Selon les derniers chiffres communiqués par la DDT([1]) des Hautes-Alpes, déjà 13 attaques et 30 victimes ont été comptabilisées entre janvier et avril 2015, contre 3 attaques et 7 victimes sur la même période en 2014.
C’est dans ce contexte que le 15 mai dernier, en région PACA, le maire de la commune de Pelleautier a pris un arrêté autorisant tout citoyen de sa commune possédant une arme et en âge de s’en servir d’abattre à vue un loup qui s’en prendrait aux hommes et/ou aux troupeaux. Ledit maire a vu son arrêté être qualifié d’illégal par le préfet départemental qui lui a enjoint de retirer son arrêté.
L’arrêté municipal litigieux énonçait notamment: « tout citoyen majeur, muni d’une arme, ayant la faculté de s’en servir », pour « éliminer le loup ou tout autre prédateur qui s’attaquerait aux troupeaux et/ou à l’être humain, et ceci afin d’assurer la sécurité des personnes et de leurs élevages »
Dans cette affaire, on voit encore l’affrontement continu entre les agriculteurs et les associations de protection pour l’environnement, ici l’antenne départementale de la FNSEA, principal syndicat des agriculteurs, qui soutient la démarche du maire, contre les associations de protection de la faune Ferus et ASPAS, qui ont saisi le juge administratif en référé afin d’obtenir rapidement la suspension de l’arrêté.
Un maire peut-il prendre un arrêté autorisant la chasse aux loups au regard de la protection du loup et de son pouvoir de police ?
Ici, deux enjeux entre en concurrence : l’ordre public écologique (I) et l’ordre public classique (II). Le tout étant arbitré par un pouvoir de police spéciale en la matière, car rattaché au droit de la chasse.
L’ordre public écologique : loup, une espèce protégée mais perçue comme nuisible
Le principe légal d’une espèce menacée à protéger selon la loi
En écologie, l’espèce constitue l’unité de base du vivant. En droit, elle est comprise comme « l’ensemble des individus de caractères semblables porteurs de reproductivité et de variabilité ». De ce fait, un système de normes s’est créé afin de préserver l’espèce selon sa biologie mais en s’attachant à la notion de population plutôt qu’à celle d’individu ([2]).
Le loup est ainsi une espèce protégée au titre de la Convention de Berne([3]) et de la Directive Habitats-Faune-Flore([4]). Une telle qualification juridique implique que cette espèce est non domestique([5]) (notion biologique), appartient au patrimoine biologique français et communautaire (notion géographique) et, est inscrite sur une liste par un arrêté ministériel précisant un régime d’interdiction (notion juridique). Ces trois conditions sont remplies par le loup, notamment puisqu’il est protégé au niveau national par l’arrêté ministériel du 22 juillet 1993 fixant la liste des mammifères protégés sur le territoire national et les modalités de leur protection([6]). En effet, le loup gris ou loup commun (Canis lupus) est une espèce menacée([7]). Cela a notamment pour conséquence d’interdire « sur tout le territoire métropolitain et en tout temps la destruction, la mutilation, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel ».
La dérogation applicable à une espèce perçue comme nuisible à réguler
Or, par exception, la population des espèces animales peut être régulée, notamment lorsque l’espèce est considérée comme « nuisible ». Cette qualification intervient lorsque celle-ci cause des troubles au-delà d’un certain seuil d’acceptabilité : le dommage – ou sa perception. Comme c’est le cas en l’espèce. Mais cela a pour conséquence l’intervention d’une police spéciale présente en droit de la chasse : la police de la destruction des animaux nuisibles et louveterie([8]). Le droit distingue ainsi l’animal nuisible qui doit être détruit (selon des considérations scientifiques comme le déséquilibre biologique) et l’espèce causant un déséquilibre fonctionnel (au regard de perceptions socio-économiques voire culturelles) qui est à réguler([9]).
En l’espèce, le loup est une espèce protégée et « susceptible de jouer un rôle bénéfique dans la chaîne écologique, notamment en détruisant des animaux nuisibles ou malades »([10]). Par conséquent, il ne peut être régulé que sur la base du droit de la protection des espèces([11]). En effet, en tant qu’espèce protégé, il ne peut pas faire l’objet d’un classement juridique en tant qu’espèce nuisible. De ce fait, sa destruction volontaire lors d’une battue pour l’éliminer au titre des « animaux malfaisants ou féroces » est illégale. Pourtant, il fait partie d’une catégorie hybride – comme l’ours – entre espèce protégée et nuisible([12]), dont la population est à réguler par la police spéciale au moment de battues. Effectivement, l’application de l’art. L.427-6 (issu de la loi d’avenir pour l’agriculture de 2014) applique le régime des espèces nuisibles au loup sans pour autant explicitement l’intégrer à cette catégorie. Par conséquent, un prélèvement des individus est possible dans le respect du seuil de viabilité de la population des loups([13]). En effet, la régulation doit être pensée dans la logique du principe de gestion durable, d’où l’existence du Plan nation d’actions Loup qui prône la prévention et la gestion différenciée pour l’espèce ainsi que la concertation des acteurs. Pourtant le seuil maximum de loups à « réguler » entre 2013 et 2014 s’élevait à 24 loups, soit 10% de la population en France. Cette mesure fut applicable dans divers départements dont celui des Hautes-Alpes et d’autres où la présence de l’espèce est sporadique. Cette qualification de nuisible vient alors limiter la colonisation de l’espèce protégée dans certaines régions. Les tirs de prélèvements peuvent être effectués en dehors de toute considération de sécurité immédiate pour les hommes et leurs biens, puisqu’ils ne peuvent être autorisés par le préfet du département que dans les zones où la pression de prédation par le loup est avérée et importante, et qu’elle occasionne des dégâts aux élevages([14]).
