Plusieurs décisions récentes de la 1ère Chambre civile ainsi qu’un arrêt de la Cour d’appel de Limoges usent de cette notion pour trancher les questions relatives à l’autorité parentale et au droit de visite et d’hébergement. Les fondements légaux de l’intérêt de l’enfant sont issus des deux premiers alinéas de l’article 373-2-1 du Code civil[1], et la notion est définie en outre par la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), qui ordonne une « ligne de conduite » : le droit à l’enfant de connaître ses parents et d’être élevés par eux, d’avoir une identité et des relations familiales, et le droit à l’éducation.[2] Elle pose également certains interdits : la séparation de ses parents, ou des formes préjudiciables à tout aspect de son bien être[3]. Face à certains enjeux, le Juge aux Affaires Familiales doit alors savoir à qui confier l’enfant. Ab initio, la mère recueillait très souvent tous les droits. Désormais, et d’autant plus depuis l’émergence du mariage pour tous, qui doit avoir l’autorité parentale, le droit de visite et d’hébergement ? L’« intérêt de l’enfant » est-il toujours une priorité ?
I- Le droit de l’enfant au maintien des « relations personnelles » avec son parent
- Les pouvoirs du juge non subordonnés à l’avis du mineur
Il y a maintenant presque dix ans, la 1ère Chambre civile[4] affirmait que le juge ne déléguait pas ses pouvoirs que lui confère la loi quant à la fixation des modalités d’exercice du droit de visite et d’hébergement lorsqu’il décidait que la reprise des relations pourrait être envisagée ultérieurement si les enfants en exprimaient le souhait[5]. Cet arrêt pouvait faire douter sur la délégation des pouvoirs du juge, plus ou moins subordonnée au bon vouloir des enfants, et qui a pu porter à confusion.
Cependant, l’arrêt de la 1ère Chambre civile, le 28 mai 2015, paraît plus clair à ce sujet : en effet, la Cour d’appel souhaitait tenir compte de l’avis du mineur pour déterminer le droit d’accueil de la mère. Elle fut censurée par la Cour de cassation, au visa des articles 373-2 et 373-2-8 du Code civil, pour avoir subordonné l’exécution de sa décision à la volonté de l’enfant. Et pour cause : seuls des motifs graves peuvent anéantir l’exercice conjoint de l’autorité parentale. A défaut, le parent a légitimement le droit de maintenir ses relations avec son enfant. Cette solution peut paraître logique pour tout « bon père de famille », elle ne paraissait pourtant pas si évidente pour les premiers juges.
- L’exercice de l’autorité parentale conjointe strictement protégé
Les faits dans l’arrêt du 28 mai 2015[6] rapportaient que l’enfant présentait des troubles du comportement suite aux nombreuses altercations de ses parents. Le médecin l’ayant examiné précisait notamment qu’il avait un « grave trouble de la personnalité associant une grande immaturité psychoaffective (…), des mouvements de tête et du corps traduisant des angoisses massives ». Malgré cela, la mère de l’enfant n’aurait pas hésiter à « l’obliger » à appeler SOS enfants battus, afin que le père et sa nouvelle compagne n’obtiennent pas la garde de celui-ci.
L’enquête approfondie diligentée par la gendarmerie permit de faire ressortir le caractère mensonger des manœuvres. Suite à ces événements, l’enfant souhaitait ne plus voir sa mère, et rester avec son père. Se posait alors la question de savoir s’il fallait rompre momentanément les relations de l’enfant avec sa mère, dont le comportement est décrit comme « débordant et inadapté » ?
La Cour d’appel de Bourges, ayant opté pour l’affirmative, fut censurée, et ce, compte tenu surtout de leur filiation connue et reconnue. Un enfant doit-il cesser de voir son ascendant en ligne directe lorsqu’il est instrumentalisé dans leur conflit déloyal ? Peut-il refuser quelques coups de téléphones périodiques sans contact physique avec celle qui l’a mise au monde ? La Cour de cassation y répond par la négative dans son attendu de principe : « attendu que le parent, qui exerce conjointement l’autorité parentale, ne peut se voir refuser le droit de maintenir des relations personnelles avec l’enfant que pour des motifs graves tenant à l’intérêt de celui-ci ». Aussi indélicat soit-il, le parent, qui peut être privé de la garde de ses enfants, ne peut se voir interdire le contact avec son enfant. On ne peut que se réjouir de cette solution aussi judicieuse qu’évidente.
