Fin mars, le Gouvernement a présenté par la voix de son ministre de l’Action et des Comptes publics, Monsieur Gérald Darmanin, un projet de loi relatif à la lutte contre la fraude et plus particulièrement à la lutte contre la fraude fiscale. Ce projet vient contrebalancer celui pour un Etat au service d’une société de confiance présenté en Conseil des ministres le 27 novembre 2017, ce dernier ayant pour principal objet un traitement bienveillant de l’Administration dès lors que le contribuable est de bonne foi, se matérialisant de fait par le droit à l’erreur ou à l’oubli du fait de la complexité des prélèvements fiscaux et sociaux.
Dans le projet de loi contre la fraude fiscale, il s’agit à l’inverse pour reprendre les mots du ministre des Comptes publics de sanctionner avec la plus grande efficacité et sévérité « le fait de se soustraire sciemment à ses obligations contributives » (1).
Ce projet de loi vient compléter et améliorer l’arsenal législatif existant hérité de la loi contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière du 6 décembre 2013. Par ailleurs, le projet intervient dans un contexte où le Conseil Constitutionnel a récemment rappelé (2) que la lutte contre la fraude fiscale est un objectif à valeur constitutionnelle.
La contribution aux charges publiques telle qu’énoncée dans le pacte national depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 prévoit que l’impôt doit être réparti entre « tous les citoyens, en raison de leurs facultés » (3). Ce devoir qui s’impose aux contribuables s’inscrit dans le postulat selon lequel l’impôt serait le prix à payer pour une société civilisée.
Pour autant, chaque année ce serait entre 30 à 80 milliards d’euros qui échapperaient à l’administration fiscale française (4). Pour tenter de pallier ce manque de recettes fiscales, le projet de réforme s’articule autour de trois objectifs ; mieux détecter, appréhender et sanctionner la fraude (1).
Le projet de loi contre la fraude fiscale est composé de 11 articles dont voici les principales mesures :
La création d’une police spécialisée : la police fiscale
L’article 1 du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale prévoit la création d’une police spécialisée ayant pour mission de « détecter et déjouer les fraudes les plus complexes ». Composée dans un premier temps d’une cinquantaine d’agents issus exclusivement des rangs de l’administration fiscale, ces derniers seront sous l’autorité du juge judiciaire. L’idée serait que ce soit le Parquet national financier qui saisisse cette police fiscale.
Pour l’exercice de leurs fonctions, ces officiers fiscaux judiciaires disposeront des mêmes prérogatives que les officiers de police judiciaire ou des douanes judiciaires. Ils pourront ainsi procéder à des gardes à vue, filatures, écoutes téléphoniques, perquisitions ou encore commissions rogatoires internationales impliquant alors une coopération internationale.
La création d’un service de police détaché du ministère de l’Intérieur pourrait toutefois poser des problèmes institutionnels entre les polices, cela « ne serait pas conforme aux impératifs de bonne administration et susciterait de sérieux problèmes de concurrence entre services et de coordination de leurs interventions » (5) comme le souligne explicitement le Conseil d’Etat.
L’instauration du « name and shame » : nommer et faire honte
L’article 6 du projet de loi prévoit une nouvelle sanction administrative consistant à désigner publiquement le nom des fraudeurs à des fins dissuasives. Cette mesure s’appliquerait uniquement pour les personnes morales. En outre, seules les fraudes les plus graves seraient concernées « puisque le cumul des sanctions fiscales et pénales ne peut s’appliquer qu’aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse des sommes soumises à l’impôt, en application du principe de nécessité des peines » (6).
Cette sanction, qui existe aujourd’hui, revêtirait une portée obligatoire en cas de condamnation pénale, sauf décision expresse du juge. Il s’agirait donc de rendre publics les rappels d’impôts et les sanctions prononcées. Il est pourtant probable que pour les grandes multinationales pratiquant une optimisation fiscale agressive (7) et ayant une situation de quasi-monopole sur le marché à l’instar des GAFA et autres géants du Web (8), cette sanction serait sans effet sur l’opinion publique du fait d’un manque d’alternative pour les consommateurs. En revanche, pour les entreprises soumises à une pression concurrentielle forte, l’impact de cette sanction serait de nature à entacher directement l’image de l’entreprise auprès des consommateurs, de sorte que les entreprises seraient découragées par l’accomplissement d’une telle infraction.
