Le 31 juillet 2015, un projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats a été déposé au Sénat. Ce projet prévoit la modification de l’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature et s’inscrit dans la réforme dite « J21 », selon l’expression du gouvernement, visant à concevoir au mieux la justice du XXIe siècle.
L’indépendance peut s’appréhender comme le fait de ne pas dépendre d’une personne ou d’une institution et de prendre des décisions adéquates sans influence omniprésente. Indépendance et impartialité sont intimement liées, et l’on fait souvent découler la seconde de la première notion. L’article 64 de la Constitution du 4 octobre 1958 fait de l’indépendance de l’autorité judiciaire un droit constitutionnel. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a quant à lui admis qu’il s’agissait d’un « droit reconnu aux citoyens comme aux justiciables, qui garantit l’égalité de tous devant la loi par l’accès à une magistrature impartiale »[1]. L’indépendance des magistrats est donc une notion qui transcende la société parce qu’elle concerne les membres de l’autorité judiciaire aussi bien que tout membre du corps social.
Les débats concernant ce projet de loi organique débutèrent en septembre 2015, et ils apporteront davantage de clarté aux différents éléments du texte présenté au Sénat le 31 juillet dernier. Pourtant, nous pouvons d’ores et déjà exprimer les raisons d’un tel projet, ainsi que les modalités qu’il prévoit de mettre en place afin de renforcer l’indépendance des magistrats, ce qui est sa visée première.
L’obsolescence non programmée de l’ordonnance de 1958
Tout d’abord, le projet de loi organique présenté au Sénat au mois de juillet peut trouver une raison d’être dans le fait que le statut des magistrats de l’autorité judiciaire est réglé par une ordonnance datant du 22 décembre 1958. Les dispositions de cette ordonnance ont été peu modifiées et peuvent présenter une certaine obsolescence. Nous pouvons donner un exemple qui ne concerne pas l’indépendance des magistrats mais qui illustre cette désuétude. En effet, l’ordonnance de 1958 dispose que l’accès à la fonction publique de candidats nécessite pour ceux-ci de « remplir les conditions d’aptitude physique nécessaires à l’exercice de leurs fonctions et êtres reconnus indemnes ou définitivement guéris de toute affection donnant droit à un congé de longue durée ». Cette disposition pourrait même être considérée comme étant contraire à l’article 18 du préambule de la Constitution de 1946 qui « garantit à tous l’égal accès aux fonctions publiques ». Cet exemple nous rappelle simplement que l’ordonnance statutaire de 1958 a été prise à une époque entièrement différente de la nôtre, qui plus est dans un contexte politique particulier. Aujourd’hui, il existe une volonté accrue d’égalité, d’exemplarité et de transparence, dans les domaines politique et juridique. Afin de répondre à ces aspirations dans le champ du statut des magistrats, le gouvernement souhaite renforcer leur indépendance, en modifiant l’ordonnance prise en 1958 et déjà modifiée par le passé.
La nomination des magistrats
L’indépendance des magistrats doit être respectée dès la nomination de ces derniers, et ce, pour empêcher toute influence de la part des autorités qui nommeraient ces personnes. Ainsi, le projet de loi organique déposé le 31 juillet 2015 prévoit que les procureurs généraux ne seront plus nommés par le Conseil des ministres. De fait, l’article 64 de la Constitution du 4 octobre 1958, qui affirme l’indépendance des magistrats, dispose que « le président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature ». La modification de l’ordonnance statutaire du 22 décembre 1958 permettrait alors de respecter au mieux la lettre de la Constitution. Les magistrats seraient alors, d’après le projet de loi, nommés après avis conforme rendu par le Conseil supérieur de la magistrature sur les propositions du garde des Sceaux. Cette nouveauté dans la nomination a pu être qualifiée de symbolique, parce que le Conseil supérieur de la magistrature donnait déjà un avis simple sur les propositions du ministre de la Justice. Nonobstant, le CSM a désormais davantage de poids dans la nomination des magistrats, et cela permettrait d’accroître l’indépendance de ceux-ci vis-à-vis du gouvernement. En outre, le projet de loi instaure la nomination du juge des libertés et de la détention par décret du Président de la République. Ces modifications dans le domaine de la nomination des magistrats sont envisagées dans une volonté de renforcer leur indépendance, dont la transparence des institutions de la République découle.
