L’incompétence du conseil d’administration en présence d’une prime exceptionnelle


La Cour de cassation vient de rendre un arrêt intéressant concernant les sociétés dont les titres sont admis sur un marché règlementé. En effet, dans un arrêt du 25 juin 2013, la Chambre commerciale de la Haute Cour soutient que nul besoin de passer par l’autorisation du conseil d’administration lorsqu’il s’agit de l’octroi d’une rémunération exceptionnelle.


A l’heure où les sociétés cotées sont en pleine préparation des premières ébauches du document de référence 2013, il est un arrêt qu’elles ne doivent pas louper ; le 25 juin 2013, la Cour de cassation a évincé la compétence du conseil d’administration lorsqu’il est question d’une « prime exceptionnelle » versée au directeur général.

Le monopole du conseil d’administration

Il est à rappeler que le mode de rémunération « normal » des dirigeants d’une société anonyme est celui du versement de ce que l’on appelle les jetons de présence. Selon une lecture combinée des articles L225-45 et R225-33 du Code de commerce, il apparait que l’assemblée générale des actionnaires est libre de déterminer le montant global de l’enveloppe qu’elle alloue au conseil d’administration. Ce dernier décide de la répartition des sommes entre les différents administrateurs.

Les sociétés anonymes qui versent des jetons de présence sont généralement des sociétés cotées. Comme toute société dont les titres sont admis sur un marché règlementé, l’Autorité des Marchés Financiers leur recommande de suivre un Code des « bonnes pratiques » dénommé Code de Gouvernance. Selon les dernières recommandations de l’AMF[1] relatives à la corporate gouvernance, les sociétés ont majoritairement recours au Code AFEP-MEDEF. Concernant le versement des jetons de présence, le Code AFEP-MEDEF précise, à l’article 21 concernant la rémunération des administrateurs[2] :

« Il est rappelé que le mode de répartition de cette rémunération, dont le montant global est décidé par l’assemblée générale, est arrêté par le conseil d’administration. Il doit tenir compte, selon les modalités qu’il définit, de la participation effective des administrateurs au conseil […] ».

Les conseils doivent donc vérifier l’assiduité des récipiendaires de la rémunération. Néanmoins, l’article L225-53 alinéa 3 prévoit que le conseil d’administration détermine la rémunération à verser au directeur général. Cette disposition semble être générale et absolue de sorte que tous les éléments de la rémunération (fixe, variable, exceptionnelle, avantages divers) relèveraient de la compétence du conseil d’administration.

Or c’est exactement le contraire que vient soutenir la Cour Régulatrice dont l’argumentation est nette et sans bavure :

« Attendu qu’ayant retenu que la prime litigieuse avait été attribuée à M. X… en exécution de son contrat de travail de directeur opérationnel, ce dont il résulte que les dispositions régissant la rémunération d’un directeur général, prévues par l’article L. 225-53 du code de commerce n’étaient pas applicables à l’allocation de cette prime ».

Rmunrations


Le contrat de travail écarte la compétence du conseil

La présence du contrat de travail exclut toute appréciation du conseil d’administration. La Cour estime en effet dans l’espèce que la rémunération perçue sous forme de prime exceptionnelle constituait simplement une contrepartie de l’exécution du contrat de travail en qualité de directeur opérationnel.

Le mandat de directeur général n’étant pas concerné, la procédure prévue par l’article L225-53 du Code de commerce ne pouvait naturellement pas s’appliquer. Il est toutefois courant que le conseil d’administration statue sur la question des rémunérations exceptionnelles et c’est ce dont arguait la demanderesse à la cassation en affirmant que le celui-ci est le seul organe compétent pour décider du montant et des modalités d’une rémunération. Cette affirmation est par ailleurs corroborée par l’article L. 225-46 du Code de commerce selon lequel Le conseil d’administration a la faculté d’accorder aux administrateurs, à raison des missions ou mandats particuliers qu’il peut être amené à leur confier, des rémunérations exceptionnelles.

Or, en l’occurrence, il semble que le mandataire social était également salarié. Le salariat a exclu de fait la réalisation des actes au titre du mandat social de sorte qu’il est devenu subsidiaire face au contrat de travail. Ainsi, la rémunération s’analysait en une prime qu’a perçue le directeur général en raison des missions spécifiques qui lui ont été confiées au titre du contrat de travail. La compétence du conseil est donc épuisée.

Reste qu’en présence d’un cumul mandat social – contrat de travail, le dirigeant demeure soumis aux deux régimes (pour partie au contrat de travail et pour partie au mandat social). Cet éclaircissement de la Cour de cassation permet de clarifier la situation avec une préférence très large pour le droit du travail qui laisse derrière lui la logique affairiste.

La demanderesse aurait pu arguer, au lieu d’une argumentation entièrement fondée sur la compétence, que, constituant une prime exceptionnelle, il s’agissait d’une opération exorbitante de droit commun de sorte qu’elle devait être soumise à l’approbation du conseil d’administration. En effet, un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation juge que ne constitue pas une opération courante une convention conclue entre une SA et son PDG, qui y exerçait également des fonctions salariées, par laquelle le dirigeant a bénéficié d’une augmentation de salaire importante et exceptionnelle ; une telle convention, en raison du préjudice qu’elle peut cause à la société, doit être annulée faute d’avoir été autorisée par le conseil d’administration[3].

La compétence, à travers la reconnaissance de la prime, aurait peut être permis d’en atténuer le montant mais comme le dit si bien ce proverbe allemand, la gourmandise a parfois tendance à vider les poches !

 

Asif Arif


[1] Recommandation de l’AMF n°2012-02 ; Recommandation de l’AMF n°2012-14

[2] AFEP-MEDEF, Code de gouvernement d’entreprise, version révisée en juin 2013 – introduisant notamment le mécanisme du say on pay.

[3] Cass. Soc. 5 nov. 1982, Bacqueyrisse c. Société d’économie mixte des transports publics de voyageurs de l’agglomération toulousaine (SEMVAT) : Bull. Joly 1983, p. 172, in : Dirigeants de sociétés commerciales, Editions Francis Lefebvre.

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