L’affaire Vincent Lambert cristallise les questions d’organisation et d’éthique juridique comme médicale. L’arrêt rendu par le Conseil d’État le 19 juillet 2017 vient rappeler que la situation n’est pas encore résolue.
Le 29 septembre 2008, Vincent Lambert est victime d’un accident de voiture le plongeant dans un premier temps dans un coma, pour finalement se trouver dans un état de conscience minimale, appelé ‘’état pauci-relationnel’’. Cet état permet d’entrevoir des réactions comportementales et émotionnelles. Néanmoins, l’alimentation et l’hydratation sont artificielles.
En 2012, le personnel soignant du Centre hospitalier de Reims perçoit des manifestations comportementales du patient, lesquelles sont interprétées comme un refus aux soins de toilette. En outre, constatant l’absence d’évolution neurologique favorable ainsi que des lésions irréversibles, une procédure collégiale est engagée par le médecin responsable de service, en application de l’article R. 4127-37 du code de la santé publique. Celui-ci conclut à une obstination déraisonnable telle que définie par l’article L. 1110-5 de ce code.
Le 11 janvier 2014, ce même médecin décide d’arrêter l’alimentation artificielle et diminuer l’hydratation de son patient. C’est alors que les procédures sans fin commencent.
Une nouvelle lecture de la loi du 22 avril 2005 dite Léonetti
Le juge des référés est saisi de la décision précitée prise par le médecin et suspend son exécution par ordonnance du 16 janvier 2014.
En réalité, le clivage au sein de la famille Lambert cerne les questions de droit de la bioéthique. D’une part, certains soutiennent le droit à la vie –et son interdiction subséquente de tuer-, d’autre part, certains relèvent le droit de mourir dans la dignité.
Le corpus juridique n’est pas muet sur ce sujet. En effet, la loi Kouchner du 4 mars 2002 permet aux patients de refuser des soins, y compris vitaux, mais il a fallu envisager le cas où le patient n’est pas en état de manifester sa volonté. Ainsi intervient la loi Léonetti du 22 avril 2005 qui autorise l’arrêt des traitements. Cette décision doit être prise par le médecin en charge du patient, après avoir respecté la procédure collégiale ainsi que la consultation de la personne de confiance, de la famille, des proches, et de la directive anticipée le cas échéant.
Toutefois, la loi vise une personne en phase avancée ou terminale qui serait hors d’état d’exprimer sa volonté. Si Vincent Lambert est effectivement hors d’état de manifester sa volonté, en revanche, l’état pauci-relationnel ne caractérise pas la fin de vie puisqu’il est en situation de stabilité clinique.
Qu’est-ce que l’obstination déraisonnable ? Cette même loi vise « les actes de prévention, d’investigation ou de soin [qui] apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie ». Trois questions doivent alors se poser : quelle est l’utilité du traitement ? Est-il possible d’affirmer qu’aucune vie relationnelle ne sera possible à l’avenir ? Le traitement est-il proportionnel ? Il faut également rechercher la volonté du patient.
Dans le cas d’espèce, c’est l’arrêt de l’alimentation qui est décidé par le médecin. Or, l’alimentation et l’hydratation constituent-ils des soins au sens de la loi précitée ? Le Conseil d’État répond par l’affirmative dans sa décision du 24 juin 2014 : le maintien de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert constitue une obstination déraisonnable, sur la base d’expertises médicales.
La Cour européenne des droits de l’Homme, par arrêt du 5 juin 2015, constate que le droit français offre des garanties suffisantes dans le domaine relatif à la fin de vie, lequel relève de la compétence exclusive des États. En effet, les juges de Strasbourg ont considéré qu’il n’y avait aucun consensus en la matière : il n’y a pas d’atteinte à l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.
Pourtant, ces décisions ne sont toujours pas appliquées, donnant lieu à d’interminables procédures relatives à la même situation.
Le dernier mot du Conseil d’État
A la suite de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme, l’auteur du rapport d’expertise relatif à Vincent Lambert est remplacé par un nouveau médecin chef de service. Ce dernier reprend la procédure ab initio puis décide de la suspendre au motif que les conditions de « sérénité et de sécurité nécessaires n’étaient pas réunies ».