Le renforcement des obligations déontologiques
La déontologie dans la magistrature est incontestablement un moyen de contrôler l’indépendance et l’impartialité des magistrats. Le projet de loi du 31 juillet 2015 prévoit deux nouvelles mesures venant modifier l’ordonnance statutaire de 1958.
Tout d’abord, le projet introduit un article 7-2 à l’ordonnance instaurant un entretien déontologique obligatoire des magistrats, dans le but de prévenir tout éventuel conflit d’intérêts possible, situation dans laquelle une personne ferait primer un int. L’autorité chargée de l’organisation de la juridiction ou du service dans lequel le magistrat exerce ses fonctions sera l’autorité en mesure d’entendre celui-ci. Cela permet de bénéficier de la proximité qui existe entre ces deux personnes afin de remplir au mieux la mission principale de l’entretien.
Par ailleurs, les plus hauts magistrats devront, selon le projet de loi, procéder à une déclaration de patrimoine. Le gouvernement souhaite en effet soumettre les plus hauts magistrats de la Cour de cassation, ainsi que les chefs de cour d’appel, à cette mesure préventive. Nous pouvons nous interroger sur la pertinence d’une telle déclaration, qui touche désormais les membres du gouvernement, les parlementaires ainsi que les grands élus locaux. Il nous semble que cet étalage de renseignements personnels ne soit qu’une volonté médiatique et intrusive de notre société où règne une communication abusive. Cette déclaration de la part des plus hauts magistrats se trouve dans la lignée des deux lois relatives à la transparence de la vie publique, adoptées le 11 octobre 2013 (LO n° 2013-906 et loi n° 2013-907). L’idée d’une déclaration de patrimoine rejoint le concept des processus d’internormativité, mis en lumière par le doyen Jean Carbonnier. De fait, les sociétés peuvent choisir de qualifier de juridiques des règles et comportements qui appartiennent déjà à d’autres systèmes du contrôle social, en l’occurrence le système fiscal. Ainsi, la déclaration de patrimoine tend à devenir une règle de droit, du moins pour ce qui est des hauts représentants de l’action publique. En tout état de cause, le ministère de la Justice voit dans l’instauration de cette déclaration de patrimoine une manière de renforcer l’image d’indépendance et d’impartialité des magistrats.
L’affirmation d’une liberté syndicale
L’ordonnance statutaire du 22 décembre 1958 ne dispose pas expressément que les magistrats bénéficient d’une liberté syndicale. Pourtant, le magistrat bénéficie du droit de se syndiquer ; il existe d’ailleurs plusieurs organisations syndicales, dont les principales sont l’Union syndicale des magistrats, le Syndicat de la magistrature et Force-Ouvrière-Magistrats. Il apparaît aujourd’hui nécessaire d’introduire ce droit de façon expresse dans l’ordonnance, parce qu’il a pu être remis en cause lors du dépôt à l’Assemblée nationale, le 5 mai 2014, d’une proposition de loi prévoyant la modification de l’ordonnance du 22 décembre 1958 dans le sens d’une interdiction des magistrats d’adhérer à une organisation syndicale.
En définitive, le projet de loi organique, déposé au Sénat le 31 juillet dernier, insiste sur les éléments qui pourraient renforcer l’indépendance et l’impartialité des magistrats. Toutefois, si, selon T. S. Eliot, « la justice est une chose trop importante pour la laisser aux juristes », pouvons-nous donc réellement parler d’indépendance concernant les magistrats ? Cette interrogation est légitime puisque ces employés du ministère de la Justice occupent une fonction bien particulière, dévouée à la société et à ses besoins. Enfin, il faut noter que le projet introduit d’autres points à l’ordonnance statutaire de 1958, tels qu’une plus grande souplesse dans la condition de diplôme pour l’accès à la fonction d’auditeur de justice, ou encore une modification des modalités d’évaluation des magistrats.
Constance Péruchot
[1] Rapport d’activité 2009, Le recueil des obligations déontologiques, La documentation française, page 73