L’utilisation des courriels sur le lieu de travail : vers une totale liberté des salariés ?

Tout individu a droit au respect de sa vie privée et cela même sur son lieu de travail. Or, il est légitime pour l’employeur de vouloir s’assurer que ses salariés travaillent de manière effective sur le lieu et temps de travail. Dès lors, deux intérêts s’opposent. Les tribunaux ont progressivement construit une jurisprudence visant à trouver un juste équilibre.

La (sur)protection constante des emails des salariés au travers du secret des correspondances

Le droit au respect de la vie privée, qui s’exprime notamment au travers du secret des correspondances, est protégé par de nombreux textes[1]. Partant de là, la jurisprudence avait initialement posé le principe du secret des correspondances électroniques des salariés sans en définir clairement les limites[2]Cette solution était intenable vis-à-vis des employeurs. La Cour de cassation a procédé par étape[3] pour finalement aboutir en 2013[4] à un inversement du principe. Dans cet arrêt, la Cour applique aux messageries professionnelles la jurisprudence selon laquelle tous les documents détenus par le salarié que ce soit dans l’ordinateur ou sur le bureau sont présumés avoir un caractère professionnel sauf si le salarié indique explicitement qu’ils sont personnels. Ainsi, par principe, les emails émis et reçus sur la messagerie professionnelle du salarié sont présumés être professionnels. L’employeur peut donc les consulter sans violer la vie privée des salariés. Il faut tout de même préciser qu’il s’agit d’une présomption simple. Dès lors, si le courriel ne fait pas clairement apparaitre dans son objet qu’il s’agit d’un message personnel, ce caractère lui sera quand même reconnu si le contenu ne relève pas de la sphère professionnelle.

Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 26 janvier 2016[5] a ajouté un troisième cas de protection des courriels des salariés. En l’espèce, l’employeur a utilisé des emails issus de la messagerie personnelle du salarié mais lus/envoyés depuis son ordinateur professionnel pour mettre fin à son contrat de travail. La Cour de cassation a considéré que l’employeur avait violé le secret des correspondances. Les emails émis et reçus sur une messagerie personnelle relèvent donc de la vie privée du salarié, et cela même s’ils ont été lus ou écrits sur un ordinateur professionnel et qu’aucune mention du caractère personnel du message n’était présente.

Dans ces trois hypothèses, les messages électroniques, étant couverts par le secret des correspondances, ne peuvent être utilisés par l’employeur pour justifier la sanction ou le licenciement dudit salarié. Cette solution peut aboutir à une protection disproportionnée du salarié au détriment de l’employeur. Prenons l’exemple d’un salarié qui utilise son ordinateur professionnel pour s’adresser via son adresse personnelle des documents internes à l’entreprise ou d’un salarié qui occupe une grande partie de son temps de travail à candidater à des offres d’emploi. Dans les deux cas, ces agissements sont préjudiciables à l’employeur. Pour autant, celui-ci ne pourra utiliser ces éléments, du moins leur contenu, pour sanctionner le salarié dans la mesure où ils sont protégés par le secret des correspondances.

Par conséquent, il est difficile pour l’employeur de sanctionner les salariés pour des abus liés à l’utilisation des messageries professionnelles et personnelles. Pour autant, les employeurs ont un pouvoir de direction sur les salariés basé sur l’existante même du contrat de travail.

Le pouvoir de direction de l’employeur modulé pour préserver les intérêts des salariés en matière d’utilisation des nouvelles technologies

La signature d’un contrat de travail fait naître un lien de subordination entre le salarié et l’employeur. Il en découle des droits et des obligations réciproques. Parmi les droits de l’employeur figure le pouvoir de direction grâce auquel il peut déterminer, contrôler et surveiller l’exécution du travail. Là encore, les textes et la jurisprudence ont œuvré afin d’essayer de trouver un équilibre entre les intérêts des deux parties. Selon la jurisprudence, le fait pour l’employeur d’interdire aux salariés d’utiliser l’ordinateur professionnel à des fins personnelles ne permet pas de lever le secret des correspondances. Malgré tout, l’employeur peut mettre en place différents outils au sein de l’entreprise afin de contrôler l’utilisation des nouvelles technologies et donc de faciliter la preuve en cas de faute du salarié. Il peut tout d’abord mettre en place un règlement intérieur, dans lequel il précise les conditions d’utilisation des ordinateurs[6], ainsi qu’une charte d’utilisation des nouvelles technologies. Ces documents pour être opposables aux salariés doivent leur avoir été communiqués et avoir été signés par ces derniers. L’employeur peut également mettre en place un contrôle de l’utilisation d’internet et/ou de la messagerie. Dans ces deux cas, les salariés doivent avoir été préalablement informés de la finalité et des modalités de ce contrôle[7]. La mise en place de ces mesures permet donc de préserver les intérêts des deux parties.

