Le 18 mars 2011, lors de la septième rencontre prévue par le calendrier des négociations paritaires sur les régimes de retraite complémentaires Agirc et Arrco, les syndicats d’employeurs et de salariés sont parvenus à élaborer un accord permettant de faire évoluer ces régimes. Après avoir recueilli la signature du patronat et de trois syndicats de salariés, le nouvel accord devrait entrer en vigueur prochainement.
Le régime Arrco et le régime Agirc, spécifique aux cadres, sont les régimes de retraite complémentaires obligatoires des salariés du secteur privé. Chaque institution verse des pensions de retraite qui viennent compléter celles octroyées par le régime de base d’assurance vieillesse de la sécurité sociale (la CNAV ou la MSA pour les salariés agricoles). Plus de 18 millions de salariés et 11 millions de retraités sont concernés par ces deux régimes complémentaires. Ils sont financés par les cotisations versées par les employeurs et les salariés sur une assiette de cotisations définie à l’article L.242-1 du code de la sécurité sociale. Ces régimes disposent ainsi de leurs propres ressources qui sont versées directement aux institutions de retraite chargées de les collecter et de les redistribuer aux allocataires en application du principe de la répartition.
Institués respectivement par la convention collective nationale de 1947 et par l’accord national interprofessionnel de 1961, l’Agirc[1] et l’Arrco[2] sont issues de la négociation paritaire et sont gérées paritairement par les partenaires sociaux signataires de ces accords. Ce sont également les partenaires sociaux qui fixent par voie d’accords le cadre réglementaire et financier applicable à leur fonctionnement.
Suite à la réforme des retraites du régime de base, les partenaires sociaux se sont réunis plusieurs fois afin de fixer, par un nouvel accord, la réglementation applicable au régime complémentaire.
I. Le contexte de la négociation
Le régime de base évolue : le financement et la pérennisation des régimes de retraite français par répartition sont le leitmotiv qui a conduit le législateur à promulguer la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites. Cette loi a pour principal effet de porter progressivement l’âge théorique d’ouverture des droits à la retraite de 60 à 62 ans (sauf dans les cas de carrière longue, d’invalidité ou de reconnaissance de la pénibilité du travail, pour lesquels l’âge de la retraite peut être avancé) et de repousser, de la même manière, l’âge du départ sans décote (bénéfice automatique du taux plein, quelle que soit la durée d’assurance) de 65 à 67 ans.
L’enjeu pour les régimes complémentaires Agirc et Arrco, qui ne sont pas directement touchés par la réforme, est de prendre en compte ces nouvelles bornes d’âge ; mission qui relève des partenaires sociaux.
En 1981, lors de la mise en place de la retraite à 60 ans dans le régime de base, les régimes complémentaires ont maintenu, dans leur réglementation, l’âge du départ à 65 ans. Ne s’étant pas alignés sur le régime de base, les partenaires sociaux ont mis en place un dispositif, l’AGFF[3], qui, parce qu’il assure le financement du surcoût de la retraite entre 60 et 65 ans en contrepartie d’une cotisation spécifique, permet aux futurs allocataires de liquider leurs pensions Agirc et Arrco à partir de 60 ans sans abattement, sous réserve qu’ils aient liquidé leur pension du régime de base à taux plein. La modification des bornes d’âge par la loi du 9 novembre 2010 soulève la question de devenir de l’AGFF.
Autre élément du contexte de ces négociations : le déficit annoncé de ces régimes. D’après les projections financières réalisées par les fédérations Agirc et Arrco, les régimes deviendraient déficitaires dès 2017. Ainsi, la fragilité des équilibres financiers, notamment de celui de l’Agirc, conduit les partenaires sociaux à réfléchir sur les moyens d’assurer la pérennité de ces régimes.
L’augmentation des cotisations est revendiquée par la majorité des syndicats de salariés, le MEDEF, lui, s’y oppose au nom de la compétitivité des entreprises françaises. L’augmentation des cotisations sociales pourrait fragiliser la position de la France dans l’économie mondiale. La recherche d’économies est donc le fil rouge de cette négociation.
II. Le déroulement de la négociation
Ces négociations ont lieu au siège du MEDEF. Elles rassemblent les organisations syndicales signataires des textes fondateurs des régimes. Seules huit organisations syndicales ont compétence pour « légiférer » par voie d’accord sur les régimes qu’elles ont institués. Il s’agit, pour les organisations patronales, du MEDEF, de la CGPME et de l’UPA et pour les organisations syndicales de salariés de la CGT, de FO, de la CFE-CGC, de la CFDT et de la CFTC.
Pour entériner l’accord, l’unanimité n’est pas nécessaire. Les signatures d’une organisation syndicale de salariés et d’une organisation patronale suffisent à valider un accord. L’accord ainsi signé produit ses effets sauf si la majorité des autres organisations syndicales, parties à la négociation, usent de leur droit d’opposition[4] dans les quinze jours qui suivent la signature.
Cette année, les négociations se sont ouvertes par la signature de l’accord du 25 novembre 2010 qui a sécurisé la liquidation des pensions de retraite par la prorogation, jusqu’au 30 juin 2011 (la loi du 9 novembre 2010 prenant effet au 1er juillet 2011), du dispositif de l’AGFF. Depuis cette date, les partenaires sociaux se sont réunis plusieurs fois. Lors de la sixième séance de négociation, le 9 mars 2011, le MEDEF a proposé un projet d’accord à débattre à la réunion suivante.
