Lorsque vous serez invités à témoigner devant une commission parlementaire, il faudra désormais réfléchir à deux fois avant de ne pas dire toute la vérité aux parlementaires. Pour la première fois dans l’histoire de la Vème République, un tribunal correctionnel a condamné un homme qui avait menti lors d’une audition devant une commission sénatoriale alors qu’il témoignait sous serment. Le pneumologue Michel Aubier s’est vu sanctionner d’une amende de 50 000 euros et 6 mois de prison avec sursis pour un témoignage mensonger devant une commission de la Haute assemblée qui enquêtait sur le coût financier et économique de la pollution atmosphérique.
Le médecin se voit sanctionner de cette peine historique par la 31ème chambre correctionnelle de Paris sur le fondement de l’article 434-13 du Code pénal[1]. En répondant qu’il n’avait aucun intérêt avec des acteurs économiques alors que la question venait de lui être posée, Michel Aubier a faussé son témoignage.
Une sanction historique en réponse à un témoignage mensonger
Pour mieux comprendre cette décision historique, il est intéressant de revenir sur le contexte de notre affaire. Une commission sénatoriale avait été chargée en 2015 d’enquêter sur le coût économique et financier de la pollution dans l’air. Lors de leur enquête, les sénateurs avaient souhaité auditionner un représentant de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris. Michel Aubier, professeur de médecine et ancien chef du service de pneumologie de l’hôpital Bichat avait été alors convoqué. Lors de son entretien du 16 avril 2015, le président de la commission Jean-François Husson lui demande si des liens d’intérêts avec des acteurs économiques existaient. Sous serment, le pneumologue répond par la négative et le témoignage commence. Le fait que son témoignage ait été fait sous serment est primordial puisqu’un arrêt de la chambre criminelle du 20 mai 1958 précise qu’un faux témoignage ne peut résulter que d’une déclaration faite sous serment. Sans nier le lien entre pollution et qualité de l’air, Michel Aubier reste bien plus mesuré que d’autres spécialistes de la question, notamment en diminuant l’impact du diésel sur la santé.
Le 8 juillet 2015, les sénateurs rendent leur rapport. Coup de théâtre, les journaux Libération[2] et le Canard Enchaîné révèlent que Michel Aubier avait livré un témoignage mensonger. Depuis 1997, le médecin aurait en réalité été employé comme médecin-conseil d’abord par Elf Aquitaine, filiale de Total spécialisée dans l’extraction pétrolière, puis par Total lui-même. Au titre de son travail pour le géant pétrolier français, le médecin aurait été rémunéré à hauteur de 100 000 euros par an depuis 2013, ce qui représentait près de la moitié de ses revenus annuels.
Le 28 avril 2016, en application de l’article 40 du Code de procédure pénale, qui prévoit en son deuxième alinéa que « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. », le Bureau du Sénat décide de signaler ce faux témoignage au procureur de la République.
Les dispositions du code pénal applicables en cas de faux témoignage devant une commission parlementaire
Le délit de témoignage mensonger est prévu par le code pénal en deux articles :
- L’article 434-13 prévoit que « Le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d’une commission rogatoire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Toutefois, le faux témoin est exempt de peine s’il a rétracté spontanément son témoignage avant la décision mettant fin à la procédure rendue par la juridiction d’instruction ou par la juridiction de jugement.»
- L’article 434-14 prévoit une sanction supérieure à hauteur de 100 000 euros d’amende et 7 ans de prison dans deux cas : lorsque le faux témoignage est provoqué par la remise d’un don ou d’une récompense quelconque ou lorsque celui contre lequel ou en faveur duquel le témoignage mensonger a été commis est passible d’une peine criminelle.
Quand on regarde ces deux articles, le cas d’un faux témoignage devant une commission parlementaire n’est pas prévu. Il faut en fait se pencher sur l’ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires[3] pour trouver la réponse. L’article 6 prévoit en effet qu’en cas « de faux témoignage ou de subornation de témoin, les dispositions des articles 434-13, 434-14 (…) du code pénal sont respectivement applicables. »
Dans notre affaire, il fallait regarder si les conditions posées par les articles 434-13 et 434-14 étaient satisfaites. Pour le premier article, le décalage entre la réponse du médecin aux parlementaires et la réalité de sa situation était suffisamment important pour que la 31ème chambre correctionnelle puisse qualifier le témoignage mensonger. Un arrêt de la chambre criminelle du 29 novembre 1951 précise en effet que le faux témoignage peut consister dans des omissions et réticences volontaires, ce qui était le cas. Par ailleurs, le médecin ne s’est pas rétracté avant la rédaction du rapport de la commission de la Haute assemblée, ce qui l’aurait exempté selon l’article 434-13. Pour le second article, l’enquête n’a pas démontré que le médecin avait été rémunéré pour son mensonge et l’article 434-14 a pu être écarté. Le procureur de la République réclamait 30 000 euros d’amende pour le délit. Michel Aubier a finalement été condamné à une amende de 50 000 euros, soit 66, 7 % du montant maximum, et 6 mois de prison avec sursis. Cette sanction peut paraître sévère pour un simple mensonge mais la présidente du tribunal a rappelé que cela ne représentait que deux mois et demi de salaire pour le médecin. Cette décision est néanmoins historique, d’autant plus que le tribunal correctionnel va au-delà des réquisitions du parquet. Les juges ont motivé leur décision par le fait que le mensonge avait été prononcé devant la représentation nationale et qu’il s’agissait d’une problématique de santé publique majeure.
Même si le pneumologue a décidé de faire appel de la décision, cette dernière démontre la volonté des juges de sanctionner les agissements qui pourraient entraver le bon fonctionnement des enquêtes parlementaires. Affaire à suivre.
Pour en savoir + :
Procès-verbal de l’audition du pneumologue Michel AUBIER au Sénat : http://www.senat.fr/basile/visio.do?id=r884990&idtable=r884990|r879728_9&_c=michel+aubier&rch=gs&de=20120715&au=20170715&dp=5+ans&radio=dp&aff=sep&tri=p&off=0&afd=ppr&afd=ppl&afd=pjl&afd=cvn&isFirst=true#toc13
Synthèse du rapport de la commission d’enquête : http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/enquete/pollution_air/Synthese_CE_Pollution_de_l_air.pdf
Tazio JAEGLE
[1] Article 434-14 du code pénal : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070719&idArticle=LEGIARTI000006418636&dateTexte=&categorieLien=cid
[2] Révélations de Libération : http://www.liberation.fr/planete/2016/03/15/michel-aubier-un-pneumologue-qui-ne-crache-pas-sur-le-diesel_1439826
[3] Ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000705067