Dans un contexte favorable à la remise en cause des monopoles consentis pour les jeux de hasard (voir article page 14 du numéro 2 du LPJ), l’arrêt rendu à titre préjudiciel par la Cour de justice des Communautés européennes le 8 septembre 2009 mérite d’être souligné.
La Cour y en effet estime que l’interdiction par un Etat membre à des opérateurs établis dans d’autres Etats membres où ils fournissent légalement des services analogues, de proposer des jeux de hasard en ligne sur son territoire n’est pas contraire au principe de libre prestation des services posé par l’article 49 du Traité instituant la Communauté européenne.
L’affaire opposait une entreprise privée de jeux en ligne à l’entité portugaise bénéficiant du droit exclusif d’organiser et d’exploiter certains jeux de hasard sur Internet. L’entreprise privée a introduit un recours pour demander l’annulation des décisions lui infligeant des amendes pour le développement, l’organisation, l’exploitation et la publicité de jeux de hasard en ligne couverts par le droit exclusif en question.
Après avoir souligné, conformément à sa jurisprudence antérieure, que la législation en cause constitue une restriction à la libre prestation des services, la Cour analyse la conformité de cette restriction au droit communautaire en étudiant les conditions jurisprudentielles habituelles, notamment les principes de proportionnalité, de nécessité et de non discrimination. Ayant constaté que l’objectif poursuivi par la réglementation en cause est la protection des consommateurs de jeux de hasard contre des fraudes commises par les opérateurs, la Cour admet le risque de délits et de fraudes que comportent ces jeux en raison des sommes susceptibles d’être collectées. Le contrôle étroit par les pouvoirs publics de l’organisme bénéficiant du droit exclusif est quant à lui propre à protéger les consommateurs. De plus, la marge d’appréciation des Etats membres comprend la possibilité de considérer le respect des conditions légales et les contrôles effectués dans le pays d’origine de l’opérateur comme une garantie insuffisante à la protection des consommateurs. C’est donc « eu égard aux particularités liées à l’offre de jeux de hasard par Internet », que la législation peut être considérée comme justifiée et donc conforme au droit communautaire.
La Cour a ici suivi les conclusions de son Avocat Général Monsieur Bot, présentées le 14 octobre 2008, dans lesquelles celui-ci insiste sur la particularité des jeux de hasard en ligne et sur l’absence d’harmonisation des législations nationales en la matière aussi bien au regard de la notion de jeux de hasard et d’argent qu’au regard du champ d’application des législations. Cette absence d’harmonisation laisse par conséquent une marge d’appréciation relativement importante aux Etats membres, et cela d’autant plus que pour, Monsieur l’Avocat Général, les avantages d’une ouverture maximale du marché intérieur ne sont pas pertinents dans le domaine des jeux de hasard sur Internet. Ces jeux sont non seulement susceptibles de compromettre les situations familiale, économique, voire sanitaire des joueurs, mais aussi de constituer un moyen de blanchiment de sommes d’argent obtenues illégalement.
Cette position de la Cour en faveur d’une législation nationale octroyant un monopole pour les jeux de hasard en ligne semble reposer sur la possibilité pour l’Etat membre de diriger et contrôler de manière effective les activités de l’organisme bénéficiant du monopole d’exploitation sans rechercher des profits maximaux. Si la législation portugaise a passé les tests de proportionnalité et de nécessité avec succès, la législation française n’aura peut être pas la même chance.
Julie-Anne Boffety
Pour en savoir plus |
Le Forum des droits sur l’internet
Conclusions de l’Avocat Général M. Yves Bot, Dalloz Actualité, 14 septembre 2009, S. Lavric |