Les juges du Palais-Royal viennent d’anéantir les espoirs de ceux qui avaient cru à un retour en force du recours pour excès de pouvoir (REP) dans le giron du contrat administratif. Pour preuve, dans son arrêt Syndicat Mixte de Promotion de l’Activité Transmanche (SMPAT) du 30 juin 2017, le Conseil d’État ferme la voie du recours pour excès de pouvoir au tiers contestant le refus de résiliation d’un contrat administratif.
À l’origine du nouveau recours, une décision implicite de refus de résilier une convention entre le syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche (SMPAT) et la société Louis Dreyfus Armateurs SAS. En effet, deux sociétés, exploitant le tunnel sous la manche, ont demandé à ce que le syndicat résilie le contrat par lequel il a confié l’exploitation d’une liaison maritime à la société Dreyfus Armateurs SA. Après un refus implicite du syndicat, les sociétés requérantes ont saisi, par voie de REP, le tribunal administratif de Rouen qui a rejeté leur demande d’annulation. Non satisfaites du jugement, elles ont alors saisi la cour administrative d’appel de Douai qui a requalifié la DSP, a annulé le jugement du tribunal administratif et a ordonné au syndicat de résilier le contrat litigieux. Mécontent de cette dernière décision, le syndicat s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’État.
C’est à l’occasion de cet ultime recours que le Conseil d’État a confirmé la tendance unificatrice du contentieux des contrats administratifs en affirmant qu’ « un tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l’exécution du contrat, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat »[1].
Par ce considérant qui restera dans les annales du contentieux des contrats administratifs, le Conseil d’État réduit le champ d’intervention du juge de l’excès de pouvoir dans les contrats administratifs. Désormais, le refus de résilier un contrat administratif ne sera attaquable par les tiers que devant le juge de pleine juridiction (I). Cependant, si les tiers sont recevables à demander la résiliation d’un contrat administratif devant le juge du contrat, c’est à condition qu’ils circonscrivent les moyens invocables à la demande de résiliation (II).
I- Le refus de résiliation d’un contrat administratif désormais contestable par le tiers devant le juge de pleine juridiction
Ouvert partiellement en 2007 avec l’arrêt Tropic Travaux Signalisation[2], l’accès des tiers au juge du contrat administratif avait été freiné par l’arrêt Association Etudes et consommation CFDT du Languedoc-Roussillon dans lequel le Conseil d’État a considéré que « les tiers qui se prévalent d’intérêts auxquels l’exécution du contrat est de nature à porter une atteinte directe et certaine sont recevables à contester devant le juge de l’excès de pouvoir la légalité de l’acte administratif portant approbation du contrat. »[3] Cet arrêt avait laissé penser à un retour en force du juge de l’excès de pouvoir dans l’environnement du contrat administratif.
Ce retour est finalement un cas isolé depuis le 30 juin 2017. En effet, l’arrêt du Conseil d’État du 30 juin 2017 vient confirmer le quasi-monopole du juge de pleine juridiction à connaitre des recours touchant à la vie d’un contrat administratif. Ce quasi-monopole, rappelons-le, a débuté avec l’arrêt Tropic Travaux Signalisation de 2007 dans lequel le Conseil d’État a déclaré recevable devant le juge du contrat, le recours d’un tiers évincé qui justifie d’un intérêt à agir[4]. L’arrêt Tarn-et-Garonne de 2014 confirme ce coup de force puisqu’il élargit le recours Tropic à tous les tiers sans exception.
Les tiers qui bénéficient de ces nouveaux recours ne peuvent plus contester la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer par la voie du recours pour excès de pouvoir. Si l’arrêt Tarn-et-Garonne a constitué un tournant décisif du contentieux des contrats administratifs, il ne pouvait pas « être considéré comme l’étape finale de la réorganisation du contentieux des contrats administratifs débutée en 2007 »[5] En effet, les actes concernés par les arrêts Tropic Travaux Signalisation et Tarn-et-Garonne avaient un point commun : ils étaient antérieurs à la conclusion du contrat.
La jurisprudence de l’arrêt Tarn-et-Garonne ne concernait pas les actes pris pendant l’exécution d’un contrat administratif puisque ceux-ci étaient régis par la jurisprudence de l’arrêt LIC de 1964[6]. Dans cet arrêt, le Conseil d’État a d’abord affirmé que la société de livraison industrielle et commerciale (LIC) n’avait pas été partie à la convention litigieuse et qu’elle ne pouvait pas demander au juge du contrat de se prononcer sur les difficultés susceptibles de survenir dans l’exécution de la convention. Il a ensuite déclaré ladite société recevable en sa qualité de tiers à déférer au juge de l’excès de pouvoir tous les actes détachables liés à l’exécution de la convention.[7]
L’arrêt du 30 juin 2017 revient sur cette jurisprudence en admettant que les tiers sont désormais recevables à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat litigieux. Par cet arrêt, le Conseil d’Etat poursuit l’unification du contentieux des contrats administratifs faisant du juge de pleine juridiction, le véritable juge de la vie d’un contrat administratif. Le nouveau recours n’est cependant pas offert aux tiers sur un plateau d’argent Il faudra que les moyens invoqués concernent uniquement les conclusions tendant ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat litigieux.
