Fin 2005, le Conseil de la concurrence s’était accordé une certaine autonomie dans la mise en œuvre du principe de loyauté dans l’administration de la preuve. Au terme d’une bataille judiciaire de cinq ans, la Cour de cassation réunie en Assemblée Plénière a finalement imposé le strict respect de ce principe à la Cour d’Appel de Paris. Si cette victoire de l’éthique probatoire est saluée par beaucoup, reste que l’efficacité du contentieux anticoncurrentiel risque de s’en trouver significativement affaiblie.
Visant à poursuivre et sanctionner les agissements des opérateurs économiques nuisibles au bon fonctionnement du marché, le droit de la concurrence présente un caractère quasi répressif. A l’instar de la procédure pénale, le contentieux anticoncurrentiel compte donc quelques particularismes par rapport au droit commun.
Un principe de loyauté plus souple inspiré du droit pénal
L’article 427 du Code de procédure pénale, tel qu’interprété par le Chambre Criminelle de la Cour de cassation[1], permet à une partie privée d’établir valablement une preuve par quelque moyen que ce soit, tant qu’elle reste soumise au débat contradictoire. S’inspirant de cette solution, le Conseil de la concurrence avait assoupli l’exigence de loyauté de la preuve dans sa décision du 5 décembre 2005. L’enregistrement d’une conversation téléphonique réalisé par la partie saisissante à l’insu de son interlocuteur avait ainsi été reçu comme moyen de preuve valable. Jugé proportionné aux fins du contentieux anticoncurrentiel, ce moyen fût approuvé en appel par la Cour de Paris.
Cependant, le 3 juin 2008, la Chambre commerciale de la Haute Cour a cassé l’arrêt d’appel au visa de l’article 6§1 CEDH. L’éthique probatoire et la cohérence du droit en sortaient renforcées, la spécificité de la procédure pénale préservée. Mais la Cour d’Appel de Paris statuant sur renvoi, préoccupée par l’atteinte portée à l’efficacité du contentieux de l’Autorité de la concurrence, résiste, estimant que « l’utilisation de tels éléments de preuve n’est pas disproportionnée aux fins poursuivies par le droit de la régulation économique »[2].
Une telle insoumission des juges du fond a suscité l’ire de nombreux commentateurs. Comme le Professeur G. Decocq, ils se sont irrités de la prévalence ainsi accordée à l’efficacité de la lutte contre les comportements anticoncurrentiels sur l’éthique probatoire, les libertés individuelles et même la confiance en la justice.
Retour à l’orthodoxie
Saisie d’un nouveau pourvoi, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a imposé, dans un arrêt du 7 janvier 2011, la solution adoptée par sa Chambre commerciale en 2008. En plus de l’article 6§1 CEDH sont visés l’article 9 du Code de procédure civile, ainsi que le « principe de loyauté dans l’administration de la preuve ».
Deux conséquences découlent de cette décision de politique juridique. D’abord, la référence à l’article 9 du CPC rappelle que le contentieux de l’Autorité de la concurrence, « sauf disposition expresse contraire du Code de commerce », reste soumis à la procédure civile. Enfin, l’énonciation claire d’un « principe de loyauté dans l’administration de la preuve » semble supporter l’émancipation d’un ‘nouveau’ principe général du droit, vraisemblablement appelé à prendre de l’importance à l’avenir[3].
Quel avenir pour la preuve des ententes ?
Lucien Midot
Master 2 Droit Européen Comparé
Université Paris II Panthéon-Assas
Notes
[1] i.e. : Cass. crim., 15 juin 1993 : D. 1994, jurisp., p. 613 et s., note C. Mascala
[2] CA Paris, 29 avr. 2009, JurisData n°2009-007496
[3] Tiré de l’analyse de D. Bosco
[4] Voir l’analyse de Julien Raynaud |
Pour en savoir plus
David BOSCO, in Contrats Concurrence Consommation n°3.
Julien RAYNAUD, in La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n°15
E. CHEVRIER, in Dalloz Actualité, jan 2011. |