L’un des principaux apports du règlement n°1346/2000, est le principe de reconnaissance de plein droit des procédures d’insolvabilité. Ce principe fut raffermi par le règlement n°2015/848, dont l’article 19 consacre la reconnaissance immédiate de la décision d’ouverture de la procédure d’insolvabilité principale par une autorité compétente dans tous les autres Etats membres sans aucune procédure ni formalité de publicité obligatoire.[1] Cette règle s’applique même « lorsqu’un débiteur, du fait de sa qualité, n’est pas susceptible de faire l’objet d’une procédure d’insolvabilité dans d’autres États membres ». [2]Le principe de reconnaissance de plein droit s’étend au-delà de la procédure d’insolvabilité principale. En effet, la procédure secondaire bénéficie également d’une reconnaissance de plein droit dans tous les autres Etats membres, même si ses effets sont limités au territoire de l’Etat d’ouverture. Par ailleurs, l’article 25 paragraphe 1 du règlement n° 1346/2000 et l’article 32 du règlement n° 2015/848 étendent ce principe aux décisions relatives au déroulement et à la clôture d’une procédure d’insolvabilité rendues par la même juridiction, ainsi qu’au concordat approuvé par cette juridiction. Il en est de même pour les actions dites « connexes », c’est-à-dire « toute action qui découle directement de la procédure d’insolvabilité et y est étroitement liée ».[3]
Sous l’empire du règlement de 2000, la jurisprudence européenne et française a cherché à préciser la consistance du principe de reconnaissance de plein droit et notamment d’éclairer la frontière entre le règlement insolvabilité et le règlement n° 1215/2012 dit « Bruxelles I bis ». Cela a pu parfois déboucher sur des jurisprudences à fondement contestable, voire même sur des jurisprudences contradictoires. La réforme de 2015 a tenté de préciser la portée des avancées jurisprudentielles soit en les consacrant définitivement dans les nouvelles dispositions du règlement insolvabilité soit en maintenant les dispositions du règlement précédent. Or, malgré l’importance des évolutions consacrées par le nouveau règlement, des incertitudes demeurent.
La réforme de 2015 a également eu vocation à préciser la portée des effets de la décision d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. En effet, nombre de principes énoncés dans le règlement n°1346/2000 ont été maintenus dans le règlement n°2015/848 – tel est le cas notamment concernant les principes de dessaisissement du débiteur et d’arrêt des poursuites individuelles, ou encore la possibilité pour le syndic d’agir dès sa nomination dans tous les états membres. Cependant, le nouveau règlement prévoit également des limitations au principe de la reconnaissance de plein droit. Ces limitations tiennent notamment à l’ordre public, à l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité secondaire, à la nomination d’un syndic provisoire, ou encore au respect des droits acquis par certains créanciers.
On évoquera l’évolution du principe de reconnaissance de plein droit des procédures d’insolvabilité (I) pour envisager ensuite les effets que s’y attachent (II).
I. L’évolution du principe de reconnaissance de plein droit des procédures d’insolvabilité
La consistance du principe de reconnaissance de plein droit consacré dans le règlement insolvabilité fut précisée par la jurisprudence de la CJCE (A). L’avènement du nouveau règlement insolvabilité en 2015 a présenté à la fois d’importantes avancées mais aussi certaines stagnations (B).
A. Le contenu du principe de reconnaissance de plein droit
Le principe de reconnaissance de plein droit emporte l’obligation de reconnaitre la décision d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité et de lui laisser produire des effets sur tout le territoire de l’Union européenne. Cette obligation s’étend également aux autres décisions relatives au déroulement et à la clôture d’une procédure d’insolvabilité, sauf exceptions prévues par le règlement.