II- Le droit d’hébergement suspendu ou inchangé pour le bien-être de l’enfant
- Une volonté d’environnement stable et serein pour l’enfant
L’intérêt de l’enfant semble avoir été une nouvelle fois pris massivement en compte dans l’arrêt récent de la 1ère Chambre civile, le 18 mars 2015[7] : en clair, les enfants résidaient habituellement chez leur mère. Suite au discours dangereux et mauvais de la mère sur le père pour l’un des enfants, et un comportement inadapté au développement de ceux-ci, la Cour d’appel de Bordeaux décida de suspendre le droit d’hébergement de la mère, au profit du père. La Cour de cassation confirma la position des juges d’appel fondée sur cette notion phare d’ « intérêt de l’enfant ». Pour se prononcer de la sorte, la Cour n’a pourtant pas entendu les versions des enfants…. Alors, comment a-t-elle pu connaître l’intérêt des enfants en l’espèce ? Compte tenu de la suspicion ainsi que de la probable manipulation planant dans l’environnement maternel, ou encore de la position « ferme, rassurante et sécurisante » du père, les juges ont pu opté pour un changement d’environnement, jusqu’à la nouvelle décision du juge des enfants. Cette position est globalement acceptable, mais pourrait être critiquable concernant la mère des enfants, qui en est désormais éloignée géographiquement et n’étant autorisée à les voir que 2 heures, 2 fois par semaine, pendant les vacances scolaires. On pourrait retomber dans l’espèce visée plus haut, et en venir presque à priver la mère de relations personnelles avec ses enfants. Cependant, même limités, les relations sont maintenues, raison pour laquelle la décision de la Cour d’appel a été souverainement accueillie.
A contrario, récemment, la Cour d’appel de Limoges[8], a opté pour une solution inverse, consistant à maintenir le domicile du père malgré la demande de transfert de domicile formulée par la mère, toujours pour l’intérêt de l’enfant : la situation, sans grand danger, ne nécessitait pas que la résidence habituelle de l’enfant soit changée. Pourquoi modifier le droit de résidence lorsqu’il ne perturbe pas l’enfant ?
- L’aube des réformes
Au delà des mutations jurisprudentielles, la notion d’ « intérêt supérieur de l’enfant » ponctue les réformes et réflexions actuelles relatives au droit de la famille. Le groupe de travail présidé par Madame Irène THERY[9] s’est penché sur une grande question de notre ère : l’émergence de nouvelles valeurs familiales accompagnant la métamorphose contemporaine de la filiation, et plus largement des relations aux enfants. Une belle phrase a pu y être citée, reflétant l’esprit de ce groupe de travail : « (…) Contrairement à ce que répètent à l’envi les nostalgiques de l’ordre matrimonial de la famille, les valeurs de transmission, de dévouement, d’attention, de soin et d’éducation n’ont pas disparu avec l’avènement du démariage. Transformées, renouvelées, elles sont plus vivantes que jamais ». Avec toutes ces grandes mutations sociétales et juridiques, l’objectif reste et restera la sécurité et le bien-être de l’enfant, quelle que soit sa filiation. Novateur, il essaie également de faire émarger « de nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle », comme le décrivent les auteurs du rapport, qui ont alors impulsé les grandes réformes récentes, notamment celles sur l’adoption et le statut des grands parents.
Enfin, et surtout, l’Assemblée nationale a modifié le 12 mai 2015, en première lecture, la proposition de loi relative à la protection de l’enfant : elle vient davantage encadrer et prévoir les mesures que peuvent prendre les établissements scolaires, suivre le parcours de l’enfant… Affaire à suivre !
Jenny HAYOUN
[1] « si l’intérêt de l’enfant le commande, le juge peut confier l’exercice de l’autorité parentale à l’un des deux parents. L’exercice du droit de visite et d’hébergement ne peut être refusé à l’autre parent que pour des motifs graves »
[2] articles 7, 8 et 28 de la CIDE
[3] articles 9 et 33 à 36 de la CIDE
[4] CIV1, 28 février 2006, n° 05-12.824
[5] Voir article de Pierre Murat sur « la reprise du droit de visite et le souhait des enfants », Lexis-Nexis, Droit de la famille n° 9, Septembre 2006, comm. 159.
[6] CIV1, 28 mai 2015, F-P+B, n°14-16.511
[7] CIV1, 18 mars 2015, n°14-11.583
[8] CA Limoges, 16 février 2015, n°14-00.689
[9] « Filiation, origines, parentalité : le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle », Irène Théry (présidente), Anne-Marie Leroyer (rapporteure), 2014