Les prévisions de croissance du PIB de la France ayant été revues à la baisse, le gouvernement a annoncé un plan d’équilibre des finances publiques le 7 novembre 2011, afin de présenter un projet plus fidèle à la réalité, permettant de contenir l’envolée des déficits. Des économies ont dû être réalisées et la lutte contre les niches fiscales continue.
Le gouvernement a annoncé une mesure temporaire concernant une hausse ciblée du taux de l’impôt sur les sociétés (IS). Cette mesure est annoncée alors qu’est à l’étude un projet d’harmonisation de l’assiette de l’IS au niveau européen (projet de directive ACCIS). Il s’agira d’évaluer les objectifs de cette mesure d’augmentation de l’IS pour les sociétés établies en France ainsi que l’impact sur ces dernières, avant de faire le point sur le projet de directive ACCIS et son impact sur le principe de territorialité de l’IS Français.
I. La lutte contre les déficits publics est source d’instabilité fiscale
A. La modification « éphémère » de l’impôt sur les sociétés
Il est ainsi proposé, à titre exceptionnel, d’instaurer une majoration de 5% du montant de l’IS dû par les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros. Les grandes entreprises continueront donc à être soumises à l’IS au taux de droit commun de 33,33%, mais le montant de leur impôt calculé selon les règles actuellement en vigueur sera majoré de 5 %. Cette mesure, de nature exceptionnelle, s’appliquera jusqu’au retour en dessous de 3% de déficit public, dont la réalisation est hautement incertaine. La hausse portera sur l’impôt payé en 2012 et 2013 au titre des exercices 2011 et 2012. Cette contribution exceptionnelle est entrée en vigueur avec la publication au Journal Officiel de la loi de finances rectificatives pour 2011, créant à l’occasion l’article 235 ter ZAA du Code général des impôts.
Toutefois, il semble utile de noter qu’en ce qui concerne le droit fiscal, ce qui est annoncé comme temporaire s’avère souvent revêtir un caractère définitif. Ceci est dans le présent cas d’autant plus vrai que la condition de suppression de cette hausse s’inscrit dans un contexte économique des plus instables. Les grands groupes implantés en France risquent donc d’intégrer ce changement dans leur stratégie fiscale à venir, bien que la hausse, très modérée, n’engendre pas de surcoût significatif.
Cet impôt est souvent l’objet de propositions extravagantes, qui s’apparentent plus à une course aux recettes fiscales qu’à une véritable politique cohérente dans son ensemble. En matière d’IS, l’insécurité juridique règne. La conjoncture économique de crise des dettes souveraines pose le problème de l’insécurité juridique et fiscale pesant sur les contribuables. En effet, les gouvernements sont davantage exposés à la pression des marchés, au détriment de l’attractivité fiscale de notre pays et de la sécurité juridique des contribuables.
B. L’adaptation prévisible des grandes entreprises dans cet environnement instable.
Les grandes entreprises sont donc appelées à participer davantage à l’effort de réduction du déficit public français. Le rendement de cette mesure d’augmentation d’IS est estimé à 1,1 milliard d’euros en 2012 et 2013. Notons qu’un amendement pourrait prévoir l’anticipation de l’application de cette mesure, au titre du paiement du quatrième acompte prévisionnel payable au 15 décembre 2011, afin d’assurer l’équilibre du budget 2011 de l’État sur lequel porte une partie du dispositif de soutien à la Grèce. Ceci est un exemple de forte instabilité juridique, nuisible à l’implantation de grands groupes en France. Cette mesure s’ajoute à la réforme sur le report en avant et en arrière des déficits, qui vient alourdir la charge d’IS des grandes entreprises. De plus, le régime de cessions des participations est revu à la hausse, puisqu’il entrainera désormais la réintégration d’une quote part de frais et charges de 10%, taux qui s’élevait précédemment à 5%
Notons qu’il existe un mouvement de baisse des taux faciaux de l’impôt sur les sociétés sans que celui-ci s’accompagne pour le moment d’un mouvement d’élargissement de l’assiette, comme semble le montrer la réforme récente de l’IS.
La fiscalité directe des entreprises n’apparaît pas comme une source privilégiée de recettes budgétaires immédiates, ce qui explique la hausse mesurée concernant seulement un petit nombre d’entreprises. Ceci permet bien sûr de continuer d’affirmer que le contexte fiscal français est pérenne et favorable aux grandes entreprises.
Il faut toutefois nuancer ce constat puisque l’on observe dans le même temps un recours accru de la part des États à des hausses de fiscalité indirecte. Tout particulièrement via les cotisations sociales et la TVA. Le recours à une augmentation des taux de TVA est de plus en plus répandu, surtout de la part des États qui ont choisi de diminuer l’impôt sur les sociétés. Néanmoins, la crise des dettes souveraines est telle qu’une hausse conjuguée de la TVA et de l’IS constitue une réalité envisageable.
