La qualité d’associé ainsi que ses engagements ne disparaissent pas du fait de l’absorption de la société de celui-ci. Le principe selon lequel les engagements des associés ne peuvent pas être augmentés, sans le consentement de ceux-ci, retient toujours, en matière de fusion, l’attention de la Haute juridiction.
L’associé est lié à la société par un contrat précisant ses droits et obligations selon lesquels il a accepté d’intégrer la société. Il est de ce fait logique de ne pas modifier ses engagements en les diminuant ou les augmentant tant que la société vit sa vie sociale normale. Néanmoins, il peut arriver que cette société fasse l’objet d’une opération de restructuration, ce qui peut modifier les droits ou les obligations de l’associé. Dans ce cas, la mise en œuvre de cette restructuration est encadrée. Une opération de fusion, par exemple, ne doit pas aboutir à l’augmentation des engagements des associés lors de sa réalisation. Nous nous pencherons dans cet article sur l’étendue du principe d’intangibilité des engagements d’associé de la société absorbée (I) en distinguant entre l’aggravation des engagements de l’associé et la diminution de ses droits (II).
I/ L’étendue du principe d’intangibilité des engagements de l’associé de la société absorbée
Lorsque l’associé adhère à une société, il connaît la nature et l’étendue de ses obligations, et donc d’une certaine façon, il connaît bien ses engagements. Ces engagements ne peuvent être étendus sans le consentement de l’associé concerné. En d’autres termes, les engagements d’un associé ne peuvent faire l’objet d’une augmentation contre son gré[1]. Dans ces conditions, la loi a consacré le principe d’intangibilité des engagements des associés[2]. Cette règle ressort aussi d’un arrêt de principe de la Cour de cassation le 9 février 1937. Selon la Haute juridiction, « les engagements des actionnaires primitifs ne sont augmentés que si les dispositions prises par l’assemblée générale entraînent une aggravation de la dette, contractée par eux envers la société ou les tiers »[3]. En clair, les décisions qui peuvent entraîner la diminution des droits des associés, ne constituent pas une aggravation des obligations de ceux-ci, et nécessitent leur consentement unanime[4]. La diminution des droits des associés ne requiert par conséquent qu’une décision à la majorité et « n’équivaut donc pas à augmentation des engagements »[5].
Le principe d’intangibilité des engagements des associés est également consacré en droit des fusions[6]. L’article L. 236-5 du Code de commerce dispose que « si l’opération projetée a pour effet d’augmenter les engagements d’associés ou d’actionnaires de l’une ou de plusieurs sociétés en cause, elle ne peut être décidée qu’à l’unanimité desdits associés ou actionnaires »[7]. Dans ces perspectives, la question se pose de savoir si la réalisation d’une fusion aurait pour effet d’augmenter les engagements des associés.
Au préalable, l’adhésion des nouveaux associés à la société bénéficiaire exige un agrément conformément aux dispositions légales ou aux clauses statutaires. Néanmoins, cette formalité ne s’applique pas aux associés de la société dissoute du fait de la fusion. En effet, le transfert universel de patrimoine pèse à la charge de la société absorbante ou nouvelle, l’obligation d’accueillir ces nouveaux associés[8]. Mais il peut arriver qu’une société anonyme fasse l’objet d’une fusion par une société régissant par la liberté contractuelle[9], tel est le cas de la société par actions simplifiée. Dans cette hypothèse, les statuts de l’absorbante peuvent comporter des clauses inconnues des associés de l’absorbée[10]. Ces clauses qui sont en général lourdes et pénibles pour les associés de l’absorbée, nécessitent-elles la décision unanime de ceux-ci ?
La réponse à cette question nécessite une distinction entre l’aggravation des engagements de l’associé et la diminution de ses droits.
II/ La distinction entre l’aggravation des engagements d’associé de la société absorbée et la diminution de ses droits
Pour répondre à cette question, prenons l’exemple de l’affaire Cofradim du 19 décembre 2006[11]. Dans cette affaire, Cofradim, une SA de type classique, s’est faite absorber par Cofradim Résidences, une SAS filiale de la première. Les actionnaires minoritaires de la société absorbée se sont opposés à cette opération en prétendant que la fusion-absorption entraînait une aggravation de leurs engagements[12]. Les actionnaires s’appuyaient sur les dispositions de l’article L. 236-5 du Code de commerce pour annuler l’opération projetée. Ils prétendaient que la réalisation de l’absorption aurait dû être décidée par un accord unanime de tous les actionnaires. La Cour d’appel de Versailles[13] a énoncé que l’adhésion d’un associé à une société d’une autre forme ne constituait pas aggravation des engagements de celui-ci. Elle motivait sa décision en considérant que l’article L. 236-2 du Code de commerce édictait que « les opérations de fusion peuvent être réalisées entre des sociétés de forme différente et qu’elles sont décidées, par chacune des sociétés intéressées, dans les conditions requises pour la modification de leurs statuts ». Ainsi, après une vérification du rapport d’échange approuvé par les sociétés en cause, les juges Versaillais ont constaté que la fusion-absorption « ne se traduit par aucun engagement pécuniaire nouveau, le montant des apports initiaux demeurant inchangé ». Pour ces raisons, la Cour d’appel a décidé que « la diminution des droits des actionnaires ne constitue pas, en principe, une augmentation des engagements de ceux-ci »[14].