II- La recevabilité circonscrite des moyens à l’appui du nouveau recours
Le juge du contrat encadre néanmoins l’accès des tiers à cette nouvelle voie de droit. En effet, les requérants devront tout d’abord justifier qu’ils ont été lésés dans leurs intérêts de façon directe et certaine. Ce point de l’arrêt commenté n’est pas nouveau. Il n’est que la reprise mot pour mot de l’arrêt Tarn-et-Garonne du 4 avril 2014. Les juges du Palais-Royal, dans leur arrêt du 30 juin 2017, ont donc confirmé cette lignée jurisprudentielle en exigeant des tiers de justifier d’un intérêt lésé. Par contre, les tiers ne pourront soulever à l’appui de leur recours que des moyens tirés de ce que « la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution et non les conditions dans lesquelles la décision de refus de résiliation a été prise.[8] Le juge précise que trois cas pourront justifier une fin anticipée du contrat litigieux.
Tout d’abord, la fin de l’exécution du contrat doit être exigée par l’application de dispositions législatives. On peut imaginer, par exemple, que le tiers invoquent comme moyen une durée excessive d’un contrat dès lors que les nouveaux textes en vigueur encadrent la durée des contrats de la commande publique. Ces moyens seront le plus souvent soulevés dans un contentieux relatif à l’exécution d’une concession. L’article 6-II du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession dispose en effet que « [pour] les contrats de concession d’une durée supérieure à cinq ans, la durée du contrat n’excède pas le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu’il amortisse les investissements réalisés »[9]. Un tiers pourrait demander la résiliation d’un contrat de concession qui ne respecterait pas cette disposition.
Ensuite les tiers bénéficieront également du moyen tiré de ce que le contrat litigieux est entaché d’irrégularités faisant obstacle à sa poursuite. Dans ce cas, le juge soulèvera d’office ledit moyen. Cependant, il reste que l’appréciation de ce moyen sera faite au cas par cas. Seul le juge déterminera, en fonction des circonstances de l’espèce, si le contrat est entaché ou non d’irrégularités graves. Pour l’heure, l’inexécution contractuelle constitue une irrégularité pouvant déboucher sur la fin d’un contrat administratif.
Enfin, les tiers seront recevables à exiger la fin du contrat lorsque la poursuite de l’exécution de celui-ci est manifestement contraire à l’intérêt général. Il convient de rappeler que le juge administratif a une conception large de l’intérêt général. Par exemple, constituent des motifs d’intérêt général justifiant la résiliation d’un contrat administratif, des difficultés techniques rencontrées en cours d’exécution,[10] ou encore le cas d’un cocontractant ne disposant plus de garanties suffisantes pour exécuter le contrat,[11] ou même la nécessité de mettre fin à une convention dépassant la durée prévue par la loi.[12] Les tiers auront tout intérêt à l’invoquer à l’appui de leur recours.
Dès lors que l’un de ces moyens sera avéré, il appartiendra au juge du contrat « d’ordonner après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, le cas échéant avec un effet différé. »[13]Alors que le juge de l’arrêt Tarn-et-Garonne dispose d’une palette de pouvoirs permettant de s’adapter à chaque situation, celui de l’arrêt commenté n’aura qu’un seul choix face à plusieurs situations : ordonner aux parties de mettre fin à l’exécution du contrat. Cette nouvelle voie de droit offerte aux tiers reste ainsi encadrée au niveau des moyens à faire valoir et de l’office du juge qui se voit adapté à la demande du requérant.
En conclusion, la jurisprudence l’arrêt SMPAT du 30 juin 2017, qui est d’application immédiate, constitue certes un pas de plus dans le contentieux des contrats administratifs mais il est loin d’être la fin d’une série de mutations entamée en 2007. L’unification du contentieux des contrats administratifs est plus que jamais en marche. Combien de temps durera cette marche ? Seules les prochaines décisions du juge administratif apporteront d’autres éléments de réponse à cette question.
Marius TRO, Master 2 contrats et marchés publics – la pratique de l’achat public
Université de Paris-Sud
[1] CE, 30 juin 2017, Syndicat Mixte de Promotion de l’Activité Transmanche (SMPAT), considérant n°2.
[2] CE, Ass., 16 juill. 2007, n° 291545, Sté Tropic Travaux Signalisation : JurisData n° 2007-072199 ; Rec. CE, p.360, concl. D. Casas ; AJDA 2007, p.1577, chron. F. Lénica et J. Boucher ; GAJA n° 113.
[3] CE, n° 392815, 23 décembre 2016, Association Etudes et consommation CFDT du Languedoc-Roussillon.
[4] CE, Ass., n° 291545, 16 juillet 2007, Sté Tropic Travaux Signalisation préc.
[5] François BRENET, « L’élargissement du recours Tropic aux tiers justifiant d’un intérêt lésé », Droit Administratif n° 6, Juin 2014, comm. 36.
[6] CE Sect. 24 avril 1964, SA de livraisons industrielles et commerciales, Rec. p. 239, AJDA 1964, p. 308, concl. M. Combarnous
[7] CE, Sect., 24 avril 1964, SA de livraisons industrielles et commerciales, préc.
[8] CE, 30 juin 2017, Syndicat Mixte de Promotion de l’Activité Transmanche (SMPAT), considérant 3.
[9] Article 6 II du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession.
[10] CE, 22 janvier 1965, Société des établissements Michel Aubrun, Rec. p. 5.
[11] CE, n°126594, 31 juillet 1996, Société des téléphériques du Mont-Blanc.
[12] CE, n°365043, 7 mai 2013, Société auxiliaire de parcs de la région parisienne.
[13] CE, 30 juin 2017, Syndicat Mixte de Promotion de l’Activité Transmanche (SMPAT), considérant 5.