Dans un arrêt du 27 mai 2015[1], la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de l’absence de notification par l’enquêteur du lieu de l’infraction lors de la garde à vue d’une personne suspectée du délit de blanchiment. Selon la Haute juridiction, l’omission de cette précision prescrite par l’article 63-1, 2° du Code de procédure pénale, lors de la notification de la garde à vue, ne peut entraîner le prononcé d’une nullité que si elle a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie concernée.
En l’espèce, les faits étaient les suivants : le conducteur d’un véhicule automobile a refusé d’obtempérer à un contrôle douanier et a été poursuivi pendant une quarantaine de kilomètres avant d’être interpelé. Au cours de la poursuite, les agents des douanes ont aperçu l’individu en train de jeter un sac contenant une importante somme d’argent. Mis en examen du chef de blanchiment, ce dernier a demandé par la suite l’annulation de sa garde à vue, arguant de l’omission de la notification du lieu de commission de l’infraction sur le procès-verbal de garde à vue. La chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Amiens a fait droit à la demande et a annulé le procès-verbal au motif qu’aucun élément ne permettait à l’intéressé de déterminer dans quel lieu les forces de l’ordre le soupçonnaient d’avoir commis l’infraction reprochée, alors même que la connaissance de cet élément était nécessaire pour lui permettre d’organiser sa défense. Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation au visa des articles 63-1, 171 et 802 du Code de procédure pénale, les hauts magistrats rappelant sans détours que l’omission de cette précision lors de la notification de la garde à vue ne peut entraîner le prononcé d’une nullité que si elle a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie concernée. En effet, selon la haute juridiction, le lieu de l’infraction de blanchiment notifiée était, en l’état de la procédure, indéterminé. En l’espèce, l’absence de l’information au début de la garde à vue sur la localisation du délit de blanchiment reproché n’avait donc causé aucune atteinte aux intérêts du demandeur. L’arrêt des juges du fond est cassé et annulé sans renvoi[2].
Garde à vue : vers une meilleure information davantage protectrice des personnes soupçonnées
La garde à vue, moment clef de l’enquête, demeure le lieu de stratégies aux enjeux souvent déterminants pour l’ensemble des acteurs concernés directement ou indirectement par la mesure. Pour les policiers et les gendarmes d’abord, chargés de rassembler les preuves de la culpabilité de la personne suspectée dont il a été décidé le placement en garde à vue et de constituer, en outre, un dossier suffisamment solide à l’attention des magistrats destinataires de la procédure. Pour les parties et leurs avocats ensuite, ces derniers ayant pour mission de défendre les intérêts de leurs clients mis en cause et de soulever les éventuelles irrégularités procédurales devant les tribunaux. De manière générale, un examen attentif est apporté par nos juridictions internes, mais aussi européennes (notamment à travers les arrêts de la CEDH) sur la régularité ou la conformité de sa réglementation. La garde à vue est un sujet très sensible qui nécessite de façon récurrente une intervention du législateur dans la réécriture des textes en la matière, en particulier du fait des directives et de la jurisprudence européenne. Profondément réformée en 2011[3], elle est aujourd’hui davantage protectrice des personnes qui en sont l’objet. En effet, la loi du 27 mai 2014[4] prévoit une information plus complète du gardé à vue. Cette nouvelle loi est venue instaurer de nouveaux droits pour les individus suspectés ou poursuivis aux différents stades de la procédure pénale et a notamment modifié l’article 63-1 du Code de procédure pénale relatif à la notification des droits des personnes gardées à vue. Selon l’article 63-1, 2°, disposition en cause dans le présent arrêt, “la personne placée en garde à vue doit être informée de la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ainsi que des motifs mentionnés aux 1° à 6° de l’article 62-2 justifiant son placement en garde à vue”. Le Code de procédure pénale reconnaît ainsi aujourd’hui à la personne placée en garde à vue le droit de connaître, tout d’abord, la qualification juridique des faits pour lequel il est poursuivi, mais aussi la date et le lieu présumés des faits qui lui sont reprochés. Sur ce point particulier, la Cour de cassation vient nous éclairer pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2014 sur l’impact du défaut de notification du lieu de l’infraction en début de garde à vue.