La septième séance de négociation, le 18 mars 2011, s’est achevée, après 12 heures de débats, par l’élaboration d’un texte soumis à l’approbation des syndicats. Après avoir soupesé les avantages et les inconvénients de la signature de ce nouvel accord, la CFDT, FO et la CFTC ont annoncé qu’elles apposeraient leur signature au texte.
III. Ce qui va être modifié par le nouvel accord
L’accord du 18 mars devrait modifier la réglementation des régimes Agirc et Arrco sur plusieurs points :
Un alignement des bornes d’âge entre le régime général (CNAV et MSA) et les régimes complémentaires obligatoires Agirc et Arrco. L’accord prévoit de s‘aligner sur l’âge du taux plein à 67 ans pour le régime complémentaire et de prendre en compte l’intégralité de la loi du 9 novembre 2010 concernant les différents âges et conditions de départ possible (durée d’assurance requise, etc.). Cette disposition a provoqué l’opposition de certains syndicats de salariés, notamment de la CGT qui souhaitait le maintien de la possibilité de liquider ses pensions de retraite complémentaire sans abattement à 65 ans.
L’AGFF est reconduite jusqu’au 31 décembre 2018. Les syndicats de salariés étaient plutôt favorables à sa « pérennisation » (c’est-à-dire à son maintien permanent) et non à sa reconduction (qui par nature est limitée dans le temps). La prorogation de ce dispositif devrait permettre aux régimes de s’assurer du versement des retraites futures pour les salariés qui partent en retraite avant l’âge du taux plein (actuellement 65 ans et bientôt 67 ans dans le régime de base).
Les majorations familiales sont modifiées par le nouvel accord. Actuellement, la réglementation du régime Arrco prévoit une majoration de 5 % du montant de la pension pour les retraités qui ont eu ou élevé au moins trois enfants. À l’Agirc, cette majoration s’échelonne de 8 % pour trois enfants à 24 % pour sept enfants. Le nouvel accord prévoit d’harmoniser cette majoration, en la fixant, pour les périodes d’activité à venir, à 10 % pour trois enfants ou plus dans les deux régimes. S’agissant des liquidations nouvelles, le montant des majorations pour enfant serait plafonné à 1000 euros et proratisé en fonction de la durée d’assurance du participant aux régimes Agirc et Arrco.
En revanche, une majoration pour enfant à charge, déjà existante dans le régime Arrco, sera créée pour le régime Agirc. Elle devrait être de 5 % de l’allocation pour tout retraité qui a un enfant à sa charge au moment de la liquidation de ses droits et sera versée tant que l’enfant reste à charge.
Ces changements, n’intervenant qu’à compter du 1er janvier 2012, auront pour conséquence de provoquer un découpage de la réglementation applicable dans la carrière des individus puisque les périodes de cotisation antérieures au 31 décembre 2011 se verront appliquer les anciennes règles.
La question du rendement[5] des régimes était au cœur de la négociation. Il existe un écart entre le rendement du régime Arrco et celui de l’Agirc, ce dernier étant aujourd’hui plus favorable. Pour mettre fin à ce qui est perçu comme une distorsion, l’accord prévoit de faire baisser le rendement du régime Agirc en limitant de façon provisoire l’évolution de la valeur du point[6] de ce régime. Cette disposition va se traduire par une égalisation, en 2012, du rendement des deux régimes. Enfin, à compter du 1er avril 2013, la valeur de service du point du régime Agirc et celle du régime Arrco devraient évoluer en fonction de l’évolution du salaire moyen des deux régimes constatée au cours de l’exercice moins 1,5 point, mais leur revalorisation, en tout état de cause, ne pourra être inférieure à l’évolution moyenne des prix hors tabac.
Mais le point d’achoppement de la négociation fut, bien entendu, celui de l’augmentation des cotisations des deux régimes, le MEDEF ne souhaitant pas, pour l’heure, les augmenter alors que la majorité des syndicats de salariés le revendique. Le projet d’accord prévoit qu’une discussion sur ce thème aura lieu lors des négociations paritaires nationales de 2015.
Enfin, le débat sur un éventuel rapprochement des régimes Agirc et Arrco s’est invité dans la négociation lors des dernières séances avec la proposition du MEDEF de constituer un groupe de travail chargé de réfléchir sur la mise en cohérence des opérations des deux régimes. Certains syndicats y voient la volonté du patronat d’engager un mouvement de fusion du régime des cadres avec celui des salariés non-cadres.
Le 28 mars 2011, la CFDT et FO ont déclaré qu’elles signeraient l’accord du 18 mars, alors que la CGT et la CFE-CGC se disaient prêtes à user de leur droit d’opposition. Cependant, ces dernières ont vu l’intérêt d’user de ce droit anéanti par la déclaration de la CFTC, le 30 mars 2011, d’apposer sa signature à l’accord.
Christophe Tabarani
Notes
[1] Association générale des institutions de retraite des cadres
[2] Association pour lé régime de retraite complémentaire des salariés
[3] Association pour la gestion des fonds de financement de l’Agirc et de l’Arrco
[4] Article L. 2232-2 du code du travail.
[5] Le rendement désigne pour les régimes Agirc – Arrco le rapport entre le montant des cotisations versées et le montant de prestation perçu. Actuellement le rendement Agirc est de 6,70 % et celui de l’Arrco de 6,59 %.
[6] Unité de compte à partir de laquelle sont calculées les allocations |