Création d’une sanction administrative à l’endroit des professionnels du droit, les « tiers complices »
L’article 7 du projet de loi énonce la mise en place de sanctions administratives à l’endroit des « tiers complices de fraude fiscale et sociale ». Toujours selon cet article, la sanction vise plus précisément les « personnes qui concourent, par leurs prestations de services, à l’élaboration de montages frauduleux ou abusifs ». L’étude d’impact met en cause directement « des officines » telles que les cabinets d’avocats ou sociétés de conseil, offices notariaux (6), soit tout lieu où les professionnels du droit sont susceptibles d’élaborer des montages jugés frauduleux ou abusifs.
Il semblerait que la sanction administrative se matérialise par une amende allant de 10.000 euros à 50% des honoraires perçus pour la prestation fournie au contribuable. Cette mesure ne s’appliquerait « qu’aux prestations ayant contribué à la commission des manquements fiscaux et sociaux les plus graves réalisés à compter de l’entrée en vigueur de la loi » (6).
La procédure accélérée dite de « plaider-coupable » étendue à la fraude fiscale
L’article 9 du projet de loi permet « au procureur de la République de recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité en matière de fraude fiscale ». Ainsi, le fraudeur reconnaissant sa culpabilité évitera un procès en acceptant les peines proposées par le procureur de la République. Cette procédure se déroulera donc en deux temps. D’abord « une phase de proposition puis une phase d’homologation » (6).
L’avantage d’une telle procédure sera la rapidité du traitement des procédures pour fraudes fiscales comparativement à la lourdeur procédurale qu’implique un procès pour fraude fiscale. Le bénéfice d’un accord permettrait subséquemment tant à l’Administration fiscale qu’au contribuable incriminé d’être fixé sur les sanctions et d’échapper ainsi à l’aléa judiciaire.
La révision de la liste des pays considérés comme paradis fiscaux
L’article 11 du projet de loi prévoit de compléter « la liste française des Etats et territoires non coopératifs en matière fiscale (9) afin qu’elle intègre celle adoptée par l’Union Européenne en décembre 2017 » (10). Les Etats considérés comme « paradis fiscaux » par l’Union européenne seront eux aussi soumis à des mesures fiscales dissuasives ainsi que des obligations et contrôles renforcés afin de lutter contre la fraude fiscale.
Arnaud STEVENS
(1) Exposé des motifs du ministre de l’Action et des Comptes publics
(2) Décision Conseil constitutionnel, Wildentein, 24 juin 2016
(3) Article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
(4) « Un rapport sénatorial de 2012 chiffrait entre 30 et 36 milliards le coût pour l’Etat français de l’évasion fiscale, au minimum. Mais en réalité, ce manque à gagner pourrait atteindre les 50 milliards, soulignait le rapport parlementaire. L’ONG britannique Oxfam estime pour sa part que la fraude fiscale coûte chaque année 60 à 80 milliards d’euros à la France ». Source : Le figaro économie, titre de l’article « Les chiffres astronomiques de l’évasion fiscale »
(5) Avis consultatif du Conseil d’Etat sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude rendu le 22 mars 2018
(6) Etude d’impact du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude
(7) L’optimisation fiscale agressive « consiste à tirer parti des subtilités d’un système fiscal ou des incohérences entre plusieurs systèmes fiscaux afin de réduire l’impôt à payer ». Source : economie.gouv.fr
(8) Les GAFA désignent les entreprises Google, Apple, Facebook, Amazon mais aussi tous les géants du Web en situation de monopole ou quasi-monopole sur le marché
(9) La liste française des paradis fiscaux actuellement : Botswana, Brunei, le Guatemala, les Iles Marshall, Nauru, Niue, et le Panama
(10) La liste des paradis fiscaux adoptée par l’Union européenne : Bahamas, Guam, la Namibie, les Iles vierges américaines, Palaos, Saint-Christophe-et- Trinité et Tobago
Pour en savoir plus :
https://www.senat.fr/leg/pjl17-385.html