1. La reconnaissance et le caractère exécutoire de la décision d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité
a. Le principe de confiance mutuelle
Dans son arrêt Eurofood du 2 mai 2006, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a interprété les dispositions de l’article 16-1° du règlement de 2000 pour considérer que la procédure d’insolvabilité principale ouverte par une juridiction d’un Etat membre doit être reconnue par les juridictions des autres Etats membres sans que celles-ci puissent contrôler la compétence de la juridiction de l’Etat d’ouverture. Il s’agit d’une application du principe de confiance mutuelle consacré dans le considérant 22 du règlement n° 1346/2000 (et ré-énoncé par le considérant 65 du règlement n° 2015/848). La Cour de cassation a fait application de ce principe dans son arrêt Daisytek du 27 juin 2006.
Dès lors, la partie intéressée qui souhaite contester la compétence de la juridiction qui a ouvert la procédure doit utiliser, devant les juridictions de l’Etat d’ouverture, les recours prévus par le droit national de cet Etat. En ce sens, par cinq arrêts du 30 juin 2009, la Cour de cassation a censuré la cour d’appel de Paris[4] ayant déclaré irrecevable la tierce-opposition des créanciers étrangers à l’encontre d’une décision ouvrant une procédure de sauvegarde en France à l’égard des sociétés du groupe Eurotunnel et en fermant ainsi toute voie de recours.
Or, la tierce opposition des créanciers ayant leur siège social à l’étranger a fait l’objet des jurisprudences contradictoires. En effet, la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 26 juin 2012, a déclaré irrecevables les contestations au fond des conditions d’ouverture de la sauvegarde par des créanciers étrangers. Cette interprétation est très critiquable dans la mesure où, par une décision du 25 février 2010 (approuvé par un arrêt du 8 mars 2011 de la Cour de cassation), la cour d’appel de Paris avait accepté un tel type de contestation, cette fois-effectuée ci par un créacier ayant son siège en France. Cette jurisprudence fait naitre donc une « profonde inégalité entre créanciers tiers opposants, selon qu’ils seraient domiciliés en France ou dans un autre Etat membre »[5], ce qui constituerait une discrimination flagrante et injustifiable par aucun motif d’intérêt général.
b. L’opposition à la reconnaissance et à l’exécution des décisions d’ouverture d’une procédure collective
L’article 33 du règlement de 2015 dispose que : « Tout État membre peut refuser de reconnaître une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre ou d’exécuter une décision rendue dans le cadre d’une telle procédure, lorsque cette reconnaissance ou cette exécution produirait des effets manifestement contraires à son ordre public, en particulier à ses principes fondamentaux ou aux droits et aux libertés individuelles garantis par sa constitution ». Selon l’arrêt Eurofood, l’atteinte devrait constituer une violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’Etat requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique.[6] Il faut signaler que la notion d’ordre public en cause est celle visée par l’article 33 du règlement de 2015 (ex. article 26 du règlement de 2000) et non pas celle issue du règlement 1215/2012 (Bruxelles I bis)[7].
Ensuite, la reconnaissance pourrait être contestée si la nomination du syndic ne pouvait pas être établie conformément aux dispositions de l’article 22 du règlement 2015 (ex. article 19 du règlement de 2000). En outre, l’article 25 paragraphe 3 du règlement de 2000 prévoyait la possibilité de non-reconnaissance des décisions limitant la liberté individuelle ou le secret postal. L’article 32 du règlement de 2015 contient des dispositions similaires sous réserve du secret postal.
2. La reconnaissance et caractère exécutoire d’autres décisions
D’après l’article 32 paragraphe 1 du règlement de 2015, « les décisions relatives au déroulement et à la clôture d’une procédure d’insolvabilité rendues par une juridiction dont la décision d’ouverture est reconnue conformément à l’article 19 ainsi que les concordats approuvés par une telle juridiction sont également reconnus sans autre formalité. Ces décisions sont exécutées conformément aux articles 39 à 44 et 47 à 57 du règlement (UE) no 1215/2012 ».
Dans une décision MG Probud du 21 janvier 2010, la CJUE a considéré que, postérieurement à l’ouverture d’une procédure principale dans un Etat membre, les autorités d’un autre Etat membre où aucune procédure secondaire n’a été ouverte sont tenues de reconnaitre et d’exécuter les décisions prises par la juridiction ayant ouvert la procédure principale, sauf exceptions prévues par le règlement. Les autorités de l’autre Etat membre ne pourraient donc pas ordonner des mesures d’exécution portant sur des biens du débiteur localisés sur le territoire de cet Etat, lorsque la législation de l’Etat membre de l’ouverture ne le permet pas.
