« Bienheureux les siècles qui ne connaissaient point la furie épouvantable de ces instruments de l’artillerie ! » s’insurgeait Don Quichotte.
Pourtant, les drones militaires utilisés dans les conflits armés sont de deux natures : ceux non-armés destinés à l’observation et ceux armés. Ces drones peuvent être terrestres, maritimes, ou aériens. Ce dernier est le plus problématique. Tous ces drones relèvent par leur essence de l’État, comme tout matériel de guerre. Seule cette entité dispose de la prérogative de déclencher ou de réagir à un conflit armé. Cette situation est issue, selon le droit international public, des trois cas du recours à la force permis par la Charte des Nations unies : la légitime défense (article 51), par autorisation du recours à la force par le Conseil de Sécurité des Nations unies en vertu du Chapitre VII de la Charte, ou par demande d’assistance d’un État. Donc l’usage de drones armés dans les conflits armés doit résulter de ces trois situations établies par le jus ad bellum. Dans le cas contraire, il y aurait une violation de l’interdiction du recours à la force régi par l’article 2§4 de la Charte des Nations unies. Sauf pour les drones d’observations, d’espionnages, qui restent légaux dû au flou juridique.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, l’utilisation des drones armés dans les conflits armés n’a cessé de se démocratiser. Ainsi, d’après le rapport de l’administration américaine de 2016, les États-Unis auraient effectué 473 opérations mortelles, principalement par des drones armés. Celles-ci auraient causé la mort de 2 372 à 2 581 combattants et de 64 à 116 civils. Mais les pertes civiles seraient sous-estimées selon plusieurs organisation non gouvernementales. De plus, à la vue de l’apparente efficacité des drones militaires, de nombreux États souhaitent se doter de leur propre flotte de drones militaires armés comme la France.
Ainsi, le drone en tant qu’arme n’est pas interdit par le droit international. La critique de « tampon moral » des drones est semblable à l’apparition des arbalètes. En effet, la distance de frappe des drones provoque les mêmes réactions ayant entraîné le Concile de Latran de 1139, où l’usage de l’arbalète a été interdit car la distance était dite déloyale. Mais l’usage des drones dans les conflits armés porte sur trois principales interrogations. Celles-ci concernent l’encadrement juridique international de l’usage des drones dans les conflits armés, sur la responsabilité de l’État, et sur la nécessité d’une législation internationale adaptée.
- L’encadrement juridique international actuel de l’usage des drones dans les conflits armés
L’usage d’un drone armé dans un conflit armé est principalement conditionné par le droit international général, les droits de l’Homme, et le droit international humanitaire.
Tout d’abord, le droit international général précise que le passage d’un drone armé sur le territoire d’un État tiers au conflit doit avoir l’autorisation de cet État, exerçant sa souveraineté sur cet espace (CIJ 1986 activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre-lui (Nicaragua c/ Etats-Unis d’Amérique). Or, l’usage des drones armés lors de frappes préventives, tels que les « Assassinat strike » ou « exécution ciblée », est sujet à débats. Cet usage est défendu principalement par les États-Unis contre les groupes terroristes. Ces frappes seraient autorisées dès lors que l’État où résident de tels groupes est défaillant. Il s’agirait donc d’une zone de conflit armé. Ce qui justifierait l’usage de leurs drones armés en Syrie. Cette doctrine est réfutée par la France et l’Union européenne. En effet, cet usage serait contraire à la Charte des Nations Unies. L’État usant de la doctrine américaine, comme le Royaume-Uni, causerait des ingérences envers l’État dit défaillant. De plus, cette philosophie provoquerait un abaissement de la notion de recours à la force armée et permettrait d’élargir la zone de conflit armé en fonction des menaces identifiées par l’État agresseur.
Ensuite, les droits de l’Homme protègent les opérateurs de drone situés sur un État tiers non belligérant en tant que cibles de l’État répliquant.
Enfin, le droit international humanitaire, ou jus in bello, régit les conflits. Selon lui, toute arme doit respecter les critères de nécessité, de proportionnalité, de précaution, de distinction, et d’interdiction de causer des maux superflus. Or l’usage des drones armés dans les conflits armés fait justement craindre une atteinte à ce droit. Lors d’attaques sur des individus désignés (Personnality strike), le drone armé semble le plus à même de respecter ces critères. En effet, un drone peut rester sur la même zone plus longtemps qu’un aéronef militaire classique, tout en ayant de meilleurs systèmes d’observations. Ainsi, l’attaque ne se produira que lorsque l’environnement sera le plus à même de respecter ces conditions. Mais si un groupe de personnes présumées combattantes est attaqué (Signatures strikes), les critères de précaution et de proportionnalité sont malmenés. Le but est de mener une offensive contre un groupe pouvant être potentiellement des combattants ennemis. Or il peut s’agir de civils et non de combattants armés. Ce qui est contraire au Protocole additionnel I des Conventions de Genève de 1949 stipulant que les civils doivent être préservés des affrontements armés. Les défenseurs de l’usage des drones armés insistent sur l’importance d’avoir un humain dans le processus d’intervention. Deux processus se différencient sur le degré d’intervention de l’homme. Premièrement, le « Human-in-the-loop weapons » lorsqu’un opérateur guide l’action du drone armé. Ce qui est le cas de la majorité des drones armés existant. Enfin, le « human-on-the-loop weapons » quand l’homme ne fait que surveiller l’action du drone. Par le nombre de données recueillies par les drones, l’opérateur est théoriquement plus à même de veiller au respect du jus in bello.
