Le lobbying est une activité qui consiste à procéder à des interventions destinées à influencer directement ou indirectement les processus d’élaboration, d’application ou d’interprétation des mesures législatives, normes, règlements et, plus généralement, de toute intervention des pouvoirs publics(1). Cette activité est-elle réglementée ?
Quand elle s’exerce au sein du Parlement européen et de la Commission, l’activité de lobbying est, en théorie, régie par un accord interinstitutionnel du 23 juin 2011 (l’ « Accord »), qui établit un « registre de transparence pour les organisations et les personnes agissant en qualité d’indépendants qui participent à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques de l’Union européenne » (le « Registre »)(2).
À la lecture du nom de ce registre, on notera qu’à Bruxelles, on ne se pose pas la question de savoir si les représentants d’intérêts participent ou non à l’élaboration de la législation européenne. Ils y participent.
L’objet du Registre : enregistrer et contrôler ces organisations, qui relèvent de 6 catégories, depuis les cabinets de consultants spécialisés, en passant par les ONG et les organisations représentant des communautés religieuses.
Le contrôle du Registre est confié à une structure commune au Parlement et à la Commission : le Secrétariat commun du registre de transparence(3), lequel a rendu en octobre 2012 son premier rapport annuel sur le fonctionnement du Registre(4). Ce rapport nous apprend qu’au 22 octobre 2012, 5431 organisations sont enregistrées dans le Registre. Rappelons qu’environ 20.000 lobbyistes exercent leur activité à Bruxelles.
Par ailleurs, le Parlement a fait de l’inscription au Registre une condition préalable pour bénéficier d’un accès facilité à ses bâtiments. La Commission, elle, ne l’a pas fait. Il existe donc d’autres moyens pour accéder aux locaux de ces deux institutions, comme par exemple se faire inviter par un parlementaire. Dès lors, certains se demandent pourquoi s’enregistrer dans le Registre, car cela suppose la divulgation d’informations confidentielles (chiffre d’affaires imputable aux activités de lobbying) et sensibles pour des questions de concurrence (identité des clients) et que le Registre est accessible à tous .
L’enregistrement dans le Registre implique le respect du code de conduite figurant à l’Annexe III de l’Accord, dont la suspicion de non respect peut entraîner le dépôt par tout un chacun d’une plainte auprès du Secrétariat.
Nous sommes donc en présence d’un enregistrement qui n’est pas obligatoire, mais qui, s’il a lieu, expose le représentant d’intérêts à une plainte fondée sur une suspicion, qui peut entraîner le retrait des titres d’accès au Parlement européen (pas indispensable, on l’a vu), la suspension ou la radiation du Registre et enfin, la publication sur le site Internet du Registre de la décision du Secrétariat.
Il y a par conséquent deux poids deux mesures dans le traitement des représentants d’intérêts par les institutions européennes. C’est d’ailleurs l’une des principales préoccupations des entités actuellement inscrites dans le Registre : que les entités non inscrites jouissent du même traitement qu’elles de la part des institutions de l’Union. Voici un frein supplémentaire à l’enregistrement.
Nulle mention dans l’Accord des moyens mis à disposition du Secrétariat pour vérifier les informations données par les organisations qui s’inscrivent dans le Registre. On peut donc supposer que lesdites informations reposent sur la bonne foi des organisations et ne seront pas vérifiées.
On notera une faiblesse dans la rédaction de l’article b) du code de conduite : « (…) ceux qui s’enregistrent n’obtiennent pas ou n’essaient pas d’obtenir des informations ou des décisions (…) en recourant à une pression abusive ou à un comportement inapproprié ». Une pression, si elle n’est pas abusive, est donc tolérée…
Enfin, quelle est la valeur juridique d’un accord interinstitutionnel dans l’ordre juridique de l’Union ? Il peut revêtir un caractère contraignant, en fonction de la volonté de ses auteurs de se lier. Ici, le Parlement et la Commission s’obligent à tenir un registre. Ils n’obligent pas les groupements d’intérêts à s’y enregistrer. Affaire à suivre…
Anne-Sophie Runcorn
L.L.M. en droit de l’Union européenne
Institut Supérieur Européen du Lobbying
(1) Définition donnée par Franck Farnel, Head of Public Affairs NCD at SANOFI.
(2) JOCE L.191/29 du 22 juillet 2011.
(3) http://ec.europa.eu/transparencyregister/info/about- register/jointSecretariat.do?locale=fr
(4) http://www.europa.eu/transparency-register/index_fr.htm