B. Le devenir du principe sous le règlement n° 2015/848
Le règlement de 2015 constitue un bond en avant du droit européen des procédures d’insolvabilité. S’il connait certaines stagnations touchant à son champ d’application territorial (1), le règlement de 2015 comporte d’importantes avancées dont notamment les consécrations des jurisprudences en matière d’action connexe (2).
1. Les stagnations concernant le champ d’application territorial du règlement
a. L’extension jurisprudentielle du champ d’application spatial du règlement
Dans un arrêt Schmid du 16 janvier 2014, confirmé par l’arrêt H du 4 décembre 2014, la CJUE consacre l’extension du champ d’application spatial du règlement de 2000.
Dans l’arrêt Schmid,[8] il s’agissait de savoir si la juridiction ayant ouvert la procédure d’insolvabilité « était compétente pour connaitre d’une action révocatoire fondée sur l’insolvabilité dirigée contre un défendeur domicilié dans un Etat tiers ». Dans l’arrêt H[9], la question se posait dans les mêmes termes mais se référait plus précisément à la vocation de la Convention de Lugano à s’appliquer. Dans les deux cas s’est prononcée en faveur de l’application du règlement n° 346/2000 et de la compétence de la juridiction ayant ouvert la procédure pour statuer sur les actions en cause, y compris à l’égard d’un défendeur domicilié dans un Etat non-membre de l’Union.
Reposant sur des fondements particulièrement fragiles,[10] l’arrêt Schmid a fait l’objet de fortes critiques par une grande partie de la doctrine française. D’ailleurs, la pérennité de cette jurisprudence est loin d’être assurée sous l’empire du règlement de 2015.
b. La non-consécration de l’application extra-européenne du principe
La portée extra-européenne que les jurisprudences Schmid et H attribuent au règlement ne trouve pas de traduction dans les nouvelles dispositions du texte de 2015. Leur pérennité n’est donc pas assurée.
S’il est peu probable que le nouveau règlement ait voulu directement contrarier ces jurisprudences, son considérant 35 risque d’avoir cet effet. Ce dernier précise bien que le défendeur contre lequel une action révocatoire a été engagée « doit être établi dans un Etat membre ». Ainsi, ce considérant rend impraticable le raisonnement a contrario développé dans l’arrêt Schmid. Le champ d’application territorial du règlement ne devrait donc guère évoluer. Pourtant, les incertitudes soulevées par l’arrêt Schmid demeurent.[11]
2. Les consécrations jurisprudentielles en matière d’action connexe sous le Règlement n° 2015/848
L’article 25 paragraphe2 alinéa 2 du règlement de 2000 consacrait la reconnaissance de plein droit des « décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement, même si elles sont rendues par une autre juridiction », reprenant ainsi l’expression utilisée par l’arrêt Gourdain.[12] Or, cet article n’évoque que la reconnaissance des décisions. Aucune référence directe n’est faite à la question de la compétence juridictionnelle – et plus précisément à la question de savoir s’il fallait déterminer la juridiction compétente pour statuer sur les actions connexes en fonction du règlement insolvabilité ou bien du règlement dit Bruxelles I révisé.
