Après de nombreux débats, la loi dite « loi travail » a été adoptée le 8 août 2016. Focus sur l’article 102, qui devrait être suivi à un décret d’application à paraître au plus tard le 1er janvier 2017. Suivant sur de nombreux points le rapport Issindou « Aptitude et médecine du travail » de mai 2015, la loi réforme en profondeur le droit positif de l’inaptitude physique.
La constatation de l’inaptitude médicale
La procédure devant le médecin du travail simplifiée
Avant la loi travail, Le médecin du travail rendait jusqu’à présent un avis d’aptitude à l’issue de deux examens médicaux séparés par une période de 15 jours, afin qu’il puisse effectuer des examens complémentaires et des études de postes (ancien article R.4624-31 du Code du Travail). Des exceptions avaient été portés à cette règle par le décret du 30 janvier 2012. Le double examen médical n’était plus nécessaire si le maintien du salarié à son poste présentait un danger pour sa sécurité ou pour celle des tiers ; ou si une visite de pré reprise avait d’ores et déjà eu lieu dans les 30 jours précédant. La loi a totalement supprimé ce double examen médical [1].
L’avis du médecin du travail
Le législateur a comblé un vide juridique en définissant l’inaptitude. L’article L.4624-4 nouveau du Code du travail dispose qu’un salarié est inapte lorsque le médecin du travail constate « qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible, et que l’état de santé de l’intéressé justifie un changement de poste ». L’aptitude est donc, a contrario, elle aussi, définie.
Différents avis peuvent être rendus par le médecin du travail : un avis d’aptitude pure et simple ; un avis d’aptitude associé à des propositions d’aménagement de poste, ou à des propositions de mesures individuelles ; un avis d’inaptitude associé à des préconisations de reclassement ou encore un avis d’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise.
Concernant l’avis d’aptitude assortie de réserves, l’article L.4624-3 modifié du Code du travail dispose désormais que le médecin peut proposer des « adaptations » de poste, des « transformations », ainsi que des « aménagements » du temps de travail, si cela est nécessaire pour la santé physique ou mentale du salarié. Si l’employeur ne respecte pas les préconisations du médecin du travail, il viole son obligation de sécurité de résultat. Il n’y a donc aucune modification quant aux conséquences du non-respect de l’obligation par l’employeur.
Relativement à l’avis d’inaptitude avec reclassement, le médecin du travail doit désormais obligatoirement formuler des indications relatives au reclassement [2]. La loi travail ajoute qu’il doit se prononcer sur une potentielle formation du salarié si celle-ci est adaptée à son état de santé [3]. L’amendement du 5 juillet a supprimé la référence à la taille de l’entreprise pour la formation, afin d’éviter une discrimination à l’égard des salariés de petites structures.
Il faut noter, en vertu du nouvel article L. 4624-5, que le professionnel de santé devra, dans les deux cas, convoquer le salarié afin d’échanger sur « l’avis et les indications ou les propositions qu’il pourrait adresser à l’employeur ». À la suite de sa décision, le médecin du travail convoquera le salarié et l’employeur afin de leur faire part de son avis, puis rendra des conclusions écrites. La loi prévoit aussi que l’employeur pourra recourir à l’appui d’une équipe pluridisciplinaire ou d’un organisme compétent en matière de maintien dans l’emploi, pour mettre en œuvre les préconisations du médecin du travail [4].
Il est nécessaire de préciser également que le médecin peut aussi émettre un avis d’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise.Dans ce cas, jusqu’à présent, il devait mentionner les recherches de reclassement pouvant être entreprises. La loi Rebsamen du 17 août 2015 avait fait un pas majeur en dispensant l’employeur de son obligation préalable de reclassement lorsque le maintien du salarié dans l’entreprise présentait un risque grave pour sa santé. Cela était néanmoins limité aux victimes d’accident du travail ou d’une maladie professionnelle, en contrat de travail à durée indéterminé. L’article L.1226-2-1 nouveau du Code du travail l’étend à tous les salariés inaptes élargissant de ce fait les motifs de licenciements pour inaptitude.
Le recours de l’avis médical devant le Conseil de Prud’hommes
Jusqu’alors, le salarié ou l’employeur pouvaient contester l’avis du médecin du travail, en faisant un recours auprès de l’inspecteur du travail, dans les deux mois, par lettre recommandée.
