorale des Sciences Juridiques et Politiques (ÉD 67),
Laboratoire Croyance, Histoire, Régulation Politique et Administrative (CHERPA), Sciences Po Aix
Pour en savoir plus :
BORELLA F., « L’évolution politique et juridique de l’Union française depuis 1946 », LGDJ, Paris, 1958.
FABERON J.-Y. (dir.), FAYAUD V. (dir.), RÉGNAULT J.-M. (dir.), « Destin des collectivités politiques d’Océanie », Volumes I et II, PUAM, 2011.
MOREAU J. (dir.), VERPEAUX M. (dir.), « Révolution et décentralisation, le système administratif français et les principes révolutionnaires de 1789 », Économica, Paris, 1989.
THIELLAY J.-P. , « Le droit des outre-mers », Dalloz, Paris, 2011.
[1] Art. 72 C.
[2] Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion.
[3] Gabon, Moyen-Congo, Oubangui-Chari, Tchad, Côte d’Ivoire, Dahomey, Guinée, Haute-Volta, Mauritanie, Niger, Sénégal, Soudan, Comores, Polynésie française, Inde française, Madagascar, Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon, Territoires des Somalis.