Nullités et droit à l’information dans la phase de garde à vue
Les nullités de procédure, sensées garantir l’égalité devant la loi et l’effectivité du droit à un recours efficace, entrent en conflit avec la recherche d’efficacité de la répression. C’est pourquoi, le législateur et les juges tentent d’assurer un équilibre pour concilier ces intérêts antagonistes. Depuis la loi du 24 août 1993, le régime des nullités dans la phase d’enquête et de l’instruction est en perpétuelle construction. Quelques axes généraux se sont dégagés à travers la jurisprudence de la Cour de cassation[5]. Cependant, il n’est pas toujours aisé pour les praticiens d’en cerner clairement les contours ainsi que l’illustrent les nombreuses décisions rendues par les juridictions répressives sur le fondement des articles 171 et 802 du Code de procédure pénale. Au stade de l’enquête, le contentieux de la garde à vue est toujours aussi nourri et continue à faire couler beaucoup d’encre, à l’image de l’étape de notification par l’officier de police judiciaire des différents droits afférents au gardé à vue. L’irrespect de certaines formalités obligatoires à l’occasion d’une garde à vue emporte des conséquences importantes sur le terrain de la nullité de la mesure elle-même et, selon la formule consacrée, des actes subséquents. Les enjeux sont donc cruciaux. Une nouvelle pierre à l’édifice est, en l’espèce, apportée par la chambre criminelle s’agissant plus précisément de l’information de la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction. Ces différents éléments seront étudiés successivement.
En premier lieu, l’information sur la nature juridique des faits au gardé à vue est souvent provisoire. Celle-ci est susceptible d’évoluer en cours d’enquête alors diligentée par les forces de l’ordre. Ainsi, il n’est pas rare que l’infraction de départ soit requalifiée à la hausse ou à la baisse par le Parquet, voire que les éléments recueillis par les enquêteurs pendant le temps d’une garde à vue de 24 heures minimum mettent en lumière de nouvelles infractions connexes et/ou distinctes de celles qui ont motivé l’ouverture d’une enquête préliminaire ou de flagrance. En revanche, le gardé à vue doit être immédiatement informé de l’ensemble des infractions qu’il est présumé avoir commis dès lors qu’il existe, à son encontre, une ou plusieurs raisons plausibles de le soupçonner. Le défaut d’information de l’une de ces infractions dès le début de la mesure porte atteinte à ses intérêts[6] comme l’a récemment rappelé la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Ensuite, l’information sur la date présumée de l’infraction permet de faire référence à une date plus ou moins précise ou encore à une période de temps[7]. Il est fait par exemple référence dans la prévention à la mention « M. X est poursuivi pour avoir courant […] en tout cas depuis un temps non prescrit », ce qui permet d’avoir un champ temporel plus large et ainsi de ne fermer aucune porte sur la date ou la période de commission des faits. Par conséquent, la notification d’une date imprécise à ce stade embryonnaire que représente la garde à vue ne saurait faire grief à la personne mise en cause dès lors qu’elle résulterait des éléments de la procédure au moment du placement initial de l’intéressé en garde à vue.