In fine, tant dans l’esprit des Hommes que dans le droit, le loup a un caractère qu’il est difficile de définir et d’appréhender. En tant qu’espèce protégée, il peut paraître inconcevable qu’elle soit à réguler – tuer en somme – notamment lorsque la population reste faible. Le loup est le reflet de considérations opposées entre protection de l’environnement appuyée par les scientifiques et le monde agricole appuyé par les politiques de rendements.
L’ordre public classique : maire et berger, le pouvoir de police et le droit de chasse
La responsabilité du maire évitée par la réclamation d’un droit de chasse
Sans nul doute en se calquant sur l’un de ses proches voisins([15]), le mairie de Pelleautier a « ordonné les opérations de tir sur le loup ou tout autre prédateur » afin « d’éliminer le loup » et « d’assurer la sécurité des personnes et de leur(s) élevage(s) »([16]). Cette décision a été prise au nom de l’ordre public, décliné par l’article L.2212-2 du CGCT([17]), mais aussi au nom du soutien à l’économie agro-sylvo-pastorale([18]) et de la protection des troupeaux contre la prédation([19]) des « animaux malfaisants ou féroces ». En effet, l’arrêté révèle le caractère urgent de la situation au vue des dégâts occasionnés par les attaques répétées en quelques jours d’intervalle et le fait que cette mesure ne nuira pas à l’état de conservation – favorable – du loup sur cette zone. De plus, il est souligné qu’aucun loup n’avait été tué dans le cadre des tirs de prélèvement ordonnés en 2014. Ainsi, le but de l’arrêté municipal, d’après le maire, est de faire réagir l’Etat pour que soit pris en considération le fait que les citoyens ne peuvent pas agir contre ce genre de menace, pour se protéger et protéger leurs biens. En effet, il dénonce une réglementation limitée car ne permettant pas aux agriculteurs non titulaires d’un permis de chasse de protéger leurs troupeaux. De plus, en prenant un tel arrêté il souhaite éviter que sa responsabilité soit mise en cause pour ne pas avoir agi afin de protéger ses concitoyens. Pourtant, il semble admis une responsabilité sans faute de l’Etat du fait de la loi ou du fait d’une décision administrative. En effet, lorsqu’un déséquilibre provient de la surpopulation d’une espèce dont la cause se lit dans les mesures édictées par la loi, la responsabilité de l’Etat et de l’administration sera sans faute([20]).
Le coup d’arrêt du préfet : la police spéciale de la chasse
Pourtant la réponse du préfet départemental a été sans appel : l’arrêté municipal est illégal. Effectivement, en dehors de toute autre considération, le maire d’une commune n’est pas habilité à prendre de telles mesures. Les tirs de défense peuvent être autorisés seulement par le préfet départemental. De plus, cette autorisation ne peut pas être délivrée à tout citoyen puisque l’éleveur doit bénéficier de cette autorisation préfectorale et peut déléguer la réalisation des tirs de défense uniquement à d’autres personnes désignées nommément dans l’arrêté, car le tireur doit avoir un permis de chasser valable.
Eu égard à ces éléments, le déséquilibre fonctionnel dénoncé a été reconnu. C’est pourquoi, le préfet des Hautes-Alpes a pris un arrêté, lui aussi le 15 mai, autorisant le tir de défense pour des éleveurs qui seraient dorénavant victimes d’une attaque de loup sur les communes de Pelleautier ou de La Bâtie-Montsaléon. En effet, les tirs de défense sont autorisés afin d’assurer l’ordre public et donc la sécurité des biens et des personnes, alors que les prélèvements ne peuvent être autorisés que lorsqu’une « situation de dommages exceptionnels » est avérée([21]). Par conséquent, les éleveurs, les groupements pastoraux, les propriétaires (publics ou privés) d’exploitation agricole d’élevage, les lieutenants de louveterie, gardes assermentés ou chasseurs dans certains cas, titulaires d’un permis de chasse, peuvent procéder aux tirs de défense. Les bénéficiaires de telles dérogations doivent alors informer immédiatement le préfet du département de toute destruction ou blessure de loup intervenue dans le cadre des opérations qu’ils ont mises en œuvre. Les agents de l’ONCFS([22]) prennent en charge le cadavre ou la recherche de l’animal blessé. Enfin, la destruction d’un loup, sans respecter ces règles de dérogation, est punie jusqu’à un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
Conclusion
Il pourrait être intéressant de réglementer plus encore le droit de chasser et en faire un métier connaissant bien l’écologie et donc les moyens réguler sans causer de tort à la protection des espèces. Cette idée a déjà été proposée par le Pr. Naim-Gesbert et pourrait avoir comme soutient un arrêt de la CAA de Bordeaux([23]). Effectivement, la Cour renforce la protection de l’ours contre les activités cynégétiques, et notamment la chasse en battue, reconnue comme étant un élément perturbateur pour l’espèce et les écosystèmes. Or, le droit de chasser fait face à des coutumes bien ancrées dans l’histoire française, c’est-à-dire le caractère symbolique de la chasse, autorisée aux plus grands seigneurs. Cependant, le juge administratif a, dans ce même arrêt, rejeté l’argument selon lequel la chasse constitue une tradition culturelle qui est d’intérêt général selon l’Etat. Cela permet d’appuyer l’idée proposée précédemment. De même, un équilibre entre le monde agricole et la protection de l’environnement doit s’opérer au niveau local. Un travail de concertation est donc plus que nécessaire, notamment avec l’aide d’experts issus de ces deux domaines intimement liés.
