Chaque année, les transferts ont lieu pendant deux périodes de mutation : une estivale qui dure trois mois et une hivernale d’une durée d’un mois. Les opérations de mutation les plus importantes s’effectuent durant l’été car c’est la phase de préparation pour tous les clubs. Il faut effectivement préparer la saison à venir, le titre de champion et la Champions League pour les grosses cylindrées, la Ligue Europa pour certains clubs, le maintien pour d’autres… Les raisons de tels mouvements de joueurs sont variables : renforcement, réajustement, dégraissage d’effectif.
Le mercato, cet été, a enregistré des transferts historiques : Gonzalo Higuain a quitté Naples pour la Juventus de Turin pour 90 millions, Paul Pogba de la Juventus vers Manchester united pour 105 millions d’euros. Il s’agit là d’une somme record pour la mutation de la « Pioche » vers son ancien club. Le français devient ainsi le joueur le plus cher de l’histoire du football.
La valeur patrimoniale du joueur de football professionnel, une œuvre prétorienne
Le Tribunal de Grande Instance, le 20 avril 1955, a considéré que « l’équipe professionnel d’un club de football représente une valeur patrimoniale ; qu’en cédant un de ses joueurs à une autre association, le club encaisse un capital parfois élevé. » Cela signifie donc que toute l’équipe possède une valeur patrimoniale globale. Ainsi, chaque élément (joueur) de cet ensemble (l’équipe) est lui-même doté d’une fraction propre de la valeur patrimoniale globale. Une telle analyse consisterait à considérer l’être humain comme une vulgaire marchandise. Or, l’article 16-1 du Code civil dispose que le corps humain est hors du commerce juridique. Dès lors, c’est le lien juridique de nature contractuelle reliant le club à son joueur qui recueille cette valeur patrimoniale : le contrat de travail à durée déterminée. C’est donc le statut de salarié qui confère au joueur sa valeur patrimoniale. Autrement dit, l’impossibilité pour le joueur de s’engager en faveur du club de son choix sans l’accord de son employeur fonde sa valeur patrimoniale. « Les contrats de travail des sportifs deviennent par conséquent la source d’un véritable enjeu financier »[1]. D’ailleurs, cet aspect économique du sportif salarié est, depuis 2005, relayé par les règles comptables. En effet, dans le bilan du club, l’arrivée d’un nouveau joueur est assimilée à l’entrée en comptabilité d’un actif incorporel qui génère des avantages économiques futurs[2].
L’opération de transfert, un montage juridique de changement d’employeur
L’opération de transfert peut être définie de deux manières, économiquement et juridiquement. Economiquement, il s’agit d’une transaction, réalisée de gré à gré, entre deux clubs visant à organiser la mutation rémunérée d’un joueur d’un club à l’autre. Juridiquement, le transfert est une convention organisant la mutation onéreuse d’un footballeur d’un club A à un club B. c’est en somme une opération juridique triangulaire entre le club employeur, le club d’accueil et le joueur. Cette opération est toutefois inconnue du droit commun des obligations. On peut même la considérer comme originale car aucun texte ne l’encadre mais elle doit néanmoins respecter un certain nombre de normes juridiques (cette opération demeure par conséquence une notion difficile à analyser juridiquement). Plus précisément, le transfert s’analyse comme l’opération par laquelle un club accepte de mettre fin au contrat de travail de l’un de ses joueurs avant son terme afin de permettre à celui-ci de s’engager contractuellement avec un autre club, moyennant le versement d’une indemnité financière par ce dernier au club quitté. En d’autres mots, « le club employeur accepte, en contrepartie d’une indemnité, de mettre fin au contrat à durée déterminée avant le terme stipulé, le joueur ainsi libéré s’obligeant pour sa part à s’engager selon des modalités convenues entre deux groupements sportifs »[3].
Ainsi définie, l’opération de transfert ne veut rien dire. Ce n’est rien d’autre qu’un montage juridique dont le but est d’organiser contractuellement le changement d’employeur du footballeur professionnel en contrepartie du versement d’une indemnité financière au club quitté par le club d’accueil. Ce montage juridique de changement d’employeur assure également une circulation organisée et rémunérée des joueurs. Pour arriver à un tel résultat, la rédaction d’un seul acte ne suffit pas du fait de la multiplicité des liens unissant les différents acteurs du secteur sportif professionnel entre eux (joueurs, clubs, ligues, fédérations, sponsors…). Il convient d’organiser une combinaison articulée de conventions juridiques distinctes. C’est la combinaison de ces actes qui nous permet l’emploi de l’expression « d’opération de transfert ».
L’opération de transfert, une opération conditionnée
L’opération de transfert exige que le joueur soit titulaire d’un CDD en cours d’exécution ; que celui-ci soit résilié et que le joueur s’engage au profit d’un autre club par le biais d’un nouveau contrat de travail à terme (il y a un accord triangulaire entre le joueur et les deux clubs).