Cette lacune a été comblée par la Cour de justice dans son arrêt Seagon c. Deako Marty[13], dont l’apport fut confirmé et précisé par deux arrêts de 2009.[14] Il résulte de cette jurisprudence que si l’action n’est pas fondée sur les dispositions du droit national des procédures collectives et aurait pu être mise en œuvre par une autre personne que le syndic – voire en dehors de toute procédure d’insolvabilité – elle se situe dans le champ d’application du règlement Bruxelles I (aujourd’hui Bruxelles I révisé).[15]
Cette jurisprudence fut systématisée par l’arrêt Nickel du 4 septembre 2014, dans lequel la CJUE élabore un « véritable critère général de distinction » entre le champ matériel du règlement insolvabilité et celui de la matière civile et commerciale (relevant du règlement Bruxelles I bis ou encore de la convention de Lugano). D’après la Cour de justice, il s’agit de rechercher le « fondement juridique de l’action » et, plus précisément de déterminer si « le doit ou l’obligation qui sert de base à l’action trouve sa source dans les règles communes du droit civil et commercial ou dans les règles dérogatoires, spécifiques aux procédures d’insolvabilité ». Cette interprétation fut reprise par la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 28 octobre 2015.[16] Or, cette construction a été remise en cause par l’arrêt H de 2014 (précité) qui effectue une extension contestable du champ d’application matériel du règlement insolvabilité en considérant que, puisque l’action litigieuse nécessite un état d’insolvabilité, elle dérive directement de la procédure d’insolvabilité et s’y insère étroitement.
La réforme du règlement de 2000 avait pour but de préciser les règles de compétence en la matière et notamment d’examiner le régime de l’action connexe. En ce sens, le règlement de 2015 a effectué une véritable consécration jurisprudentielle. Désormais, l’article 6 du nouveau règlement envisage les actions connexes sur l’angle de la compétence juridictionnelle et pas seulement dans le cadre de la reconnaissance. En ce faisant, cet article consacre la jurisprudence européenne initiée par l’arrêt Seagon c. Deko Marty.
Cette consécration n’est pas cependant pleinement satisfaisante en raison des incertitudes de cette jurisprudence sur la notion même d’action connexe. En effet, les éléments de définition posés par l’arrêt Gourdain s’avèrent insuffisants. Or, l’absence de critères de définition de la notion d’action connexe au sein du nouvel règlement laissent subsister des incertitudes. Cette lacune de la réforme apparait, par exemple, quand on s’intéresse à la solution retenue par l’arrêt German Graphics de 2009[17] ou encore lorsqu’on pense à l’hypothèse d’une éventuelle action en responsabilité à l’encontre d’un tiers pour soutien abusif.[18]
Malgré la réforme, des incertitudes jurisprudentielles persistent. Elles ont été illustrées récemment par deux arrêts rendus respectivement par la chambre sociale[19] et la chambre commerciale[20] de la Cour de cassation. Celles-ci ont été confrontées à des questions quasi-identiques. En effet, la chambre sociale était saisie de l’action « extracontractuelle » d’un salarié alors que la chambre commerciale était saisie d’une action en concurrence déloyale. Dans les deux cas, le fondement était le même, à savoir l’ancien article 1382 du Code civil. Il consistait alors à savoir si une telle action en responsabilité délictuelle dérive directement de la procédure d’insolvabilité et s’y insère étroitement. Or, ces arrêts retiennent des solutions totalement différentes.
En effet, l’arrêt Nortel du 10 janvier 2017 se place dans le sillage de l’arrêt H (précité), la chambre sociale de la Cour de cassation ayant estimé que l’action en responsabilité intentée par un salarié relevait de la compétence de la procédure principale sur le fondement de l’article 3 du règlement n° 1346/2000 dès lors qu’elle avait été « introduite dans le cadre de la procédure d’insolvabilité ». Elle censure donc la cour d’appel qui s’était estimée compétente sur le fondement de l’article 5 du règlement Bruxelles 1 n° 44/2001 à raison du lieu où le fait dommageable s’est produit.
