L’infanticide prescriptible ou pas ?

Le 16 octobre 2013,[1] la Cour de cassation avait retoqué un arrêt de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Douai qui confirmait le renvoi de Dominique COTTREZ, ayant avoué avoir commis huit infanticides, devant la Cour d’assise du Nord pour méconnaissance de l’article 7 du Code de procédure pénale sur la prescription décennale en matière de crimes, dont le délai part normalement du jour où l’infraction est commise.

En effet, la Chambre de l’instruction de Douai, sous prétexte qu’en l’absence de fixation précise du jour de la commission des faits d’homicides involontaires sur mineurs de moins de quinze ans, avait décidé qu’il y avait lieu de retenir la date de découverte des premiers cadavres comme point de départ du délais décennal de la prescription de ces crimes.

La haute juridiction (juge du droit et non du fond), après avoir donc cassé l’arrêt de Douai, a renvoyé l’affaire à une autre juridiction de même degré,[2] soit la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris.

Mais, le 19 mai 2014,[3] la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, allant contre l’arrêt de la Cour de cassation, a renvoyé de nouveau Dominique COTTREZ devant la Cour d’assises du Nord pour octuple infanticide…

Remontons dans le temps !

En juillet 2010, au cours de travaux de terrassement les nouveaux propriétaires d’une maison dans le Nord-Pas-de-Calais, découvrent des cadavres de nouveaux nés dans des sacs en plastique. Après enquête judiciaire, et interrogatoire de la fille de l’ancien propriétaire, celle-ci a reconnu être leur mère et avoir tué en tout 8 bébés puis les avoir dissimulés dans la propriété.

La question est de savoir de quand datent les faits, car à partir de quelle date faire démarrer le délai de prescription de l’action publique ?

La prescription de l’action publique correspond au délai au-delà duquel la poursuite en justice d’une infraction n’est plus recevable. Ce délai dépend de la qualification de l’infraction : il s’élève à dix ans pour un crime, cinq ans pour un délit, un an pour une contravention.

Des exceptions existent : les crimes de guerre sont ainsi imprescriptibles. Les crimes liés au terrorisme et au trafic de stupéfiants sont quant à eux prescrits au bout de 30 ans, tandis que pour les crimes sexuels commis sur des mineurs, le délai est de 20 ans et débute à la majorité de la victime. Il n’est nullement question dans la loi d’autres cas de crimes imprescriptibles en dehors des crimes de guerres.

Ainsi, en vertu de l’article 7 du Code de procédure pénale, le délai de l’action publique se prescrit par 10 ans pour les crimes, et ce délai démarre au jour de la commission de l’infraction. Quid en cas de dissimulation des preuves par l’auteur ?

« C’est là que les Athéniens s’atteignirent. C’est alors que rien n’alla plus. »

Dès mai 2011, la défense a demandé l’abandon des poursuites devant la chambre de l’instruction de Douai en arguant de la prescription des faits, le délai courant à compter de la commission de ceux-ci, daté par expert à plus de 10 ans à la date de leur découverte.

Par un gymkhana intellectuel des plus poussé cette juridiction a estimé que le délai de prescription n’avaient pas pu courir car « le secret entourant les naissances et les décès concomitants, secret qui a subsisté jusqu’à la découverte des corps des victimes, a constitué un obstacle insurmontable à l’exercice de l’action publique ».

La défense a toutefois formé un pourvoi en cassation à l’encontre de la décision, estimant au contraire que le meurtre ou l’assassinat, infractions instantanées, se prescrivaient à compter du jour de leur commission, peu important les conditions de dissimulation des cadavres après leur perpétration.

Le 16 octobre 2013, la Cour de cassation, en sa chambre criminelle suit l’argument de la défense, reprenant sa ligne de jurisprudentielle affirmée, fit une leçon de droit aux juges de Douai, et renvoie l’affaire devant la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris.

Et là,

C’est là que les Athéniens s’atteignirent,

Que les Perses se percèrent,

Que les Satrapes s’attrapèrent…                 

La Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris s’est appuyée sur la jurisprudence des délits financiers, des considérations sociales, morales et sur une notion de « violences particulièrement dévastatrices », génocide en quelque sorte (faisant siennes les conclusions de l’association l’Enfant bleu, partie civile, qui établit un parallèle entre les crimes (reconnus) de Mme COTTREZ et un génocide) !