Il y a, lorsqu’on analyse cette opération, trois points indispensables. Premièrement, l’existence d’un CDD en cours d’exécution. La question ne se pose plus en France car le recours au C.D.D. dans le sport professionnel procède, désormais, de la loi du 27 novembre 2015 qui institue le C.D.D. comme la forme de principe dans le sport professionnel. Il y a ainsi un C.D.D. unique qui ne s’applique qu’aux sportifs et entraîneurs professionnels[4]. Il faut, deuxièmement, une résiliation du contrat de travail en cours d’exécution pour permettre au joueur de s’engager avec le club de son choix. Cela signifie à contrario que si le contrat de travail du joueur arrive à son terme initialement prévu, ce dernier est libre de s’engager avec le club de son choix (arrêt Bosman). Il y a ainsi un accord triangulaire qui s’inscrit dans un contrat-cadre, c’est-à-dire un contrat principal. L’existence de ce contrat cadre de transfert exige la présence d’un groupe de contrats (plusieurs actes juridiques d’exécution pour parfaire l’opération de transfert). Et à côté de cet accord, il existe un élément sans lequel toute mutation de footballeur professionnel (avant l’échéance du terme contractuel du contrat de travail) serait impossible, une indemnité financière de transfert. L’indemnité financière de transfert, qui constitue notre troisième point indispensable, se définie comme la somme d’argent versée par le club d’accueil au club quitté en échange de la rupture anticipée par ce dernier du C.D.D. du joueur. Cette indemnité s’apparente à la contrepartie pécuniaire de l’acceptation, par le club quitté, de libérer avant terme son joueur dont le contrat de travail est en cours d’exécution[5].
Quid des règles applicables à l’opération de transfert ? Les règles applicables à ce montage juridique divergent, comme n’importe quel autre contrat, selon qu’il s’agit d’un rapport contractuel interne ou international. La réglementation des contrats internationaux sera applicable, uniquement, lorsque le contrat de transfert présentera un caractère d’internationalisation ou d’extranéité[6] (c’est le cas notamment de l’opération de transfert de Paul Pogba).
La pratique des transferts, une source considérable de financement du football professionnel
La pratique des transferts constitue une source considérable de financement des clubs professionnels au même titre que les droits télévisés ou la publicité. On peut même affirmer, sans risque, que sans transfert, plus de professionnalisme. Difficile en effet d’imaginer le monde du football sans transfert. Le football a besoin de cette pratique et cette pratique fait du football, un business comme un autre. Cette pratique résulte de la dérégulation du marché des transferts. Une dérégulation qu’on peut, sur le plan national, situer dans les années quatre-vingt avec l’effet conjugué d’un apport massif de capitaux[7], une augmentation de versements de salaires et un accroissement des dépenses d’achats de joueurs. Ces différents facteurs ont eu une incidence sur le budget global du football professionnel de la première division qui est passé de 37.5 millions en 1970 à 1200 millions de francs en 1991.
Sur le plan international, c’est la Cour de Justice des Communautés Européennes qui, dans le célèbre arrêt Bosman du 15 décembre 1995[8], a proclamé notamment que tout sportif professionnel pouvait librement, au sein de l’Espace Economique Européen, quitter son club employeur à la survenance du terme de son contrat de travail à durée déterminée et s’engage, à la suite, dans un autre club sans qu’aucune indemnité financière ne soit à payer à son ancien employeur. Très vite, une libéralisation des mouvements de joueurs va s’imposer. Le marché est, depuis lors, devenu européen et s’internationalise de plus en plus avec des transferts en Chine, en inde, en M.L.S. et en Australie pour ne citer que les championnats les plus connus.
Paul MESSI
Pour en savoir plus :
[1] D. Jacotot, « La fin du contrat de travail », in G. Simon (sous la direction de), « Les contrats des sportifs – L’exemple du football professionnel », PUF, 2003, p. 197.
[2] M. Kamara, Les opérations de transfert des footballeurs professionnels, préf. H. Causse, L’Harmattan, 2007, coll. Logique juridique, p. 264 ; J. Message, « Fiscalité des opérations de transfert » : Lamy Droit du sport, n° 346 ; J. Messeca, « Sociétés sportives : vers une nouvelle ère fiscale ? » : Dr. Et patr. 2005, n° 139, p. 89.
[3] « Opérations de transfert de sportifs », Lamy droit du sport, ibid., n° 342-20
[4] Lire l’article de Nicolas STRADY : https://www.lepetitjuriste.fr/droit-social/27478/
[5] Cette indemnité vise à compenser les pertes sportives, financières et commerciales subies par le club quitté et résultant de la non-exécution partielle du contrat de travail résilié par anticipation.
[6] Pour aller plus loin : Arnaud Broux, L’opération de transfert du Football Professionnel, mémoire de DEA de droit des affaires mention internationale
[7] L’arrivée de personnalités importantes du monde des affaires qui utilisèrent le football comme moyen de promotion et incarnation concrète de leur réussite.
[8] CJUE 15 déc. 1995, aff. C-415/93, Union royale belge des sociétés de football association ASBL c/ J.-M. Bosman, Rec. CJCE, I,p. 4921 : cette décision déclarait contraire au droit communautaire et notamment au principe de libre circulation des travailleurs le régime des transferts, en tant qu’il subordonnait l’engagement d’un joueur en fin de contrat au versement d’une indemnité au club quitté.