Le Morbihan serait-il frappé par une épidémie de magnobiopite aigüe ? C’est la question que sont légitimement en droit de se poser la section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre des médecins et plus encore le Conseil d’État. En effet, deux affaires ont récemment amené ces instances à se prononcer sur l’utilisation thérapeutique de la technique du « champ magnétique variable » par « magnobiopulse ».
Cette technique, qui vise à placer des aimants sur un muscle douloureux afin de créer un champ magnétique et permettre ainsi sa décontraction, avait été utilisée à plusieurs reprises par deux masseurs-kinésithérapeutes du Morbihan lors de séances de traitement de rééducation fonctionnelle. Séances facturées à l’assurance maladie malgré l’absence de tels actes dans la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP).
Saisi de cette affaire par le médecin-conseil chef de service de l’échelon local du Morbihan et par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Morbihan, la section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre des médecins a condamné les deux professionnels à un mois d’interdiction d’exercice, au remboursement des actes facturés à l’assurance maladie, ainsi qu’à l’affichage public de ces sanctions[1]. La section retenait à ce titre l’« absence de cotation à la nomenclature générale des actes professionnels » de la technique du « champ magnétique variable par magnobiopulse » et indiquait que si chaque requérant faisait « valoir qu’il avait adressé des documents d’entente préalable à la caisse primaire d’assurance maladie, il ne peut soutenir que le silence de celle-ci valait approbation, l’accord tacite ne pouvant en tout état de cause valoir pour les cotations qu’il a irrégulièrement appliquées aux actes indûment facturés à l’assurance maladie ».
Contestant ces décisions, les deux masseurs-kinésithérapeutes ont alors saisi le Conseil d’État pour en obtenir l’annulation. Par deux arrêts[2], la haute juridiction administrative va, sans aucune surprise, confirmer ces décisions.
Reprenant des argumentaires fort semblables dans ses arrêts, le Conseil d’État rejette très rapidement la contestation formulée par les requérants sur la composition prétendument irrégulière de la section des assurances sociales.
Revenant sur le fond, et plus précisément sur la facturation d’actes non cotés à la NGAP, les juges administratifs rappellent en premier lieu que si la cotation des actes de rééducation et de réadaptation fonctionnelle prévue dans la NGAP est applicable pour « toutes les techniques de physiothérapie », c’est à la seule condition que ces actes soient ceux pour lesquels le masseur-kinésithérapeute est habilité à l’article R.4321-7 du Code de la santé publique.
Or, aux termes du c) du 8° de cet article R.4321-7, sont autorisés pour les masseurs-kinésithérapeutes les actes d’« électro-physiothérapie » par « utilisation des ondes électromagnétiques, ondes courtes, ondes centimétriques, infrarouges, ultraviolets », mention sur laquelle les requérants ancraient leurs justifications de facturation à l’assurance maladie des actes utilisant la technique du « champ magnétique variable ». Pour les deux professionnels, le recours au « magnobiopulse » relevait donc bien des actes de physiothérapies facturables à l’assurance maladie puisque compris comme des actes autorisés pour leur profession par l’article susvisé.
Mais, déroulant son argumentaire, le Conseil d’État rappelle que cet article ne saurait être interprété comme « habilitant un praticien à mettre en œuvre une technique d’électrophysiothérapie non fondée sur les données acquises de la science », le recours à de telles techniques étant proscrit par l’article R.4321-80 du Code de la santé publique. En effet, ce dernier dispose que « dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le masseur-kinésithérapeute s’engage personnellement à assurer au patient des soins consciencieux, attentifs et fondés sur les données actuelles de la science ».
La référence aux « données acquises de la science » n’est pas ici sans rappeler le recours récurrent à cette notion en matière de responsabilité médicale depuis de nombreuses années. L’arrêt Mercier imposait déjà au médecin d’avoir recours à des soins « consciencieux, attentifs, et réserve faite des circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science »[3]. Le Traité de droit médical insistait sur le fait que « l’acte posé en vue de guérir n’est un acte médical que s’il repose sur l’usage, au moins apparent, de connaissances biologiques unies à une technique appropriée »[4].
Mais si le recours à cette notion, réitéré maintes fois depuis au travers de jurisprudences constantes, s’explique aisément dans le but de protéger le patient des risques causés par une opération non conforme aux standards médicaux, sa présence en matière de contentieux tarifaire peut de prime abord quelque peu étonner. Mais, là encore, la protection du patient demeure au centre de la logique de la haute juridiction administrative.
En effet, en refusant de reconnaître le droit à ces deux praticiens de facturer des actes non conformes aux données acquises de la science, le Conseil d’État rappelle que l’assurance maladie ne saurait financer des actes faisant courir un risque inconsidéré au patient car jugés non conformes aux données acquises de la science. Financement qui reviendrait à voir ces actes se multiplier et ainsi accroitre le risque d’accident médical, conséquence fondamentalement opposée à la logique contemporaine de sécurité des soins.
Dans l’affaire des masseurs-kinésithérapeutes du Morbihan, les juges administratifs relèvent qu’au regard des pièces du dossier, notamment de « l’avis négatif de l’académie nationale de médecine sur la valeur scientifique des applications de magnétothérapie, dont relève la magnothérapie par utilisation du magnobiopulse », cette technique n’est pas conforme aux données acquises de la science, justifiant la décision de la section des assurances sociales du Conseil national l’ordre des médecins.
Rappelant ainsi le nécessaire encadrement des pratiques médicales, ces arrêts viennent marquer un nouveau tournant dans la jurisprudence de la nomenclature des actes médicaux, qui sera très certainement transposable aux autres professions de santé, tant le recours à la notion de « données acquises de la science » se fait pressante dans le corpus législatif relatif aux activités médicales.
Le Conseil d’Etat l’affirme et le confirme donc par ces deux arrêts, les actes non conformes aux données acquises de la science ne sont pas facturables à l’assurance maladie et le recours à ces techniques relève pour le praticien de la faute déontologique.
Robin MOR
[1] SAS N, 5 avril 2011, n°4737 et SAS N, 5 avril 2011, n°4738
[2] CE, 27 juin 2013, n°349883 et CE, 23 octobre 2013, n°349882
[3] Cass. civ., 20 mai 1936, Mercier
[4] J-M. AUBY, H. PÉQUIGNOT, R. SAVATIER, J. SAVATIER, Traité de droit médical, Litec, 1956, p. 11