Toutefois, la Cour de cassation a pris cette affaire en version différente. Elle a soumis la réalisation d’une fusion-absorption d’une SA de type classique par une SAS au vote unanime des associés[15]. La Cour a décidé qua la présence d’une SAS dans une fusion présumait augmenter irréfragablement les obligations des associés. L’adhésion donc d’un nouvel associé à une SAS est forcément préjudiciable à ce dernier[16]. Au-delà de la distinction entre l’augmentation des engagements d’un associé et la diminution de ses droits, certains auteurs constatent que « la question est donc bien de savoir si la résolution impose ou non aux associés une ou plusieurs obligations nouvelles qui ne résultaient pas du contrat d’origine »[17].
En l’espèce, le fait que les statuts de la société absorbante comportaient des clauses[18] inconnues des associés de la société absorbée, considérées, selon les Hauts magistrats, comme des obligations nouvelles imposées aux associés de l’absorbée augmentaient leurs engagements. Les Hauts magistrats ont décidé, en raison de l’existence de telles obligations, que « les droits des actionnaires étaient donc affectés, par suite de la fusion-absorption ». Alors que certains auteurs[19] estimaient que la stipulation de telles clauses n’avait pas pour effet d’aggraver les engagements des associés, ces clauses entraînaient seulement la diminution de droits de ces derniers qui, en conséquence, n’avaient pas à se soumettre à la règle de l’unanimité.
Désormais, ce débat devient inutile parce que la Cour de cassation a mis terme à ce sujet controversé. Elle a juge que « l’aggravation des engagements s’entend, non seulement d’un accroissement des dettes de nature pécuniaire des actionnaires, mais également d’une diminution de leurs droits liée à un accroissement de leurs obligations non pécuniaires ». En conséquence, l’entrée d’un associé dans une SAS nécessite toujours une décision collective en assemblée générale, alors que dans certains cas, les statuts de la SAS ne comportent pas toujours des obligations qui « pourraient être considérées comme aggravantes des engagements des associés »[20]. Cependant, nous estimons[21] que la Haute juridiction est allée plus loin, sous le prétexte de protéger les associés minoritaires, en imposant l’exception de l’unanimité à toute fusion en présence d’une SAS. En le faisant, le consentement unanime des associés est requis à chaque fois que la SAS joue le rôle de la société absorbante. De ce fait, la règle de l’unanimité risque de faire échec à la réalisation des opérations de fusion.
Abdelkarim Osman
[1] F. Rizzo, Le principe d’intangibilité des engagements des associés, RTD. Com 2000, p. 27.
[2] Cette règle trouve son origine dans les dispositions de l’article 1836-2 du Code civil : « En aucun cas, les engagements d’un associé ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci ». Ce principe a été réaffirmé par les dispositions régissant les SARL et les SA : (L. Jobert, La notion d’augmentation des engagements des associés, Bull. Joly Sociétés, 2004, n° 5, p. 627). Quant aux premières, l’article L. 223-30, alinéa 5 du Code de commerce prévoit que « la majorité ne peut en aucun cas obliger un associé à augmenter son engagement social ». Concernant les secondes, l’article L. 225-96, alinéa 1er du Code de commerce dispose que l’assemblée générale extraordinaire « ne peut toutefois augmenter les engagements des actionnaires (…) » : (J.-L. Navarro, Droit des sociétés. Le juge et l’associé, préface D. Gibirila, Hachette supérieure, 2010, p. 129). Il en résulte que les statuts de la société sont toujours susceptibles d’être modifiés à condition de ne pas aggraver les engagements d’un associé. Dans ces perspectives, l’assemblée générale extraordinaire ne peut augmenter les obligations d’un associé que par un vote unanime. A défaut, la procédure serait nulle. La Cour de cassation a jugé le 13 novembre 2003 que l’augmentation des engagements d’un associé « est une disposition d’ordre public, sanctionné par une nullité absolue qui peut être demandée par tout associé » : (Cass. com., 13 nov. 2003, Bull. 2003, IV, n° 171, p. 188).
