La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 3 février 2016, a estimé que l’agissement de l’employeur consistant à reprocher au salarié dans la lettre de licenciement d’avoir saisi la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation de son contrat de travail, est constitutif d’une atteinte à une liberté fondamentale entraînant à lui seul la nullité du licenciement.
« Nul ne peut apporter de restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives ». Tel est le principe qui ressort de l’article L. 1121-1 du Code du travail, qui rappelle en outre que les mesures contrevenant à ce principe sont nulles et de nul effet. Comme le précise le rapport annuel du quai de l’Horloge de 2001, « le droit d’ester en justice est un élément inhérent au droit qu’énonce l’article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme ». Le Conseil constitutionnel a ainsi consacré « le droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction ». Le juge judiciaire, quant à lui, s’est attaché à lui donner une portée très large. Ainsi, la Haute juridiction par un arrêt rendu en Assemblée plénière le 30 juin 1995, a consacré le droit d’accès au juge, et ce quelle que soit la valeur de la prétention.
Dés lors, « le droit d’accès au juge est consacré par le droit interne. Il figure au rang des principes fondamentaux reconnus par les juridictions françaises ». Il découle, par ailleurs, d’une jurisprudence constante de la Chambre sociale de la Cour de cassation, qu’est sanctionné comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite par le salarié.
Une construction systémique progressive
Cette réalisation systémique s’est construite en plusieurs étapes jurisprudentielles. Le droit prétorien, se fondant sur les dispositions légales régissant la formation et l’exécution du contrat de travail, fait largement écho aux instruments internationaux. En effet, l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales s’oppose, en vertu du principe d’égalité des armes et du procès équitable, à ce que l’employeur utilise son pouvoir disciplinaire pour imposer au salarié les conditions de règlement du procès qui les oppose.
Est donc nécessairement nul pour violation de cette liberté fondamentale le licenciement prononcé par l’employeur afin d’imposer au salarié sa propre solution dans le litige qui les opposait[1] ou prononcé en raison d’écrits injurieux produits à l’occasion d’une instance, en violation de la liberté fondamentale de la défense[2], ou encore, en violation de la liberté fondamentale de témoigner[3]. En outre, la solution est identique pour la rupture de la relation de travail à l’initiative de l’employeur qui fait suite à l’action en justice intentée par le salarié à l’encontre de ce dernier[4]. Ainsi, la Haute juridiction admet comme seuls éléments susceptibles d’emporter une exception à la nullité du licenciement pour violation d’une liberté fondamentale l’abus du salarié ou sa mauvaise foi.
Une protection du salarié devant le préteur
Une protection juridique vaut alors pour le salarié dans l’exercice de son droit d’ester en justice ou d’y témoigner, dés lors que cet agissement n’est ni abusif ni de mauvaise foi. Se prêtant à un contrôle de dénaturation, la Cour de cassation retient que ces exceptions sont nécessairement écartées par les juges du fond dès lors qu’ils retiendraient la nullité du licenciement.
La seule présence dans la lettre de licenciement – fixant les limites du litige – d’une référence à une procédure contentieuse intentée par le salarié ainsi sanctionné, sera dés lors constitutive d’une atteinte à une liberté fondamentale entraînant à elle seule la nullité de la rupture.
La chambre sociale précise que l’atteinte à cette liberté fondamentale rend inopérant les autres griefs énoncés dans la lettre de licenciement, sans que le juge ait à les vérifier. Cet arrêt offre ainsi une illustration de la jurisprudence dite « des motifs contaminants », selon laquelle le juge n’a pas à examiner les griefs mentionnés, dans la lettre de licenciement, en plus de celui qui démontre que le licenciement a été prononcé en considération de l’exercice d’une liberté fondamentale ou pour un motif prohibé par la loi, de nature à entraîner la nullité du licenciement. Cette jurisprudence a notamment été récemment appliquée en matière de harcèlement[5].
Cette solution affirmée a été reprise et appuyée par la Chambre sociale dans une nouvelle cassation partielle du 16 mars 2016[6] et à retrouver dans le Mensuel du Droit du Travail de la Cour de cassation du même mois.
Fabien Schaeffer
[1] Soc., 9 octobre 2013, pourvoi n° 12-17.882, Bull. 2013, V, n° 226
[2] Soc., 28 mars 2006, pourvoi n° 04-41.695, Bull. 2006, V, n° 127
[3] Soc., 29 octobre 2013, pourvoi n° 12-22.447, Bull. 2013, V, n° 252
[4] Soc., 6 février 2013, pourvoi n° 11-11.740, Bull. 2013, V, n° 27
[5] Soc., 10 mars 2009, pourvoi n° 07-44.092, Bull. 2009, V, n° 66
[6] Soc., 16 mars 2016, pourvoi n°14-23.589