Partant, le neveu de Vincent Lambert conteste ces deux décisions administratives devant le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Le 9 octobre 2015, le juge administratif confirme que le second médecin n’est en aucun cas lié par l’avis de son prédécesseur, en vertu de l’indépendance professionnelle[1]. Effectivement, il est de jurisprudence constante que le médecin ne peut être considéré comme le simple exécutant d’une décision prise par un autre[2]. En revanche, la cour d’appel de Nancy, par un arrêt du 16 juin 2016, enjoint le Centre hospitalier de reprendre le cours de la procédure.
C’est ainsi que les parents de Vincent Lambert en demandent l’annulation devant le Conseil d’État, tandis que le neveu du principal intéressé demande par requête de condamner le Centre hospitalier de Reims à une astreinte par jour de retard dans l’exécution de l’arrêt du 16 juin 2016 rendu par la cour d’appel de Nancy. Les deux pourvois sont rejetés.
Sur la mise en œuvre de la décision du 11 janvier 2014 par le Centre hospitalier
Le Conseil d’État se penche particulièrement sur ce point car cette décision consiste en l’arrêt de l’alimentation et l’hydratation artificielles de Vincent Lambert. Au visa des articles L. 6143-7 et R. 4127-5 du code de la santé publique, le Conseil d’État retient que « les décisions de limiter ou d’arrêter les traitements dont la poursuite traduirait une obstination déraisonnable […] sont prises par le médecin en charge du patient et ne peuvent être mises en œuvre que par ce même médecin ou sous sa responsabilité ». Or, en l’espèce, le médecin ayant pris cette décision n’est plus en fonction depuis le 1er septembre 2014, si bien que le nouveau médecin en charge du patient n’a pas à exécuter la décision précédente sous peine de porter atteinte à l’indépendance professionnelle des médecins, tel que vu précédemment.
Le problème étant désormais de voir une rotation perpétuelle des médecins et il faudrait alors commencer à nouveau des procédures collégiales ad vitam eternam, donnant lieu à une histoire sans fin… sans fin, car les jugements successifs ne sont pas appliqués.
Sur la suspension de la procédure collégiale décidée par le nouveau médecin
L’enjeu de la procédure est toujours de déterminer l’obstination déraisonnable relative au traitement de Vincent Lambert. Les juges confirment que « le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d’éléments, médicaux et non médicaux » pour apprécier la situation présente.
En l’espèce, aucun terme à la suspension n’a été fixé. Le Conseil d’État précise même que les éventuelles menaces ne justifient pas une telle interruption de la procédure. En outre, la décision met également en lumière les conclusions des experts, lesquelles font valoir que l’état de santé de l’intéressé est désormais irréversible. Il est également rappelé que le patient a déjà exprimé son souhait de ne pas être maintenu artificiellement en vie en cas de grande dépendance. Face à cela, l’absence d’opinion unanime soulevée pour suspendre la procédure ne se justifie guère.
Fort de cette décision, le médecin doit donc poursuivre la procédure collégiale pour statuer sur le sort de son patient.
Il reste que les questions éthiques semblent se heurter aux limites juridiques. Selon le rapport du comité consultatif national d’éthique[3], les règles relatives à la fin de vie sont ineffectives et le droit seul apparaît impuissant à régler les problématiques sociétales actuelles.
Stéphanie Mouci
[1] Art. R. 4127-5 du code de la santé publique[2] CE, 2 octobre 2009, Pierre A : le principe d’indépendance des médecins interdit que les décisions médicales d’un praticien hospitalier soient soumises à un accord préalable du chef de service
[3] Rapport du Comité Consultatif National d’Éthique sur le débat public concernant la fin de vie, 23 octobre 2014
POUR ALLER PLUS LOIN :
www.legifrance.fr > code de la santé publique > article L. 1110-5 ; article R. 4127-37
Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie
CEDH, Grande chambre, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02
CEDH, 1ère Sect., 20 janvier 2011, Haas c. Suisse, n° 31322/07
CEDH, Grande chambre, 5 juin 2015, Lambert et autres c. France, n° 46043/14