Par cinq avis rendus le 6 novembre 2017 [1], la Cour de cassation réunie en formation mixte s’est prononcée pour la première fois sur le dispositif de maintien des couvertures santé et prévoyance prévu à l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale au profit des salariés licenciés suite à la liquidation judiciaire de l’entreprise.
Afin de mettre en place des garanties collectives complémentaires au sein de son entreprise, l’employeur souscrit à un contrat collectif ou adhère à un règlement auprès d’une mutuelle (C. mut., art. L. 221-1) ou d’une institution de prévoyance (CSS., art. L. 932-1). Si l’organisme assureur est une société d’assurance, l’employeur ne peut que souscrire à un contrat collectif d’assurance (C. ass., art. L. 141-1).
Le dispositif dit « de portabilité » de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale permet aux salariés, suite à la rupture de leurs contrats de travail, de conserver leurs couvertures collectives santé et prévoyance dont ils bénéficiaient avant cette rupture. Puisque cet article ne fait pas de distinction, le maintien des couvertures santé et prévoyance concerne à la fois les garanties obligatoires et facultatives, dès lors que les salariés bénéficiaient de ces garanties avant la rupture de leurs contrats de travail [2].
Pour pouvoir bénéficier de la portabilité, la cessation du contrat de travail, non consécutive à une faute lourde, doit permettre à l’ancien salarié de bénéficier d’une indemnisation au titre de l’assurance chômage. La portabilité dure le temps de l’indemnisation du chômage [3], dans la limite de douze mois (CSS., art. L. 911-8 1°).
Le financement de ce dispositif est assuré à la fois par l’employeur et par les salariés en activité. Lorsqu’une entreprise fait l’objet d’une liquidation judiciaire [4], l’ensemble des salariés, donc des cotisants finançant la portabilité sont licenciés. A cet égard, la loi de sécurisation de l’emploi prévoyait la mise en place d’un fonds de mutualisation, existant ou à créer, pour les entreprises en situation de liquidation judiciaire afin de prendre en charge le financement de la portabilité [5]. Ce fonds n’a jamais été institué.
De plus, l’article L. 911-8, 3° du Code de la sécurité sociale prévoit que « les garanties maintenues au bénéfice des anciens salariés sont celles en vigueur dans l’entreprise ». Il ne peut donc y avoir de portabilité que s’il existe toujours une couverture au profit des salariés en activité. Or, « la liquidation judiciaire d’une entreprise entraine habituellement […] la disparition de la couverture des salariés actifs » [6].
Le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg était saisi de cinq affaires similaires dans lesquelles le liquidateur judiciaire [7] réclamait à l’organisme assureur, sur le fondement de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale, le maintien des couvertures santé et prévoyance au profit des salariés licenciés suite à la liquidation judiciaire de leur entreprise. L’organisme assureur refusait la mise en œuvre de la portabilité au motif que la liquidation judiciaire prive d’objet le dispositif de la portabilité [8].
Saisie de cinq demandes d’avis [9] transmises par le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg par jugements du 31 juillet 2017, la Cour de cassation s’est prononcée sur la question suivante : « les dispositions de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale sont-elles applicables aux anciens salariés licenciés d’un employeur en liquidation judiciaire ? ».
La Cour de cassation est favorable à l’application du mécanisme de maintien des garanties à tous les salariés sans distinctions, y compris aux anciens salariés licenciés suite à la liquidation judiciaire de l’employeur (I), tout en la conditionnant à l’absence de résiliation du contrat de prévoyance par le liquidateur judiciaire (II).
I. L’application du dispositif de la portabilité à tous les anciens salariés sans distinction
La Cour de cassation indique tout d’abord que les dispositions de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale « n’opèrent aucune distinction entre les salariés des entreprises ou associations in bonis et les salariés dont l’employeur a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire ». C’est ce qui conduit la Cour à ne pas exclure du dispositif du maintien des droits les entreprises placées en liquidation judiciaire.
Les avis de la Cour ne détaillant pas les arguments l’ayant conduit à se positionner ainsi, il est possible de se référer à la note explicative relative aux avis de la Cour [9]. Plusieurs arguments y sont développés en faveur de l’application de la portabilité aux anciens salariés licenciés suite à une liquidation judiciaire.
Il est fait référence à la maxime « là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer ». La Cour énonce que l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale est un article général, qui s’applique à tous les salariés dès lors que la cessation du contrat de travail n’est pas consécutive à une faute lourde, et qu’ils bénéficient de l’allocation d’assurance chômage.
