La loi Rebsamen a introduit une exception à l’obligation de reclassement en cas d’inaptitude à son poste du salarié, sans toutefois en préciser suffisamment les contours.
L’inaptitude du salarié, prononcée par le Médecin du travail, conduit l’employeur dans une situation relativement inconfortable. A priori, par application de la législation visant à lutter contre les discriminations1, il est en effet impossible de licencier un salarié en raison de sa situation de santé. Par exception, le licenciement est autorisé si l’absence du salarié cause un trouble objectif au fonctionnement de l’entreprise2. Cela correspond grosso modo à l’hypothèse d’un cadre dirigeant, ou tout du moins d’un salarié ayant un certain niveau de responsabilités, qui par son absence paralyse la bonne marche de l’entreprise.
L’inaptitude se situe cependant sur un autre plan. Le salarié inapte n’est pas en mesure de remplir ses obligations envers son employeur. Pour éviter de prononcer un licenciement entaché d’une discrimination, l’employeur sollicite le Médecin du travail qui apporte la preuve que le salarié ne peut plus travailler. En effet, si l’employeur ne peut se séparer d’un collaborateur uniquement à raison de sa maladie, il est logique en terme contractuel mais aussi économique que la relation entre ces derniers ne puisse continuer. La procédure d’inaptitude offre un « échappatoire » légale qui permet de surmonter cette situation ou deux objectifs, opposés et légitimes à la fois, s’affrontent.
Il existe toutefois des garde-fous. L’employeur a ainsi une obligation de reclassement envers le salarié3. Il doit lui trouver un autre poste au sein de son entreprise qui respecte les conclusions du Médecin du travail, c’est-à-dire qui ne mette pas en danger sa santé. Normalement, cette obligation de reclassement s’impose à l’employeur quelle que soit la nature de l’inaptitude du salarié, et qu’elle ait été prononcée en une seule visite ou non4. C’est ici qu’intervient la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 dite « Loi Rebsamen »5. En effet, l’employeur est dorénavant dispensé de recherche de reclassement lorsque l’avis d’aptitude mentionne expressément les mots « gravement préjudiciable » à l’état de santé du salarié. Plusieurs précisions doivent toutefois être apportées, qui limitent grandement la portée de cette nouvelle règle.
Tout d’abord, n’est visée que l’inaptitude prononcée à la suite d’un accident professionnel ou d’une maladie du travail. Ainsi le salarié n’étant plus en mesure de remplir ses obligations de travail en raison d’une maladie ou d’un quelconque accident non professionnel n’est pas concerné. Cela laisse la plupart des cas d’inaptitude en dehors du dispositif, quand on sait qu’environ 2/3 des avis d’inaptitude ont une origine non professionnelle.
Ensuite, cette nouvelle mesure ne vise que le reclassement au niveau de l’entreprise.
Quid du groupe ? L’employeur doit-il chercher à reclasser son salarié lorsqu’il s’agit d’un groupe, alors même que le Médecin du travail a expressément visé un état « gravement préjudiciable » ? Il est pour l’instant impossible de dire si le législateur a effectivement souhaité mettre de côté les groupes ou s’il s’agit simplement d’un oubli. Dans tous les cas, ce sera à la jurisprudence de trancher. Vu la tendance, il est fort à parier que les groupes seront bel et bien exclus de ce dispositif et devront s’atteler à une recherche de reclassement quoi qu’il arrive. Voilà qui réduit encore la portée de ce changement.
Enfin, la nouvelle formulation de l’article L.1226-12 du Code du travail ne traite pas du devenir de la consultation des délégués du personnel. Une telle consultation est en effet nécessaire dans le cadre d’une procédure de licenciement pour inaptitude trouvant son origine dans la maladie ou l’accident professionnel. En terme de planning, la consultation doit avoir lieu une fois la recherche de reclassement terminée, afin d’en discuter les résultats. De ce point de vue, l’absence d’obligation de reclassement devrait entraîner l’absence d’obligation de consultation. Là encore, ce sera à la jurisprudence de trancher. Cette nouvelle législation affaiblissant les droits du salarié, le juge cherchera peut-être à compenser en maintenant l’obligation de consulter les délégués du personnel quoi qu’il arrive. Mais en dehors de ces spéculations, rien n’est certain.
L’apport de la loi Rebsamen sur l’inaptitude souffre donc d’une double peine : il est limité et incertain. La loi vient distinguer entre la maladie d’origine professionnelle ou non sans que rien ne vienne justifier une telle différence et se bride elle-même d’entrée de jeu. L’employeur selon qu’il est un groupe ou non devra faire preuve de beaucoup de prudence et se contentera donc sans doute pour l’instant de faire comme avant. Là ou cette réforme devait apporter souplesse et rapidité à l’entreprise, elle apporte finalement incertitude et conservatisme. Il y a quelques jours, les conseillers prud’homaux s’insurgeaient contre le pouvoir de la Cour de cassation en matière de création du droit, en ce qu’elle crée trop d’insécurité juridique. Mais dans ces conditions, la Haute juridiction a-t-elle réellement le choix ?
Adrien Bellamy
1° Article L.1132-1 du Code du travail : http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000028650462&cidTexte=LEGITEXT000006072050
2° Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 17 octobre 2012, 11-22.085 :
3° Article L.1226-10 du Code du travail :
4° Article L.1226-2 du Code du travail :
5° Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 :
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031046061&categorieLien=id