De là, cette chambre a déclaré qu’il pouvait être d’une bonne justice que d’étendre à toutes les infractions l’exception selon laquelle en cas de clandestinité ou de dissimulation, le délai de prescription de l’action publique devait être suspendu et ne commencer à courir qu’à compter du jour où l’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites avait disparu.

source : http://kenanmalik.wordpress.com

En résumé, le délai a commencé à courir au moment de la découverte des corps pas de prescription de l’action public ! C’est mieux pour la société, mais que dit le droit ?

C’est là que les Athéniens s’atteignirent,

Que les Perses se percèrent,

Que les Satrapes s’attrapèrent,

Que des Mèdes médirent,

Que des Thraces tracèrent…

Il est ici question d’un régime spécial de poursuites qui devrait être celui de l’infanticide, et il faudrait donc envisager des évolutions en matière de procédure pénale.

Certains prêchent haut et fort que ce sont deux décisions qui bien qu’elles soient contraires, ont une seule conclusion : l’urgence d’un choix législatif.[4]

Il est donc urgent d’attendre car les parlementaires sont-ils d’humeur à aborder un sujet aussi sensible ?

Une proposition de loi a bien été portée devant le Sénat par le biais d’un rapport du 21 mai 2014,[5] mais elle est restée pour l’instant sans suite.

Enfin, installons nous confortablement, et attendons la suite qui ne saurait tarder à venir car gageons que le pourvoi en cassation formé contre cette décision va conduire cette grande dame qu’est la Cour de cassation à trancher l’affaire par un arrêt d’assemblée plénière.

« Futurum incertum est »[6]

 

Céline HAUTEVILLE-VILA

Pour aller plus loin :

DEVERS G., «  L’infanticide doit-il être rendu imprescriptible ? », Les actualités du droit en ligne (http://lesactualitesdudroit.com/2014/05/21/linfanticide-doit-il-etre-rendu-imprescriptible/)

 


[1] Crim, 16 oct. 2013, n° 11-89.002 et n° 13-85.232

[2] Conformément à C. pr. civ., art. 626 : « En cas de cassation suivie d’un renvoi de l’affaire à une juridiction, celle-ci est désignée et statue, le cas échéant, conformément à l’article L. 431-4 du code de l’organisation judiciaire » et COJ, art. L. 431-4 : « En cas de cassation, l’affaire est renvoyée, sous réserve des dispositions de l’article L. 411-3, devant une autre juridiction de même nature que celle dont émane l’arrêt ou le jugement cassé ou devant la même juridiction composée d’autres magistrats. Lorsque le renvoi est ordonné par l’assemblée plénière, la juridiction de renvoi doit se conformer à la décision de cette assemblée sur les points de droit jugés par celle-ci. »

[3] Extrait de l’arrêt rendu le 19 mai par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris sur le site du Figaro : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/05/20/01016-20140520ARTFIG00154-l-arret-de-la-cour-d-appel-qui-veut-rendre-imprescriptibles-les-crimes-sur-des-enfants.php

[4] DANET J., « Report de la prescription de l’action publique pour dissimulation d’assassinats », Dalloz-actualite.fr (http://www.dalloz-actualite.fr/chronique/report-de-prescription-de-l-action-publique-pour-dissimulation-d-assassinats#.VDmcbPl_t8E)

[5] Rapport n° 549 (2013-2014) de M. Philippe KALTENBACH, Sénateur, fait au nom de la Commission des lois, déposé le 21 mai 2014 : Proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles (http://www.senat.fr/rap/l13-549/l13-549.html) ; N° 550 : proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles, résultat des travaux de la Commission réunie le mercredi 21 mai 2014, la commission n’a pas adopté de texte sur la proposition de loi n° 368 (2013-2014) modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles. En conséquence, et en application du premier alinéa de l’article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat (http://www.senat.fr/leg/ppl13-550.html).

[6] L’avenir est incertain

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