Par ailleurs, la Haute juridiction rappelle l’intention du législateur de protéger les salariés privés d’emploi par l’application de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale à l’ensemble des salariés remplissant les conditions énoncées par l’article sans distinguer selon la situation financière de l’entreprise.
Après avoir énoncé que l’application du dispositif de la portabilité s’applique à tous les anciens salariés privés d’emploi sans distinction, la Cour vient limiter toutefois son application pratique (II).
II. La portée limitée du dispositif de portabilité en cas de liquidation judiciaire de l’employeur
La Cour introduit une condition pour que l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale puisse s’appliquer en cas de liquidation judiciaire d’une entreprise. Elle indique à cet effet que « le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié. »
En effet, aux termes de l’article L. 641-11-1 du Code de commerce, « aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture ou du prononcé d’une liquidation judiciaire ». Ainsi, l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire n’entraine pas automatiquement la résiliation des contrats et adhésions. La résiliation doit résulter de l’initiative du liquidateur judiciaire, qui se substitue de plein droit à l’employeur lors de la procédure collective. Dès lors, le liquidateur judiciaire est de facto considéré comme le souscripteur du contrat collectif frais de santé et prévoyance ou adhérent au règlement.
Se pose alors la question de la responsabilité du liquidateur judiciaire qui résilie le contrat liant l’employeur à l’organisme assureur.
En application de l’article L. 911-8, 6° du Code de la sécurité sociale [11], l’employeur a l’obligation d’informer les salariés qui quittent l’entreprise du dispositif du maintien des couvertures santé et prévoyance. Ainsi, le liquidateur judiciaire peut voir sa responsabilité engagée. Il pourra être condamné au paiement de dommages et intérêts si l’information quant à la portabilité des couvertures santé et prévoyance est donnée à une date ne permettant plus au salarié de conserver cette garantie [12].
De plus, si le liquidateur résilie le contrat d’assurance en cours, les engagements de l’assureur seront transférés à l’employeur du fait des engagements pris par l’employeur en application de l’article L. 911-1 du Code de la sécurité sociale. Ainsi, les salariés licenciés pourront réclamer les prestations qui leurs sont dues directement auprès du liquidateur personnellement engagé en lieu et place de l’employeur auquel il s’est substitué [13].
Katia Piantino,
Etudiante en master DPSE, Ecole de droit de la Sorbonne, Apprentie chez August Debouzy
Clémentine Robert-Vignes,
Etudiante en master DPSE, Ecole de droit de la Sorbonne, Apprentie à l’INRS
[1] C. cass., 6 nov. 2017, avis n° 17013 ; C. cass., 6 nov. 2017, avis n° 17014 ; C. cass., 6 nov. 2017, avis n° 17015 ; C. cass., 6 nov. 2017, avis n° 17016 ; C. cass., 6 nov. 2017, avis n° 1707
[2] BRIENS G., « La nouvelle portabilité des garanties de protection sociale complémentaire », Droit social, 2013, n°385
[3] Article 2 de la Convention du 14 mai 2014 relative à l’indemnisation du chômage : la durée d’indemnisation est équivalente à la durée d’affiliation au régime d’assurance chômage, dans la limite d’un plafond.
[4] Article L. 640-1 du Code du commerce : « Il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l’article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.
La procédure de liquidation judiciaire est destinée à mettre fin à l’activité de l’entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens. »
[5] Article 4 loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi
[6] BROUD F., BOURBOULOUX H., OLIVEIRA A., « L’impossible mise en œuvre du dispositif de la portabilité des garanties de mutuelle et de prévoyance dans les entreprises en liquidation judiciaire », Bulletin Joly Entreprises en difficulté, n°02, mars, 2017, p.92
[7] Article L. 641-4 al 4 du Code du commerce « Le liquidateur exerce les missions dévolues à l’administrateur et au mandataire judiciaire par les articles L. 622-6, L. 622-20, L. 622-22, L. 622-23, L. 625-3, L. 625-4 et L. 625-8. »
[8] Rapport de Mme Touati
[9] Article L. 441-1 du Code de l’organisation judiciaire : « Avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation »
[9] Note explicative, Cour de cassation, avis n°17013 à 17017
[11] Article L. 911-8 6° du Code de la sécurité sociale : « l’employeur signale le maintien de ces garanties dans le certificat de travail et informe l’organisme assureur de la cessation du contrat de travail mentionnée au premier alinéa »
[12] Cour d’appel de Bordeaux, 22 mai 2012, n°11/05856
[13] LAGARDE X., « Protection sociale complémentaire – Prévoyance : questions pratiques sur la mise en oeuvre de la portabilité », La Semaine Juridique Social, n° 38, septembre, 2009,1400