Pour finir, il convient d’envisager les modalités de preuve de ce type de faute. Sur ce point, l’employeur est dans une position très inconfortable. On l’a vu, il dispose de peu de marges de manœuvre. Il peut en effet se voir facilement opposer l’irrégularité ou l’illicéité de la preuve. Concrètement, celui-ci va devoir prouver trois éléments. Le premier consiste à prouver l’existence de la faute[8]. Pour cela, l’employeur devra établir que le salarié utilise les moyens informatiques mis à sa disposition par l’entreprise sur le temps de travail à des fins étrangères à l’activité de l’entreprise et démontrer le degré de gravité de l’utilisation. Il faut préciser que l’employeur ne peut pas utiliser le contenu des messages considérés comme «  personnels ». Il doit donc trouver une solution afin de prouver l’abus sans dévoiler l’essence de ces derniers. C’est tout l’art d’un équilibriste. Ensuite, il devra démontrer que cet usage porte atteinte à l’entreprise (ex : engagement de la responsabilité de l’entreprise ou fréquence de l’utilisation)[9]. Enfin, il devra établir qu’il a collecté les preuves de manières loyales et légales[10]. Autant de conditions qui sont, il faut bien l’admettre, souvent difficile à réunir.

En conclusion, on peut noter la volonté de la jurisprudence et des textes de trouver un juste équilibre entre les intérêts des salariés (respect de leur vie privée) et ceux de l’employeur (travail effectif des salariés et loyauté envers l’entreprise). Cependant, il n’en demeure pas moins qu’il est aujourd’hui très délicat pour l’employeur de sanctionner les abus en matière d’utilisation des messageries électroniques et plus largement des nouvelles technologies. Une telle position est nécessairement amenée à évoluer puisqu’elle permet aujourd’hui aux salariés d’agir abusivement et impunément sous couvert du secret des correspondances.

Bérénice Echelard

Pour en savoir plus :

http://www.avocatparis-cdd.org/GEIDEFile/Soc_Bienent_dos.HTM?Archive=192109191038&File=Dossier#_Toc164499041

http://www.juritravail.com/Actualite/internet-travail/Id/235561

http://www.net-iris.fr/blog-juridique/173-blandine-allix/32585/utilisation-de-e-mail-et-internet-au-travail-risque-de-licenciement

[1] Article 9 du code civil, article 8 de la CEDH, article 2 de la DDHC ou l’article 226-15 du code pénal

[2] Arrêt Nikon – chambre sociale de la Cour de cassation 02 octobre 2001 (N° pourvoi 99-42.942)

[3] Voir les arrêts de la chambre sociale du 17 mai 2005 (N° pourvoi 03-40017), deux arrêts du 18 octobre 2006 (N° pourvoi 04-48.025 et 04-47.400) et l’arrêt du 18 mai 2007(N° pourvoi 05-40.803)

[4] Chambre sociale arrêt du 16 mai 2013 (N° pourvoi 12-11.866)

[5] Chambre sociale – N° pourvoi 14-15.360

[6] Chambre sociale Cour de cassation arrêt du 18 décembre 2013 (N° pourvoi 12-17.832) : violation du règlement intérieur et des obligations du salarié dans le cadre d’une utilisation à des fins privées de l’ordinateur, du réseau et de la messagerie professionnelle

[7] Les institutions représentatives du personnel doivent être consultées au préalable et la procédure doit être déclarée auprès de la CNIL avant d’être mise en place

[8] CA Paris arrêt du 22 mai 2000 n°298/34330 et jugement du conseil des Prud’hommes d’Angers du 30 janvier 2009

[9] Chambre sociale Cour de cassation arrêt du 2 juin 2004 (N° pourvoi 03-45.269) et 18 mars 2009 (N° pourvoi 07-44.247)

[10] CA Montpellier arrêt du 6 juin 2001 – SCP L. et B. / M.K , Chambre sociale Cour de cassation arrêt du 10 juin 2008 (N° 06-19.229) et du 8 octobre 2014 (N° pourvoi 13-14.991)

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