[3] Cass. com., 9 février 1937, DP 1937, I, p. 73, note A. Besson ; voir également Cass. com., 22 octobre 1956, JCP 1956, II, n° 9678, note Bastian. Ainsi, une obligation de ne pas faire peut constituer une augmentation des engagements de l’associé. Par exemple, une clause statutaire imposant à l’ancien actionnaire de ne pas concurrencer ultérieurement la société peut aggraver les engagements de l’actionnaire. Selon la Cour de cassation, cette clause « porte une atteinte à la liberté du travail et du commerce, augmente les engagements de l’actionnaire, ne peut être décidée qu’à l’unanimité » : Cass. com., 26 mars 1996, n° 93-21250, Bull. civ, IV, n° 94, Bull. Joly Sociétés 1996, p. 604, note P. Le Cannu, Rev. sociétés, 1996, p. 793.
[4] A. Albarian, Actualité jurisprudentielle 2010-2011, Droit commercial, Droit des sociétés commerciales, éd. Lamy, 2011, p. 26.
[5] A. Lienhard, D. 2010, n° 39, p. 2578. Dans ce sens, la Cour de cassation a précisé dans son arrêt rendu le 26 octobre 2010 que la filialisation d’une partie des activités d’une société, qui diminue la participation d’un associé dans la société, n’entraîne pas augmentation des engagements de cet associé. La Cour a jugé « qu’une décision sociale de nature à priver les associés de leur intérêt à participer à la société ne constitue pas, en elle-même, une augmentation de leurs engagements nécessitant un consentement unanime » : (Cass. com., 26 oct. 2010, n° 09-71404, PB : JCP E 2011, n° 4, obs. F. Deboissy et G. Wicker).
[7] M-. L. Brom, Fusion-absorption par une société par actions simplifiée, mémoire soutenu à l’Université Robert Schuman de Strasbourg, 2001-2002, p. 22.
[8] Ph. Merle, Sociétés commerciales, Dalloz, 18e éd. 2015, n° 823, p. 926 et s.
[9] Y. Guyon, Présentation générale de la SAS, Rev. sociétés 1994, n° 7, p. 207 ; H. Hovasse, Bientôt « La société par actions très simplifiée », Dr. sociétés 2008, p. 6.
[10] Par la clause d’agrément, la SAS peut soumettre l’entrée des nouveaux associés à un contrôle exercé par les associés de celle-ci : L. Tomasini, La société par actions simplifiée : une structure pour tous ? article publié le 11 mars 2012 sur le site www.creg.ac-versailles.fr, n° 11, p. 8. En effet, la SAS a une forte place pour l’intuitus personae et qui la rapproche de la société en nom collectif (SNC) : A. Morin, Intuitu personae et sociétés cotées, RTD Com. 2000, p. 299.
[11] Cass. com., 19 déc. 2006, n° 05-17802, Bull. 2006, IV, n° 268, p. 292.
[12] M. Cauvin, La fusion-absorption d’une société par une SAS requiert désormais le consentement unanime de tous les associés, Pts. aff. 2007, p. 14.
[13] CA Versailles, 12e ch., sec. 2, 27 janv. 2005, n° 03-4697, Juris-Data n° 2005-266312.
[14] Voir D. Bert et T. Lakhdari, L’application de la règle de l’unanimité aux opérations de fusion-absorption, D. 2005, p. 8.
[15] B. Thullier, Chronique de jurisprudence commerciale (CJ), RD 2007, n° 21, p. 1550.
[16] M. Cauvin, préc.
[17] H. Le Nabasque, Interdiction d’augmenter les engagements des associés sans leur consentement, Bull. Joly Sociétés 2001, n° 2, p. 193.
[18] Tel est le cas des clauses d’‘inaliénabilité (art. L. 227-13, C. com.), d’exclusion (art. L. 227-17, C. com.) et d’agrément (art. L. 227-14 et 15, C. com.).
[19] H. Hovasse, M. Deslandes et R. Gentilhomme, La séparation d’associés, Dr. sociétés, Actes pra. 1997, no 36 ; C. Monsallier, L’aménagement contractuel du fonctionnement des sociétés anonymes, LGDJ 1998, no 664, p. 278.
[20] A. Couret, La fusion à l’envers à l’épreuve d’un attendu de trop, Bull. Joly, 2007, p. 1329.
[21] Dans ce sens, voir A. Couret, Fusion-absorption d’une société par une société par actions simplifiées : unanimité exigée, Bull. Joly Sociétés 2007, n° 4, p. 506 ; J.-J. Caussin, F. Deboissy et G. Wicker, obs. sous CA de Versailles du 24 février 2005, JCP E 2005, n° 1046 ; M. Cauvin, préc.