Rappelons que le taux d’IS en France dépasse la moyenne européenne (23,2 %) mais que le taux de TVA (19,6 %) est légèrement inférieur à la moyenne européenne (20,2 %). Il y a une explication simple : la croissance de l’économie française repose d’abord sur la consommation plutôt que sur l’investissement des entreprises.
Il y a donc un arbitrage de politique fiscale à opérer : faut-il privilégier les recettes fiscales au détriment de l’attractivité fiscale, qui, en s’amoindrissant, amène mécaniquement une réduction significative des recettes ?
C’est la raison pour laquelle le quatrième projet de loi de finances rectificatives pour 2011 propose des hausses d’impôt ciblées et mesurées. Dans ce domaine, les entreprises sont en première ligne. Selon la logique gouvernementale, il ne serait pas surprenant qu’en période de crise les entreprises les plus performantes apportent une contribution supplémentaire. Cela peut se faire sous une forme indirecte, comme en Allemagne où les banques, les producteurs d’électricité d’origine nucléaire et les sociétés polluantes vont être taxés, ou de façon plus franche, en augmentant temporairement – en théorie – le taux de l’impôt sur les sociétés.
Il s’agit toutefois d’une mesure insuffisante, car les recettes supplémentaires ne sont pas significatives, mais elle montrerait que l’effort d’austérité est partagé par tous. Ceci permettrait également de rendre plus acceptable une autre mesure, autrement plus rentable : la hausse de la TVA, qui pourrait aussi être temporaire, via une augmentation globale du taux ou un relèvement du taux réduit. C’est ce qu’avait fait le gouvernement d’Alain Juppé en 1995 quand la France devait réduire son déficit budgétaire dans la perspective de la mise en place de l’euro.
Certains estiment qu’au lieu d’augmenter les taux, il serait plus judicieux de s’attaquer aux exonérations dont bénéficient les entreprises. Le rendement de l’impôt sur les sociétés est largement érodé par ce phénomène. Dans la réalité, le taux d’imposition de 33 % n’est que théorique pour beaucoup d’entreprises, qui jouent sur des mécanismes d’optimisation fiscale et de régimes dérogatoires.
En fin de compte, l’IS devrait rapporter 40,9 milliards d’euros à l’État cette année selon les dernières prévisions du ministère de l’Économie, ce qui en fait le troisième poste de recettes du budget derrière la TVA et l’impôt sur le revenu. Le projet de loi de finances 2012 prévoit quant à lui des recettes d’IS de 46,2 milliards, en hausse de 13%.
En ce qui concerne les répercussions directes de cette hausse d’IS, les entreprises concernées subiront différents effets. Les directions fiscales de ces groupes auront des arbitrages à faire au cour des prochains mois.
La hausse temporaire posera la problématique suivante : le taux effectif sera ramené à 36,1 % (en tenant compte de la contribution sociale de 3,3 % sur les bénéfices). Les entreprises pourront être tentées de réduire la participation des salariés aux fruits de l’expansion puisque ce poste a pour base le résultat fiscal. Ceci permet de réduire l’IS, mais risque d’être très impopulaire en ces temps de crise.
Pour les groupes intégrés, on prendra la somme des chiffres d’affaire du groupe pour vérifier si le seuil est atteint. La mère ne devrait pas être en mesure de faire supporter une partie du coût à une filiale dont le chiffre d’affaire est à elle seule supérieur à 250 millions d’euros. La jurisprudence1 précise à ce sujet qu’une société membre d’un groupe fiscal ne peut pas avoir à supporter, sauf à être en présence d’une subvention, un impôt supérieur à celui qu’elle aurait eu à sa charge si elle n’était pas intégrée.
Il semble que la contribution serait donc due à la date du solde de l’impôt sur les sociétés, l’acompte du 15 décembre ne serait finalement pas impacté, sans qu’aucun crédit d’impôt, y compris la créance de carry back, ne puisse venir la minorer.
II. Le projet de directive ACCIS, sésame contre l’instabilité juridique ?
A. Le dilemme entre l’harmonisation et la convergence fiscale
Nous l’avons vu, le contexte économique ne favorise pas la stabilité fiscale et les mesures de chaque État membre peuvent nuire à la cohérence d’ensemble de l’Union. C’est dans ce sens que la proposition de directive européenne ACCIS du 16 mars 2011 propose la mise en place d’un système commun de calcul de l’assiette d’IS avec la création d’un guichet unique pour déposer la déclaration. Cette mesure permettrait la consolidation de tous les bénéfices et pertes enregistrés par des entreprises situées dans l’UE. Notons que l’article 115 du TFUE évoque la législation en matière de fiscalité directe. Le régime ACCIS a donc comme objectif de supprimer les entraves fiscales dues à la superposition de 27 régimes fiscaux différents. La Commission argumente que l’action de l’UE dans ce domaine serait favorable, car une initiative de chaque État membre serait moins efficace, en respect avec le principe européen de subsidiarité.