Et pourtant… L’Etat ne facilite pas ce travail, notamment avec l’apparition de deux nouveaux arrêtés ministériels du 30 juin 2015([24]) par les ministres de l’Ecologie et de l’Agriculture actuels, respectivement Ségolène Royal et Stéphane Le Foll. Ces arrêtés viennent faciliter les prélèvements de loups. En effet, le premier fixe à 36 le nombre maximum de loups qui pourront être abattus pour la période 2015-2016, au titre de dérogations au statut de protection de l’espèce ; le second arrêté autorise désormais les tirs d’effarouchement et de défense dans les cœurs des parcs nationaux dont les décrets de création autorisent la chasse. Il faut savoir que ces deux textes ont été pris malgré une consultation publique opposée à ceux-ci et une pétition en faveur d’une cohabitation entre le loup et le pastoralisme – avec près de 67 000 signatures. Ainsi, cela traduit une volonté de la part de l’Etat de mobiliser des moyens importants pour accompagner les éleveurs dans la mise en place de mesures de protection des troupeaux domestiques et indemniser les dommages pour lesquels la responsabilité du loup n’est pas écartée, au lieu de mobiliser ces fonds pour la protection du loup, espèce menacée et protégée au niveau national comme international. Les priorités ont donc été choisies entre protection d’une espèce menacée et importante pour l’écosystème et la pérennité de l’élevage en France.
Julie Lecoq
(Crédit photo: Pascal Gadroy – image prise en parc)
([1]) Direction Départementale des Territoires
([2]) E. Naim-Gesbert, Droit général de l’environnement, ed. Lexis Nexis, 2011, p. 190.
([3]) Article 2, Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, 1979.
([4]) Directive 92/43/CEE, Annexe II et IV.
([5]) Art. R-211-5 et R- 213- 5 C.env.
([6]) Arrêté mis à jour le 23 avril 2007.
([7]) Classée vulnérable (VU) sur la Liste rouge des mammifères continentaux de la France métropolitaine (2009).
([8]) Art. L.427-1 à L.427-11 C.env.
([9]) Art. L.422-15, al. 2 C.env.
([10]) TI Nice, 16 janv. 1990, Aspas : Gaz. Pal. 1990, p. 213-215
([11]) CE, 20 avr. 2005, req. n° 271216, Aspas et a.
([12]) V. J. De Malafosse, Le pavé de l’ours : RD rur. 1995, n°236, p. 439-446.
([13]) E. Naim-Gesbert, Les dimensions scientifiques du droit de l’environnement, op cit., p. 249-252.
([15]) TA Marseille, 19 juin 2015, n° 1504471 au sujet de l’arrêté préfectoral du 15 juin 2015 pour la commune de Seyne-les-Alpes
([16]) Arrêté du 15 mai 2015 relatif à l’autorisation des tirs en vue de la protection contre la prédation du loup des troupeaux domestiques sur la commune de Pelleautier.
([17]) Code Général des Collectivités Territoriales.
([18]) Arrêté du 10 avril 2008 relatif au dispositif intégré en faveur du pastoralisme.
([19]) Arrêté du 29 juin 2009 relatif à l’opération de protection de l’environnement dans les espaces ruraux.
([20]) CE, 30 juill. 2003, req. n° 215957, Assoc. pour le développement de l’aquaculture en région Centre et a. ; CAA Lyon, 7 janv. 2011, req. n° 09LY02049, M. A. et EARL de l’Etang de Galetas.
([21]) TA Marseille, 19 juin 2015, req. n° 1504471.
([22]) Office national de la chasse et de la faune sauvage.
([23]) CAA Bordeaux, 9 avril 2014, Ministre de l’écologie et du développement durable, n° 12BX00391 et 12BX00392.
[24] Arrêté du 30 juin 2015 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) et Arrêté du 30 juin 2015 fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2015-2016.