Dans son arrêt Tuncker du 29 novembre 2016, la chambre commerciale de la Cour de cassation n’emprunte pas le même chemin de soumission à la jurisprudence H que la chambre sociale, même en étant saisie d’une question similaire. Dans ce litige, le tribunal de commerce de Paris s’était estimé compétent pour juger d’une action délictuelle en concurrence déloyale exercée par une société de droit français à l’encontre d’une part, d’une société de droit allemand soumise à une procédure d’insolvabilité ouverte en Allemagne et d’autre part, de sa filiale française. Suite à un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, la société allemande et sa filiale française se sont pourvues en cassation en se fondant sur la violation de l’article 3 du règlement n° 1346/2000, au motif que l’action délictuelle en concurrence déloyale dérivait directement de la procédure d’insolvabilité ouverte en Allemagne et s’y insérait étroitement, de sorte que la juridiction compétente était la juridiction allemande ayant ouvert la procédure d’insolvabilité. La chambre commerciale a préféré de surseoir à statuer afin de poser une question préjudicielle à la CJUE. Se référant notamment référence à « une action de droit commun », la chambre commerciale renvoie directement à l’arrêt Nickel (précité) et donne ainsi l’occasion à la Cour de justice d’abandonner la jurisprudence H au profit d’un retour à sa jurisprudence Nickel antérieure.
Dans un arrêt Tünkers France du 9 novembre 2017, la CJUE a tranché définitivement la question en énonçant que « l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 (…) doit être interprété en ce sens que ne relève pas de la compétence du tribunal ayant ouvert la procédure d’insolvabilité une action en responsabilité pour concurrence déloyale par laquelle il est reproché au cessionnaire d’une branche d’activité acquise dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, de s’être présenté à tort comme assurant la distribution exclusive d’articles fabriqués par le débiteur ». Cet arrêt semble ainsi marquer un retour vers la jurisprudence Nickel qui est bienvenue.[21] Rappelons en effet que la définition de l’action connexe figure désormais au sein du règlement de 2015, de sorte que la liberté prise par la CJUE avec la définition qu’elle a elle-même posée n’a plus sa place. Le nécessaire respect du texte devrait interdire une interprétation souple incompatible avec l’exigence posée par l’article 6 du nouveau règlement.[22]
Au niveau interne, suite à l’avènement du règlement de 2015, le législateur français a jugé opportun d’adapter ou de transposer les dispositions du règlement, en droit interne, par une Ordonnance 2017-1519 du 2 novembre 2017, prise en application de l’article 110 de la loi 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle.
La section 2, sous-section 2 de cette ordonnance porte sur les compétences des tribunaux nationaux lorsqu’une procédure d’insolvabilité principale a été ouverte par la juridiction d’un autre Etat membre et que des licenciements sont envisagés. L’article L. 692-10 précise les règles qui permettent de désigner le tribunal compétent. Ce même article dispose que les règles applicables à la procédure des licenciements sont celles applicables à la procédure de redressement judiciaire, si la procédure d’insolvabilité principale est une procédure analogue au redressement judiciaire, et celles de la procédure de liquidation judiciaire avec maintien de l’activité si la procédure d’insolvabilité principale est une procédure analogue à la liquidation judiciaire avec maintien de l’activité. On estime dès lors que, dans l’hypothèse où des licenciements seraient envisagés en France, où une procédure secondaire d’insolvabilité aurait pu être ouverte, mais ne l’a pas été, l’article 13 du règlement donnerait compétence aux juridictions françaises et aux autorités compétentes en droit français pour approuver la résiliation ou la modification des contrats de travail. Par ailleurs, les règles applicables en redressement judiciaire et en liquidation judiciaire avec poursuite d’activité seraient applicables si la procédure principale d’insolvabilité était assimilable à un redressement judiciaire ou à une liquidation judiciaire avec poursuite d’activité.
II. Les effets contrastés du principe de reconnaissance de plein droit des procédures d’insolvabilité
A. Les effets maintenus du principe de reconnaissance de plein droit
Parmi les effets de ce principe il faut tout d’abord noter que la reconnaissance de plein de l’ouverture d’une procédure collective emporte le dessaisissement du débiteur dans tous les Etats Membres.
Tant les règlements n°1346/2000 (Article 17) ou n°2015/848 (Article 20), que les directives 2009/238 (Article 273 paragraphe 2) et 2001/24 (Article 9) ont consacré l’application immédiate des effets de la procédure ouverte dans un Etat à l’ensemble des Etats Membres. Par conséquent, la reconnaissance de plein droit implique le dessaisissement du débiteur et l’arrêt des poursuites individuelles, si la loi de la procédure le prévoit, dans tous les Etats. La théorie de l’universalité déploie donc son plein effet, ce qui permet d’empêcher que le débiteur organise son insolvabilité ou alors que certains créanciers domiciliés dans d’autres états que celui d’ouverture de la procédure, ne soit favorisés.
