Le droit, plus particulièrement le droit civil, qui est fondé sur un entremêlement de principes, est destiné à régir la société dans son ensemble.
La rencontre des notions de l’ordre public et des bonnes moeurs avec la notion de contrat, et plus largement de convention, symbolise la jonction entre un « système public », composé de principes directeurs de société établi par la représentation nationale et d’un « système privé », composé d’un contenu déterminé par principe librement par des personnes privées.
Il est essentiel pour tout juriste de bien comprendre les notions théoriques de l’ordre public et des bonnes moeurs et leurs articulations avec celle de contrat, pour mieux en appréhender les conséquences dans la pratique du droit.
La compréhension et l’appréhension de l’articulation entre les notions d’ordre public, de bonnes moeurs et de contrat peuvent toutefois être mal aisées du fait de la perméabilité des standards juridiques que sont ces deux notions dont le contenu est lié à l’évolution de la société, autrement dit dont le contenu est en perpétuelle évolution.
Les notions théoriques d’ordre public, de bonnes moeurs et le principe de la liberté contractuelle : la rencontre entre un « système public » et un « système privé »
Selon le principe de la liberté contractuelle, les parties peuvent librement déterminer le contenu de leurs conventions (1).
Ce principe fondamental du droit puise sa source dans la théorie de l’autonomie de la volonté, qui trouve elle-même ses racines profondes dans la tradition romaine et dans l’Ancien Droit (2) et son épanouissement dans l’individualisme et le libéralisme tel que porté au XVIIIème siècle.
Le postulat de la liberté contractuelle repousse, notamment, des interventions de l’État et d’autres personnes publiques dans la détermination du contenu même de l’accord entre deux ou plusieurs personne privées ; personnes privées qui par leur volonté propre créent ainsi entre elles un « système privé » de droits et d’obligations.
Néanmoins, le principe de la liberté contractuelle n’est pas absolu et est limité par un tempérament de taille : le contrat, et plus largement toutes conventions, ne peuvent déroger à l’ordre public et aux bonnes moeurs (3).
Les standards juridiques de l’ordre public et des bonnes moeurs regroupent des principes fondamentaux de notre société dont la valeur est impérative, que la volonté des personnes privées ne peut donc écarter : ces ensembles de postulats impératifs forment un « système public », auquel on ne peut déroger.
L’ordre public est une notion plurielle : on distingue l’ordre public interne de l’ordre public international, ou encore l’ordre public national de l’ordre public de l’Union Européenne (communautaire). Son contenu est déterminé par la loi directement, c’est l’ordre public textuel, et indirectement par la reconnaissance de la jurisprudence, c’est l’ordre public virtuel ou implicite.
Notion purement évolutive de par sa nature, on distingue néanmoins l’ordre public classique qui défend « les piliers de la société – l’État, la famille, l’individu » (4), de l’ordre public économique, de direction ou de protection.
Les bonnes moeurs recouvrent de multiples pratiques devant caractériser « l’honnête homme » (5). Selon une définition doctrinale (6), ce sont « les règles de morale sociale considérées comme fondamentales pour l’ordre même de la société ». En conséquence, elles excluraient tout ce qui est formellement prohibé par la morale publique et l’éthique.
L’articulation pratique entre les notions d’ordre public, de bonnes moeurs et le principe de la liberté contractuelle ou l’accommodement entre la volonté de l’État et la volonté des personnes privées
La volonté des parties qui s’exprime par le biais du principe de la liberté contractuelle est donc limitée par le respect de l’ordre public et des bonnes moeurs, symbolisant l’intérêt général supérieur aux intérêts particuliers.
Pour contrôler et sanctionner le cas échéant les conventions qui seraient contraires à l’ordre public et aux bonnes moeurs, le législateur a instauré deux mécanismes de contrôle : l’objet et la cause, le premier étant toujours en vigueur en tant que telle.
Ainsi, l’objet du contrat doit être licite, donc conforme à l’ordre public et aux bonnes moeurs. Il est à préciser que l’objet du contrat est envisagé dans sa globalité et non par l’analyse de son contenu obligation après obligation.
Toute convention ayant un objet illicite est sanctionnée par la nullité. Cette dernière peut être soulevée d’office par le tribunal compétent en vertu de la mission de salubrité sociale du juge (arrêt du Tribunal de grande instance de Paris en date du 8 novembre 1973).
La gravité de la sanction se mesure à l’importance des deux concepts d’ordre public et de bonnes moeurs, leur transgression étant empreinte corrélativement d’une particulière gravité.
Dans la pratique du droit, l’articulation théorique entre les notions d’ordre public et de bonnes moeurs d’une part et le principe de la liberté contractuelle d’autres part emporte des conséquences importantes.
En la matière, la jurisprudence occupe le rôle de régulateur des conventions : par quelques exemples illustratifs, nous pouvons arriver à mieux cerner cette articulation.
Ainsi, dans le célèbre arrêt du Conseil d’État en date du 7 octobre 1995, « Ville d’Aix-en-Provence », le Conseil d’État érige le respect de la dignité de la personne humaine en une des composantes de l’ordre public. Il en va de même pour le droit au mariage, qui ne peut ni se limiter ni s’aliéner (Cour d’appel de Paris en date du 30 avril 1963). Ou encore du principe d’égalité des parties dans la désignation des arbitres (1ère Chambre civile de la Cour de cassation en date du 7 janvier 1992) et de la limite de dix ans pour la durée maximum d’une clause de fourniture exclusive (Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 25 mars 1974).
Ainsi, les concepts d’ordre public et de bonnes moeurs constituent un véritable garde-fou aux abus pouvant résulter des conventions, notamment du fait de l’inégalité économique des parties, tout particulièrement dans le cadre de contrats d’adhésions.
Nous pouvons nous questionner, au-delà des cercles de juristes, sur le contenu de ces notions, reflets de la société que nous souhaitons.
Antoine Dolisi
Étudiant en Droit
Faculté de Droit, de Science Politiques et de Gestion – Université de Strasbourg
Pour en savoir + :
Étude complète dans Les obligations – droit civil, précis de droit privé, du Professeur émérite François Terré, du Professeur émérite et Doyen honoraire Philippe Simler et du Professeur Yves Lequette, édition Dalloz, 11ème édition
Étude complète dans Droit civil – volume II – les biens les obligations, manuel Quadrige de Droit et Science Politique, du Professeur et Doyen Jean Carbonnier, édition puf
Exemples de jurisprudence dans Code civil 2017, édition Dalloz
Sources :
Code civil 2017, édition Dalloz
Ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Les obligations – droit civil, précis de droit privé, du Professeur émérite François Terré, du Professeur émérite et Doyen honoraire Philippe Simler et du Professeur Yves Lequette, édition Dalloz, 11ème édition
Droit civil – volume II – les biens les obligations, manuel Quadrige de Droit et Science Politique, du Professeur et Doyen Jean Carbonnier, édition puf
Droit administratif – Domat droit public, du Professeur Pierre-Laurent Frier et du Professeur Jacques Petit, Montchrestien, Extenso édition, 7ème édition
Histoire du droit civil, précis de droit privé, du Professeur Jean-Philippe Lévy et du Professeur André Cataldo, édition Dalloz, 2ème édition
Notes :
1. et 3. Code civil 2017, édition Dalloz, article 6
2., 4., 5. et 6. Les obligations – droit civil, précis de droit privé, du Professeur émérite François Terré, du Professeur émérite et Doyen honoraire Philippe Simler et du Professeur Yves Lequette, édition Dalloz, 11ème édition