Par deux arrêts en date du 17 mai 2013[1], la chambre mixte de la Cour de cassation vient porter secours aux locataires financiers en jugeant interdépendants les contrats successifs issus d’une opération de location financière. Un tel lien entre les contrats permettra à l’avenir d’anéantir le contrat de prestation si le contrat de location tombe, et inversement, permettant enfin au locataire financier de pouvoir systématiquement s’extirper de situations contractuelles improbables dans lesquelles il se devait d’honorer ses obligations contractuelles au titre de l’un ou l’autre des contrats alors même qu’il ne pouvait plus disposer normalement du bien en raison de la défaillance d’un des cocontractants.
La location financière, utilisée massivement dans le monde des affaires, est un contrat par lequel une société de financement met en location un bien mobilier qu’elle a préalablement acheté, à la demande du futur locataire, auprès d’un fournisseur. Cette opération met donc classiquement en jeu deux contrats : un contrat de location du bien entre la société de financement, bailleur, et le client, locataire, et un contrat de vente du bien destiné à la location entre la société de financement et le fournisseur, pouvant être conclu soit directement par la société de financement, soit par le fournisseur puis cédé à la société de financement. A noter qu’à la différence du contrat de crédit bail, aucune option d’achat du bien loué n’est ouverte au locataire en fin contrat. Pour autant, il est fréquent qu’à cette configuration simple s’ajoute une prestation de service en lien avec le contrat de location : maintenance de la photocopieuse louée, hébergement du site internet, télésurveillance de locaux à travers le matériel de télésurveillance loué … Cette prestation se traduira alors par un troisième contrat, conclu par le locataire soit avec un tiers prestataire, soit avec le vendeur initial.
Tout un contentieux avait alors pris naissance sur la question de savoir si l’anéantissement du contrat de location devait entraîner celui du contrat de prestation, et inversement. Il n’est en effet pas rare que le matériel loué ou la prestation effectuée ne soit pas conforme et que l’un des deux contrats soit résolu pour inexécution contractuelle, laissant planer le doute quant au sort du second, qui n’a dès lors plus de raison d’être. Le locataire ayant loué le matériel de télésurveillance ne peut par exemple plus en profiter et assurer la surveillance de ses locaux si le prestataire, assurant le service de télésurveillance, ne remplit pas ses obligations.
Le contrat de prestation doit-il être anéanti si le contrat de location disparait ? Régulièrement soulevée, la Cour de cassation tranchait la question en demandant que les juges du fond recherchent si les deux contrats sont interdépendants ou, au contraire, indépendants. A l’évidence, si les contrats sont interdépendants, l’anéantissement de l’un justifie l’anéantissement de l’autre, qui n’a plus de raison d’être. Et les résiliations en cascades continuent par la résiliation concomitante du contrat de vente initial. De la même manière, bien que cette situation ne soit pas propre à la location financière, si le contrat de vente initial est anéanti, le fournisseur récupère le bien dans les mains du bailleur. Ce dernier ne pourra donc plus le louer au locataire. Le contrat de location est donc anéanti. Le contrat de prestation n’ayant alors plus non plus de raison d’être, il est également anéanti.
Jusqu’à présent, en l’absence de volonté explicite des parties pour dire les contrats indivisibles (on parle alors d’indivisibilité « subjective »), le critère de l’indivisibilité « objective » était le plus souvent utilisé : si les deux contrats font partie d’un ensemble contractuel unique, déduite de la réunion d’indices objectifs tels que la date de conclusion des contrats, alors il y a interdépendance[2]. De même, l’indivisibilité pouvait être retenue en raison de la nature de l’objet loué : si la maintenance du matériel ne peut être effectuée que par le prestataire initial, pour des conditions contractuelles équivalentes, alors il y a interdépendance, et inversement.
Pourtant, compte tenu des conséquences en cascade que produisaient l’interdépendance des contrats, il devenait nécessaire de se défaire de l’application trop incertaine de ces critères, afin d’assurer aux contractants une sécurité juridique leur laissant prévoir le sort de leurs relations contractuelles en cas de contentieux, sans avoir à craindre que tel ou tel juge décide que in fine les contrats sont ou ne sont pas indépendants.
La chambre mixte, par deux arrêts en date du 17 mai 2013, est donc venue préciser de manière non équivoque les conditions dans lesquelles les contrats s’inscrivant au sein d’une opération de location financière étaient interdépendants :
« Les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants ; que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance ».