De plus, la reconnaissance de plein droit du jugement d’ouverture permet aussi au syndic d’agir, dès sa nomination, dans tous les états de l’Union européenne, conformément aux pouvoirs que lui accorde la loi de l’Etat d’ouverture, et de la mission qui lui a été confiée par le tribunal. En effet, l’article 4 du règlement de 2000, repris à l’article 7 du règlement de 2015 dispose que « Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est celle de l’Etat membre sur le territoire duquel cette procédure est ouverte ». Ainsi, dès le prononcé du jugement d’ouverture, le syndic est le seul habilité à recevoir paiement, si ce pouvoir lui a été attribué dans le jugement d’ouverture. Les tiers situés dans tous les autres Etats Membres doivent donc s’acquitter du paiement entre les mains du syndic, et celui qui aurait exécuté son obligation envers le débiteur soumis à une procédure dans un autre état n’est pas valablement libéré, sauf s’il ignorait l’existence d’une telle procédure conformément aux articles 24 du Règlement de 2000 et 31 du Règlement de 2015.
Cependant, ces mêmes articles prévoient aussi à l’égard du tiers situé dans un autre état membre que celui d’ouverture de la procédure, une règle qui s’impose au syndic, selon laquelle « Celui qui exécuté cette obligation avant les mesures de publicité prévues à l’article 28 est présumé, jusqu’à preuve du contraire, avoir ignoré l’ouverture de la procédure d’insolvabilité. Alors que Celui qui l’a exécutée après ces mesures de publicité est présumé, jusqu’à preuve du contraire, avoir eu connaissance de l’ouverture de la procédure ». Le règlement vise à protéger les débiteurs d’une personne soumise à une procédure d’insolvabilité dans un autre Etat Membre et constitue ainsi une atténuation substantielle du principe de reconnaissance de plein droit des procédures d’insolvabilité.
En outre, suite à un arrêt de la Cour de Justice du 19 septembre 2013, l’Art 23 du Règlement de 2015 vient renforcer les prérogatives du syndic en précisant que si un créancier obtient paiement de sa créance par tout moyen et notamment par des voies d’exécution pratiquées sur des biens du débiteur situés dans d’autres états, il doit restituer ce qu’il a obtenu au syndic de la procédure principale.
Enfin, il faut observer que le principe de reconnaissance de plein droit dans tous les Etats Membres de la procédure principale a aussi pour effet de conférer au syndic le droit d’exercer dans tous les Etats Membres les pouvoirs que lui attribue la loi de l’état d’ouverture sur les biens du débiteur. Cela est notamment consacré aux articles 18 du Règlement de 2000 et 21 du Règlement de 2015, dont le dernier dispose que « Le praticien de l’insolvabilité désigné par une juridiction compétente, peut exercer dans un autre état membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l’état d’ouverture, aussi longtemps qu’aucune autre procédure d’insolvabilité n’a été ouverte dans cet autre état et qu’aucune mesure conservatoire contraire n’y a été prise à la suite d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité dans cet état ». Le syndic peut, par exemple, exercer une action en nullité contre certains actes accomplis à l’étranger pendant la période suspecte en vertu des effets que la loi de la procédure principale attache à cette période, comme l’a admis la Cour de justice dans l’arrêt Seagon c. Deko Marty en date du 12 février 2009.
Pour finir, dès sa nomination, le syndic peut aussi gérer tous les biens du débiteur, même ceux situés dans d’autres états membres. Il peut les transférer entre différents états membres et peut tous les réaliser en respectant néanmoins les modalités locales d’exécution, ce qui illustre bien la portée extraterritoriale de la mission du syndic de la procédure principale. Cependant, le syndic ne peut pas employer, pour se faire, des moyens contraignants qui ne sont pas admis par la loi locale ou la loi de la procédure principale (comme la contrainte par corps).
