Dans sa décision du 26 janvier dernier, le Conseil Constitutionnel a invalidé une disposition de la loi « Égalité et citoyenneté» qui serait presque passée inaperçue si elle n’avait pas été retoquée par les Sages. Il s’agit de celle relative à la pénalisation de la négation des crimes contre l’humanité, y compris lorsqu’ils n’ont pas fait l’objet d’une condamnation judiciaire, permettant ainsi de réprimer l’esclavage ou encore le génocide Arménien de 1915.
Introduite par amendement, cette disposition devait venir modifier la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, en punissant d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende toute négation, minoration ou banalisation d’un crime de génocide, lorsque celles-ci constituent une incitation à la violence ou à la haine raciale.
Si la volonté initiale du législateur a été d’étendre la répression de la négation de ce type de crime comme l’est actuellement le délit de négation de la Shoah, introduit par la loi Gayssot du 13 juillet 1990 et déclaré conforme à la Constitution dans une décision du 8 janvier 2016, il n’en demeure pas moins que cette nouvelle extension n’est pas la bienvenue pour le Conseil constitutionnel au regard de différents postulats.
Une disposition jugée non nécessaire et non proportionnée
Le Conseil Constitutionnel ne manque pas de rappeler que l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 actuellement en vigueur, punit des mêmes peines tout propos incitant à la discrimination, à la violence et à la haine en raison de l’appartenance ou non à une race ou à une ethnie. La pénalisation de la négation d’un crime contre l’humanité, quel qu’il soit, ne resterait pas moins qu’une « sous-catégorie » dans la répression globale déjà existante en matière d’incitation à la haine raciale.
Ainsi, si l’abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication peut faire l’objet d’une incrimination par le législateur au regard de l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, le conseil affirme ici comme dans sa décision relative à une loi de 2012 sur la négation du génocide Arménien que les propos négationnistes ne revêtent pas en eux-mêmes le caractère d’incitation à la haine ou à la violence à caractère raciste ou religieux. Le conseil insiste en l’occurrence moins sur les dangers des propos négationnistes en tant que tels que sur leurs conséquences, n’aboutissant pas inévitablement à la commission du délit d’incitation à la haine raciale.
Une disposition contraire au principe de liberté d’expression
Enfin, les Sages s’appuient sur l’incertitude juridique à poursuivre des propos ou des actes portant sur des faits, sujets de débats et qui n’ont pas fait l’objet de poursuites judiciaires en ayant été qualifiés de crimes.
Ainsi, le juge aurait dû qualifier un délit de négation portant sur des faits qu’aucune juridiction n’a jugé criminels.
Tout comme la Cour européenne des droits de l’Homme qui, en 2015 a jugé à propos d’une loi suisse qu’une disposition de ce type constitue « une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression », le conseil constitutionnel tient à satisfaire l’exigence de proportionnalité qui s’impose s’agissant de l’exercice de la liberté d’expression.
Par cette décision, le conseil choisit le débat historique aux passions politiques en faisant primer la liberté d’expression et de communication et, par ricochet, la recherche universitaire.
Les Sages ont donc choisi de s’en remettre à la responsabilité individuelle des personnes et à leur libre critique, condition essentielle du bon fonctionnement d’une démocratie, car interdire le débat et l’expression d’une idée n’est-il pas finalement plus dangereux que l’idée elle-même ?
Eva Duthu
Pour en savoir plus :
www.conseil-constitutionnel.fr > les décisions > Décision n°2016-745 DC du 26 janvier 2017
www.legifrance.fr > Loi du 29 juillet 1881 > Article 24 bis
www.lemonde.fr > politique > L’Assemblée adopte un amendement pénalisant la contestation des crimes contre l’humanité
www.lefigaro.fr > figarovox > Loi Egalité et citoyenneté: cette atteinte à la liberté d’expression passée inaperçue