Christian Estrosi, ministre de l’industrie, a déclaré sur Europe 1 à propos de la loi de changement de statut de la poste qu’il voulait « faire rajouter dans le texte, qu’en application du préambule de la Constitution de 1946, La Poste ne sera pas privatisable. […] Je vais la rendre, c’est un mot qui n’est pas français mais que j’utilise à dessein, ‘imprivatisable’ ». Le terme « imprivatisable » rentrera-t-il demain dans le vocabulaire juridique, ou est-il condamné à demeurer au stade de néologisme ?
On le sait, la valeur juridique du préambule de 1946 a été reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa célèbre décision « liberté d’association » de 1971. La disposition du préambule à laquelle le ministre de l’industrie fait référence est l’alinéa 9 : « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Une interprétation littérale rendrait indéniablement la disposition inapplicable en l’état et marquerait une franche rupture avec la tendance politique actuelle qui est plutôt à la privatisation, y compris pour des secteurs où l’Etat avait un monopole de facto et même de jure (par exemple France Telecom ou Gaz de France). Pourtant, une interprétation exégétique ou téléologique aboutirait exactement au même résultat. Cela s’explique par le caractère anachronique d’une disposition votée au sortir de la guerre, dans un contexte politique bien différent, et où tout était à reconstruire.
La question qui se pose, au-delà de l’interprétation, est celle de la mise en œuvre de cette disposition. Les services publics nationaux et monopoles de fait doivent-ils être désignés expressément par le constituant, ou doivent-ils être appréciés au cas par cas par le juge constitutionnel ? Dans le premier cas, le législateur n’aurait pas la compétence pour élever une entreprise au rang de « service public national ». Dans le second cas, il ne pourrait que proposer une interprétation de la disposition constitutionnelle en qualifiant telle ou telle entreprise de service public national, mais au final l’appréciation reviendrait au Conseil constitutionnel qui aura le pouvoir de valider cette interprétation ou de la censurer.
L’ajout dans la loi d’une disposition prévoyant que La Poste serait imprivatisable en application du préambule de la Constitution de 1946 serait donc juridiquement sans effet, se serait une pure figure de style. On ne peut même pas arguer que cette disposition rendrait indispensable l’intervention du législateur pour privatiser La Poste, puisque l’article 34 de la Constitution prévoit déjà la compétence de la loi en matière de nationalisation et de privatisation. Même si La Poste était expressément qualifiée de « service public national » dans le marbre de la Constitution par une révision constitutionnelle, cela ne la rendrait pas pour autant imprivatisable dans l’absolue. En effet, le pouvoir constituant d’aujourd’hui ne peut pas lier le pouvoir constituant de demain, ce dernier pourrait toujours revenir sur cette disposition.
Il est courant que le juridique vienne au secours du politique, mais lorsque le droit se mêle à l’actualité cela se fait souvent au détriment de la sécurité juridique. Ce type de dispositions dénuées de portée juridique, les électrons législatifs, nuisent à la lisibilité de la loi. Or, quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite (Rapport 1991 du Conseil d’Etat).
François Clément
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