Bien que ces différents effets présents dans le Règlement de 2000 se retrouvent une nouvelle fois consacrés dans le règlement de 2015, le principe de reconnaissance de plein droit des procédures collectives subit quelques atteintes qui viennent limiter sa portée.
B. Les limitations au périmètre des effets de la procédure
1. Les limitations par l’ouverture d’une procédure secondaire
Tout d’abord, le principe de reconnaissance de plein droit est atténué par la limitation des pouvoirs du syndic de la procédure principale résultant de l’ouverture d’une procédure secondaire, ce qui a pour effet de rendre incompétent le syndic dans l’état en cause pour gérer les biens du débiteur. L’ouverture d’une procédure secondaire dans un Etat Membre où se trouve un établissement du débiteur est la conséquence de la consécration par les règlements de 2000 et de 2015 du principe de l’existence de procédures parallèles.
La fin du monopole du syndic de la procédure principale pour traiter la totalité des actifs du débiteur traduit donc la consécration d’une conception territoriale de la faillite du débiteur. En effet, cela conduit à la nomination d’un syndic propre à la procédure secondaire qui exerce les pouvoirs que lui attribue la loi de l’état d’ouverture de la procédure secondaire sur le seul territoire de cet état. Ainsi, les procédures principale et secondaire sont régies par leur propre loi respective, celle de l’Etat où elles sont ouvertes et ont leur propre syndic.
Cette vision territorialiste implique que seul le syndique nommé dans la procédure secondaire est habilité à gérer ou à réaliser les biens du débiteur qui sont situés sur le territoire de l’état où est ouverte cette procédure. Ainsi, bien que le syndic principal conserve certains moyens d’action sur la procédure secondaire dans le but de coordonner ces procédures parallèles, il perd ses pouvoirs sur les biens du débiteur intégrés dans la procédure secondaire.
Par ailleurs, les articles 18 paragraphe 1 et 30 du règlement de 2000, et les articles du règlement de 2015 viennent aussi porter atteinte au principe de reconnaissance de plein droit en permettant la nomination d’un syndic provisoire chargé de prendre des mesures conservatoires sur les biens du débiteur, dès la demande d’ouverture d’une procédure secondaire. Dès lors que de telles mesures conservatoires sont prises, le syndic de la procédure principale perd sur les biens localisés sur le territoire de l’Etat concerné, les pouvoirs que lui confère la loi de l’état d’ouverture de la procédure principale.
Par exemple, le 30 novembre 2011, le Tribunal de commerce de Nanterre a affirmé qu’un syndic provisoire nommé dans une procédure principale ouverte en Allemagne avait le pouvoir de demander l’ouverture d’une procédure secondaire en France, à partir du moment où il est habilité à faire une telle demande selon le droit allemand.
2. Le respect des droits acquis par certains créanciers
Enfin, la dernière limitation au principe de reconnaissance de plein droit des procédures collectives résulte de la limitation des pouvoirs du syndic de la procédure principale par le respect des droits acquis par les créanciers conformément aux articles 5 à 7 du Règlement de 2000 et aux articles 8 et 9 du Règlement de 2015 qui disposent notamment que « L’ouverture d’une procédure d’insolvabilité n’affecte pas le droit réel d’un créancier ou d’un tiers sur des biens corporels ou incorporels, meubles ou immeubles (…) appartenant au débiteur et qui sont situés, au moment de l’ouverture de la procédure, sur le territoire d’un autre Etat membre ».
Il s’agit donc des créanciers titulaires de droits réels ou bénéficiaires d’une clause de réserve de propriété sur des biens du débiteur qui se trouvent au moment de l’ouverture de la procédure sur le territoire d’un autre Etat Membre et des créanciers invoquant la compensation lorsque celle-ci est permise par la loi applicable à la créance.
Cela constitue ainsi une limitation importante à la mission du syndic principale mais surtout de façon plus générale au principe de l’universalité de la faillite.