Enfin, l’information sur le lieu présumé de l’infraction renvoie au lieu géographique de commission du crime ou délit. Ce dernier est également susceptible d’évoluer dans le dossier pénal au fil des investigations conduites par les enquêteurs. De même, le lieu de l’infraction relèverait selon certains[8] davantage d’un élément de fond que d’un droit ou d’une formalité de nature procédurale, ce qui expliquerait la solution adoptée par la haute juridiction. Sur le terrain de la nullité des actes de procédure, la Cour de cassation a, en effet, très justement fait observer que l’omission du lieu de l’infraction ne peut entraîner le prononcé d’une nullité que si elle a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie concernée. À la différence de l’omission de certaines formalités où la jurisprudence se réfère traditionnellement à la théorie du grief intrinsèque[9] pour autoriser la nullité de l’acte litigieux, la chambre criminelle décide au contraire que l’omission du lieu présumé de l’infraction au début de la garde à vue suivrait ici le régime de la règle « pas de nullité sans grief ». Par conséquent, il fallait apporter la preuve d’un grief. Autrement dit, un préjudice devait être expressément démontré par la personne qui a fait l’objet de la garde à vue pour ainsi se prévaloir de la nullité de la mesure accomplie « irrégulièrement » en relevant, par exemple, une atteinte aux droits de la défense. Une fois de plus, la Cour de cassation veille au respect de l’exigence légale et censure les décisions d’annulation ne relevant pas l’existence d’un tel grief[10]. En effet, l’impératif de démonstration d’un grief demeure, selon les cas, une obligation pour que le juge pénal fasse droit à la demande de nullité. Ainsi en est-il par exemple de la violation du formalisme prévu pour authentifier les perquisitions opérées par un OPJ[11], pour l’absence de signature d’un procès-verbal[12], la violation des règles de constatation d’une infraction[13] ou celles régissant la saisie[14], l’absence de questions posées[15] ou encore la sanction de l’inertie de l’OPJ en cas de carence du médecin en garde à vue[16]. Il convient de noter, en ce qui concerne la constatation de l’existence d’un grief, que celle-ci est parfois exclue lorsque la méconnaissance des dispositions pénales a été mineure ou sans conséquence, mais également lorsque l’intéressé ou son avocat n’a émis volontairement aucune protestation à l’encontre de l’acte irrégulier, alors même qu’il en avait connaissance.
David CHIAPPINI
([1]) Crim, 27 mai 2015, n°15-81142, Gaz. Pal., 9 août 2015, n° 221-223, note Fourment, p.33.
([2]) Faculté ouverte à la Cour de cassation aux termes de l’article L-411-3 du Code de l’organisation judiciaire.
([3]) Loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 et arrêts Crim. 15 avr. 2015, n° 10- 17.049, 10-30.313, 10-30.316 et 10-30.242.
([4]) Loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, en vigueur le 2 juin 2014, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, publiée au J.O.R.F n°0123, 28 mai 2014, p.8864.
([5]) Dossier spécial : « Les nullités : un contrôle efficace de la procédure ? », AJ Pénal avr. 2005, pp. 133-150.
([6]) Crim. 16 juin 2015, n° 14-87.878.
([7]) V. Circ. du 23 mai 2014 de présentation des dispositions de procédure pénale applicables le 2 juin 2014 de la loi portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.
([8]) Benelli de Bénazé C., « Garde à vue : conséquences de l’omission de la notification du lieu de l’infraction », Dalloz actualité, juin 2015.
([9]) Théorie par laquelle le grief est présumé sans qu’il soit exigé la démonstration de ce dernier. Ainsi voir dans le cadre de la garde à vue : Crim. 10 mai 2000, n° 00-81.201 (notification tardive des droits) ; Crim. 10 mai 2001, n° 01-81.441 (défaut d’information au procureur de la République) ; Crim. 22 juin 2010 n° 10-81.275 (défaut d’enregistrement audiovisuel des interrogatoires) ; Crim. 14 déc. 2011, n° 11-86.121 (droit de se taire).
([10]) Desportes F. et Lazerges-Cousquer L., Traité de procédure pénale, 2ème édition, 2013, n° 2005.
([11]) Crim. 28 févr. 1995, inédit.
([12]) Crim. 5 nov. 1996, n° 96-80.151.
([13]) Crim. 2 mars 1999, n° 98-86.465.
([14]) Crim. 14 sept.2004, n° 04-83.754.