En s’en référant à un critère temporel pour qualifier d’interdépendants les contrats issus d’une opération de location financière, la Cour de cassation s’inscrit dans le sillage du critère objectif auquel elle avait recours pour considérer à présent que tous les contrats qui s’inscrivent dans une opération de location financière et qui ont été conclus successivement ou concomitamment sont interdépendants. Il lui reviendra d’exercer son contrôle quant à une juste qualification par les juges du fond de l’indépendance des contrats.
Dans la deuxième partie de son attendu, la chambre mixte tire toutes les conséquences de son nouveau principe pour dire non écrites les clauses contractuelles qui iraient à l’encontre d’une telle interdépendance. Elle fait par là référence aux clauses de divisibilité bien souvent insérées par les fournisseurs dans les contrats de prestation ou de location afin de s’assurer que le sort d’un des deux contrats n’affecte pas la validité de l’autre. Encore une fois, la conception objective, inspirée par la jurisprudence commerciale, est préférée à la conception subjective, qui se retrouve donc rejetée : si malgré la concomitance des contrats les parties entendent dire leurs contrats indépendants, la clause sera réputée non écrite.
La chambre mixte s’immisce donc d’avantage dans les contrats de location financière. Elle souhaite s’opposer aux pratiques de plus en plus courantes des sociétés de financement qui entendaient louer le bien sans courir le moindre risque de ne pas être payé : selon stipulations contractuelles, le locataire ne pouvait refuser le paiement du loyer pour quelque raison que ce soit. Il ne pouvait donc opposer au bailleur l’inexécution contractuelle du fournisseur et/ou du prestataire qui l’empêchait de jouir normalement du bien. Le locataire se retrouvait donc contraint de payer le bailleur, en ayant comme seuls recours d’agir contre le fournisseur ou le prestataire. Dorénavant, nonobstant l’existence de ces clauses contractuelles, la Cour pourra dire les contrats interdépendants et en tirer les conséquences : l’anéantissement d’un contrat qui est la raison d’être du second entraine l’anéantissement du second. Et, puisque la Cour ne distingue pas dans son attendu, il est raisonnable de penser que le contrat de vente, troisième contrat de l’opération, se verra également anéanti puisque la vente n’a eu lieu que parce que le bien devait être loué.
Une illustration s’impose : une société de financement achète au fournisseur un site internet, créé par ce dernier à la demande du locataire, et le loue à ce locataire. Un prestataire assure ensuite par contrat la maintenance, l’hébergement et le référencement du site. Si le locataire ne paye les loyers (et que cela n’est pas en réponse à l’inexécution de la part du prestataire), le bailleur est en droit de résilier le contrat. Or, les contrats étant conclus successivement, ils sont interdépendants. La location n’ayant plus lieu, l’hébergement et le référencement du site n’ont plus de sens et le contrat de prestation pourra être anéanti. Enfin, le contrat de vente du site internet doit aussi être anéanti.
Mais l’intérêt de ces arrêts ne s’arrête pas là : la chambre mixte entend moraliser la location financière en encourageant le fournisseur à diriger le locataire vers un prestataire qu’il considère comme fiable. Et en effet, si le prestataire n’exécute pas complètement ou correctement son contrat, il pourra être résolu et donc entraîner des anéantissements en cascade. Le contrat de vente et de location seront caducs et le fournisseur privé de sa rémunération.
En outre, comme c’est généralement le cas pour la jurisprudence concernant la location financière, il est très probable que ce nouveau principe soit applicable au contrat de crédit bail.
La Cour de cassation rend ainsi plus facile les anéantissements en chaîne de contrats et met fin aux pratiques contractuelles douteuses des professionnels de la location financière, trop souvent enclins à piéger les locataires. Il ne reste plus qu’a espérer que ces arrêts conduisent à plus de transparence dans les contrats de location financière, qui, de toute manière, ne résistent maintenant plus au pouvoir du juge.
Simon Briefel
[1] Cass, ch. Mixte ; 17 mai 2013, n°11-22.927 et n°11-22.768
[2] Notamment : Cass. Com, 15 févr. 2000, n°97-19.793 : à travers une opération de crédit bail, une officine louait un écran publicitaire qui diffusait, à travers un contrat de prestation de service, des publicités vidéos, les deux contrats ayant été conclus pour la même durée ; la location de l’écran n’a plus d’intérêt si il ne diffuse plus les publicités ; la Cour a conclu dans le sens de l’interdépendance.