On observera que ces règles ont été à l’époque le résultat d’un consensus destiné à protéger le crédit et les prévisions des créanciers titulaires d’une sûreté ou d’un droit de propriété-sûreté. Il est certain qu’une harmonisation du droit des sûretés règlerait tous les problèmes. Mais en attendant, la protection du crédit est plus que jamais à l’ordre du jour en période de crise. De surcroît, il apparaît que, du point de vue des praticiens français, cette question se règle aisément par la coopération entre les syndics.
Rédigé par Sandra LOPEZ
et Hugo LUCAS
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Notes de bas de page :
[1] Un même principe est affirmé pour les procédures de liquidation des entreprises d’assurance et de crédit par les directives 2009/238 et 2001/24.
[2] Art. 19 paragraphe 1 al. 2 règl. n° 2015/848.
[3] Article 6 paragraphe 1 règl. n° 2015/848 (ex. Art. 25 paragraphe 1 al. 2 règl. n° 1346/2000.
[4] CA Paris, 3e ch. B 29 nov. 2007.
[5] M. Menjucq, « Droit international et européen des sociétés », p. 518.
[6] Voir en ce sens, Cass. Com 27 juin 2006 (l’absence d’audition des représentants du personnel ne constitue pas une violation au droit d’être entendu) ; Cass. Co. 15 fév. 2011 (sur la méconnaissance du droit d’accès au juge).
[7] Cass. 1ère civ. 6 juill. 2016 : à propos du reg. 1346/2000
[8] Sur un l’action révocatoire exercée par un syndic allemand qui avait assigné devant les juridictions allemandes une personne ayant son domicile en Suisse.
[9] Sur l’action en paiement à l’encontre d’un gérant domicilié en Suisse.
[10] Dont notamment une interprétation a contrario des dispositions du règlement de 2000 ainsi qu’une interprétation contestable de l’objectif de prévisibilité pour les tiers
[11] Laurence-Caroline Henry, « Le champ d’application territorial du Règlement », dans Le nouveau règlement insolvabilité : quelles évolutions ?
[12] CJCE, 22 Fév. 1979.
[13] CJCE, 12fév. 2009.
[14] CJCE 2 juill. 2009, SCT Industri et CJCE, 10 sept. 2009, German Graphics.
[15] Relèvent donc du règlement insolvabilité l’action révocatoire exercée par le syndic (Seagon) ou encore la cession des parts sociales (SCT Industri). Tel n’est pas le cas de l’action d’un vendeur agissant sur le fondement d’une clause de réserve de propriété (German Graphics), non plus de l’action du cessionnaire de l’action révocatoire (CJUE, 2012, F Tex-Sia Europe).
[16] Cass. Soc., 28 oc. 2015, n° 14-21319. Le litige concernant la rupture du contrat de travail du salarié, ainsi que les créances salariales durant la relation de travail ne relevait pas de la procédure d’insolvabilité de sorte que la compétence juridictionnelle devait être déterminée en application du règlement Bruxelles I.
[17] Solution qui devrait aujourd’hui être différente si l’on retient, avec l’arrêt H de 2014, que la possibilité d’exercer l’action en dehors de toute procédure d’insolvabilité est sans incidence.
[18] Action qui serait fondée sur le droit commun. Pourtant, dans un arrêt de 2013 concernant l’affaire Alkor, le tribunal de commerce de Nanterre qui avait ouvert la procédure d’insolvabilité s’est estimé compétent pour connaitre d’un tel type d’action.
[19] Cass. soc., 10 janv. 2017, n° 15-12.284, aff. Nortel : JurisData n° 2017-000220
[20] Cass. com., 29 nov. 2016, n° 14-23.273, aff. Tuncker
[21] V. en ce sens M. Menjucq, Tribunal compétent en matière d’action en responsabilité délictuelle contre le débiteur dans Revue des procédures collectives n° 3, Mai 2017, comm. 61
[22] V. en ce sens D. Robine, Les actions connexes, dans Le nouveau règlement insolvabilité : quelles évolutions ?, F. Jault-Seseke et D. Robine (dir.), Lextenso, 2015, p. 61