La loi travail apporte des modifications à ces voies de recours en prévoyant que la décision du médecin du travail peut être contestée devant le Conseil de Prud’hommes, saisi en référé d’une demande de désignation d’un médecin-expert, comme le dispose l’article L. 4624-7 du nouveau du Code du travail. Le demandeur devra informer le médecin du travail de cette saisine. Le médecin-expert pourra ensuite demander au médecin du travail la communication du dossier médical du salarié.
La question de la charge des frais d’expertise n’est pas encore résolue. L’article dispose que « la formation de référé peut décider de ne pas mettre les frais d’expertise à la charge de la partie perdante, dès lors que l’action en justice n’est pas dilatoire ou abusive ». Cependant, il n’établit pas clairement, dans le cas où le salarié contesterait l’avis du médecin du travail et obtiendrait gain de cause, si c’est le service du santé au travail ou bien l’entreprise qui devra supporter les frais d’expertise.
La loi Travail modifie quelque peu la teneur de l’obligation de l’employeur de rechercher le reclassement du salarié, dans le cas d’un avis d’inaptitude avec reclassement.
La modification de la teneur de l’obligation de reclassement du salarié inapte
La généralisation de l’obligation de reclassement
Suite à une modification par le législateur des article L.1226-2 et L.1226-10 du Code du travail, l’employeur est débiteur d’une obligation de reclassement pour les salariés inaptes lorsque l’inaptitude est advenue en cours d’exécution du contrat de travail, et plus uniquement à l’issue d’une période de suspension du contrat de travail.
L’unification des procédures
Le reclassement doit répondre à plusieurs conditions, comme le disposent les articles L.1226-2 et L.1226-10 modifiés du Code du travail. Il doit se faire sur un poste approprié aux « capacités » du salarié, se rapprocher le plus possible de l’emploi occupé précédemment l’avis d’inaptitude, être conforme aux conclusions du médecin du travailleur et enfin tenir compte de l’avis des délégués du personnel.
La loi travail unifie ainsi les procédures pour les salariés inaptes à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnel, et les cas d’inaptitude d’origine non professionnelle. L’obligation de l’employeur de consulter les délégués du personnel lors du processus de recherche d’un reclassement, est dorénavant étendue aux salariés dont l’inaptitude n’est pas due à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. Cette obligation restera une formalité substantielle comme l’a précisé un arrêt de la Cour de cassation Chambre sociale du 28 avril 2011 pourvoi n°09-71658 et confirmée par l’ajout de « lorsqu’il existe » à l’article L1226-2 2ème alinéa modifié. L’employeur doit donc rechercher le poste de reclassement à l’intérieur du « groupe », loyalement, et dans un délai d’un mois. Selon le nouvel article L 1226-2-1 du Code du travail, si le reclassement n’est pas possible, l’employeur doit en faire connaître les motifs par écrit aux salariés inaptes, indifféremment de l’origine de l’inaptitude.
Une simplification du licenciement pour inaptitude avec reclassement
La loi travail dispose que l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi répondant aux critères énoncés. Ainsi, à partir du moment où l’employeur fait une offre de reclassement conforme à l’avis du médecin du travail, loyale et sérieuse, son obligation est remplie.
Il s’agira alors de suivre l’application par les juridictions de ce texte quant au refus du salarié de la dite proposition de reclassement. La combinaison de la mention « refus du salarié » dans les motifs de licenciement pour inaptitude, avec cette nouvelle disposition, semblerait indiquer que l’employeur pourra valablement licencier le salarié après une proposition unique refusée par le salarié : il n’aurait plus obligation de formuler de nouvelles propositions.
Alice Durand
[1] Article L. 4624-4 modifié du Code du travail
[2] Article L.4624-4 nouveau du Code du travail
[3] Article L.1226-2 modifié du Code du travail
[4] Article L.4624-5 du Code du travail
En savoir plus :
La loi : Legifrance → loi du 8 août 2016 → titre V → article 102
Sur le rapport Issindou : Site igas.gouv.fr → rapport aptitude médecine du travail
Site de l’express entreprise → rh-management→ droit travail → reclassement pour inaptitude ce qu’impose la loi
Sur la réaction des professionnels de santé : site du Monde.fr → rubrique économie → article 2016 → loi el khomri la réforme de la médecine du travail dénoncé par les professionnels