ONIAM : éclaircissement sur la notion d’anormalité

Le 29 avril dernier, le Conseil d’Etat est venu préciser la notion d’anormalité, condition prévue à l’article L. 1142-1 II du Code de la santé publique et subordonnant la prise en charge d’un dommage au titre de la solidarité nationale[1].

L’article L. 1142-1 II du Code de la santé publique dispose :

« Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire ».

Les conditions d’appréciation du critère d’anormalité du dommage subi par un patient et ouvrant ainsi droit à une indemnisation par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogène et des infections nosocomiales (ONIAM) avaient déjà, récemment, fait l’objet d’une certaine définition qui a évolué assez rapidement. Cela suppose un historique de la jurisprudence tant civile qu’administrative en la matière.

La Cour de cassation a été la première à être interrogée sur cette question. Dans un arrêt du 31 mars 2011, elle a d’ailleurs exclu tout droit à l’indemnisation d’un patient qui, « compte tenu de ses antécédents vasculaires […] était particulièrement exposé à la complication hémorragique survenue dont les conséquences, si préjudiciables fussent-elles, n’étaient pas anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci »[2]. Avec cette interprétation, les patients risquaient systématiquement de se voir opposer leur état de santé antérieur et ainsi être privé de toute réparation de leurs dommages.

Le 16 décembre 2013, cette même interrogation était posée pour la première fois au Conseil d’Etat. La juridiction administrative avait alors confirmé que l’exposition particulière du patient au risque peut être retenue pour évaluer le degré d’anormalité du dommage en y ajoutant le caractère indispensable de l’intervention[3].

Revenant sur sa jurisprudence, la Cour de cassation a par la suite également retenu le caractère indispensable de l’intervention thérapeutique pour mesurer l’anormalité du dommage[4]. La Cour de cassation a maintenu cette référence au caractère indispensable de l’intervention pour apprécier l’anormalité du dommage dans une autre espèce[5].

Force est de constater que ce critère n’était pas prévu en tant que tel par le législateur et qu’il s’agit d’une création jurisprudentielle supplémentaire afin de compléter le faisceau d’indices relatifs à l’exposition particulière du patient aux dommages subis. Cependant, il ne s’agit aucunement d’un critère autonome qui viendrait s’ajouter aux critères légaux prévus à l’article L. 1142-1 II du Code de la santé publique.

Il semblerait que le Conseil d’Etat ait souhaité faire preuve de pédagogie en reprenant de façon synthétique la définition de ce critère d’anormalité dans deux arrêts du 12 décembre 2014. Dans ces deux espèces, le caractère indispensable de l’intervention est fortement atténué et ne constitue qu’un élément accessoire. Le Conseil d’Etat retient alors un élément purement comparatif d’aggravation. A cet égard, le Conseil d’Etat affirme que « la condition d’anormalité du dommage […] doit toujours être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitement ».

Dans cet arrêt du 29 avril dernier, le Conseil d’Etat a repris les critères relatifs à la condition d’anormalité du dommage ouvrant droit à une indemnisation par la solidarité nationale tels qu’émis par l’arrêt du 12 décembre 2014 mais complète le raisonnement.

En l’espèce, le juge a retenu que « si le déplacement du cathéter au cours de l’intervention, risque connu de l’utilisation des cathéters veineux centraux sous-claviers, a favorisé le décès de Mme F…, l’arrêt cardio-circulatoire s’explique également, d’une part, par les poly-fractures graves résultant de l’accident de la route, à l’origine d’un syndrome inflammatoire important, de troubles de la coagulation et de contraintes métaboliques liées à la douleur retentissant sur la fonction cardiaque et, d’autre part, par une pathologie cardiovasculaire dont l’intéressée était atteinte et qui limitait les mécanismes de réserve que le cœur pouvait mettre en jeu ; que l’arrêt évalue à 35 % le risque de complications cardiovasculaires, voire pulmonaires, mettant en jeu le pronostic vital auquel Mme F… était exposée lors de l’intervention ». Les juges administratifs ont pris en compte la catégorie générale du risque, les complications cardiovasculaires et pulmonaires, plutôt que la situation précise du cas d’espèce, à savoir le déplacement du cathéter.

Cette interprétation assez large permet de favoriser l’indemnisation des victimes par la solidarité nationale. Il semblerait ici que la jurisprudence cherche à trouver un équilibre entre l’indemnisation des victimes et/ou de leurs proches et ne pas pénaliser les établissements de santé.

                                                                                              Gwendoline DA COSTA GOMES

                                                                                              Elève-avocat

[1] CE, 29 avril 2015, n° 369473

[2] Civ.1ère, 31 mars 2011, n° 09-17135

[3] CE, 16 décembre 2013, n° 354268

[4] Civ.1ère, 2 juillet 2014, n° 13-15750

[5] Civ.1ère, 10 juillet 2014, n° 13-216003

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