Cependant, un nouveau type de drone tend à émerger : les systèmes d’armes létaux autonomes dits « SALA ». Ces drones sont totalement souverains quant à leur utilisation. Aucun opérateur n’intervient, il s’agit de la logique : « human-out-of-the-loop weapons ». Ces drones amplifient les interrogations existantes sur l’usage des drones dans un conflit armé. Par exemple, le droit international humanitaire permet à un combattant ennemi de se rendre. Or il n’est pas certain qu’un SALA puisse faire la différence entre un combattant belligérant et un combattant belligérant non-armé se rendant. Ce qui serait une atteinte au principe de distinction.
- La responsabilité de l’État de l’usage des drones militaires armés dans un conflit armé
La responsabilité de l’État de l’usage de ses drones militaires dans un conflit armé répond au droit international général. Dès lors que l’État utilise ses drones armés, hors des exceptions du recours à la force permises par la Charte des Nations unies, sa responsabilité pourra être engagée par l’État victime. En effet, le fait générateur est imputable à l’État usant du drone armé pour fait illicite (CIJ 1949 Detroit de Corfou (Royaume-Uni c/ Albanie). Néanmoins, des interrogations se posent en cas de piratage du drone armé par un tiers non identifié. Le dommage commis par ce drone armé piraté ne relève plus du contrôle de l’État. Mais celui-ci a-t-il manqué à un devoir de vigilance pouvant engager sa responsabilité au plan international ou bien est-ce un cas de force majeure? Le cas n’étant pas encore arrivé, le droit reste silencieux sur ce point.
- La nécessité d’une législation internationale adaptée à l’usage et à l’évolution des drones
A l’heure actuelle, aucun drone n’est interdit par la Convention sur certaines armes classiques de 1980. Mais par la multiplication de frappes dues à des drones armés et avec l’apparition des SALA, l’idée la plus pragmatique qui est d’établir un protocole se rattachant à cette convention se concrétise. Ainsi, en décembre 2016, 88 États ont décidé de se réunir en août et en automne 2017 afin de préparer un projet de protocole sur l’usage des drones pour fin 2017. Il apparaît que l’utilisation des SALA est principalement visée. L’interdiction de drone répondant au processus « human-out-of-the-loop weapons » est appuyée par de nombreux experts techniques à la vue de l’exemple du rôle des chimistes dans l’interdiction des armes chimiques. Mais de nombreux débats s’instaurent sur le degré d’implication que l’homme doit avoir sur le drone armé. Certains États insistent sur un « contrôle significatif » contrairement à des organisations non gouvernementales telle que Human Rights Watch préférant le terme de « contrôle effectif ». Enfin, l’usage des drones civils devenus armés par des groupes terroristes, comme DAESH, fait également apparaître la nécessité de suivi d’achat des drones à la base civils.
Romain Hénaff
Sources :
Pierre-Marie Dupuy et Yann Kerbrat, « Droit international public », Précis Dalloz, 13ème édition, 2016.
Annegret Mathari, « Les drones dans une zone juridique grise », Plaidoyer 4/13 : http://www.humanrights.ch/fr/droits-humains-internationaux/nouvelles/terrorisme/drones-une-zone-grise-juridique
Jean-Baptste Jeangène Vilmer, « Légalité et légitimité des drones armés », Politique étrangère, IFRI: http://politique-etrangere.com/2013/10/08/legalite-et-legitimite-des-drones-armes/
Colloque CRJ Pothiers « le droit à l’épreuve des drones militaires »:https://www.youtube.com/playlistlist=PLe9S7Ud4EQv13ZlS4GhqjiMy1JVY69TYE
Julien Ancelin, « Les systèmes d’armes létaux autonomes (SALA) : Enjeux juridiques de l’émergence d’un moyen de combat déshumanisé », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 25 octobre 2016 : https://revdh.revues.org/2543
Edouard Pflimlin, « Les Nations unies contre Terminator », Le Monde diplomatique, mars 2017