En toile de fond, il s’agit du débat sur le modèle de l’Union : est-ce simplement un espace de coopération et de construction d’une souveraineté nouvelle ou s’agit-il simplement d’un espace de concurrence ? En matière fiscale, la concurrence est la règle et la coopération, l’exception, sauf en ce qui concerne les droits de douane, la TVA et les accises. Il existe depuis le début du projet européen une forte hésitation dans le domaine fiscal. Un Conseil ECOFIN énonça en 1992 que « l’harmonisation de la fiscalité directe n’est pas une condition nécessaire à l’achèvement du marché intérieur ». Toutefois, un rapport remis en mai à la Commission énonce qu’il faut « engager une coordination fiscale pour éviter l’assèchement du financement de l’État social ». Où en est-on réellement aujourd’hui ?
Pour les impôts non harmonisés, la Commission a pour l’instant favorisé la coopération entre États membres. En matière d’impôt sur les sociétés, proposition fut faite dès 1975 par la Commission de créer une fourchette de taux, mais celle-ci fut rejetée ; en 1992 avec le rapport Ruding et la proposition d’un taux plancher. Face à ces échecs répétés, la Commission s’est attaquée aux pratiques fiscales dommageables telles que les régimes spéciaux dérogatoires, facteurs de distorsions de concurrence. En fin de compte, se profile derrière le manque d’avancées de l’Union en termes d’impôts directs la question du vote à la majorité qualifiée. En effet, la politique fiscale étant un des derniers éléments de souveraineté des États membres, ceux-ci rechignent à céder sur ce point-là. Le vote à l’unanimité est donc une source de blocage qu’il est difficile de surmonter.
Dans le projet de directive soumis le 16 mars 2011, chaque État se verrait attribuer une part de l’assiette consolidée en fonction d’une clé de répartition liée au chiffre d’affaires, la masse salariale et les immobilisations. Les tenants de la concurrence fiscale souhaitent garder la mainmise sur l’assiette et les partisans de l’harmonisation soulignent le risque d’une concurrence plus transparente, donc potentiellement exacerbée. Toutefois, le système actuel ne lutte ni contre la concurrence fiscale ni contre la discrimination fiscale.
Il est ainsi proposé de brider la concurrence d’assiette car elle crée des distorsions de concurrence plus globales, contre lesquelles la Commission a pour mission de lutter. Cela conduit à préconiser l’harmonisation et la consolidation des assiettes. Le risque de distorsion dans le choix de localisation des investissements induit par une liberté de manœuvre fiscale n’est toutefois pas forcément avéré. Mais la possibilité offerte de diminuer son imposition et donc les recettes sans déplacer son activité Etats est sans conteste une perte sociale.
La méthode de la coopération renforcée pourrait être utilisée, avec mise en place entre des États coopératifs d’un taux plancher pour éviter la distorsion de concurrence. Mais le problème suivant peut se poser : si les États restés à l’écart jouent pleinement la stratégie de la concurrence, les États coopératifs seraient touchés conjointement. Pour autant, quand bien même le taux serait plus élevé, l’avantage des États coopératifs serait d’offrir une fiscalité simplifiée et harmonisée favorisant l’intégration des sociétés. Nul doute que les entreprises réalisant des opérations au sein de l’Union européenne apprécieraient.
B. Les effets d’une assiette unique sur le principe français de territorialité de l’impôt sur les sociétés
On peut se demander quels effets aurait l’application d’une assiette unique au sein de l’Union sur le principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés français. Ce principe est régi par l’article 209, I du CGI : les succursales à l’étranger d’une société française ne sont pas imposées en France et les succursales françaises de sociétés étrangères sont imposées en France. Ce principe ne s’applique qu’aux relations entre un siège et sa succursale et plus généralement entre un siège et son établissement stable.
Mais la CJCE définit la territorialité différemment : ce principe se définit comme l’exigence d’un lien logique entre l’imposition par un État des bénéfices d’une entreprise et l’octroi par ce même État d’allègements fiscaux à l’entreprise en cause (arrêts futura participations et Bosal Holding BV).
La CJCE a considéré conforme au principe de territorialité d’exiger que les seules pertes reportables sur le territoire du Luxembourg soient des pertes liées à une activité située sur le sol luxembourgeois.
Mais dans l’arrêt Bosal Hlding BV, la Cour a, au contraire, considéré que le principe ne justifiait pas l’interdiction pour une société mère néerlandaise de déduire des charges afférentes à des participations dans une filiale étrangère.
L’avenir de ce principe est flou : l’impossibilité d’imputer les pertes des établissements stables étrangers sur les bénéfices français est-il contraire au principe communautaire de la liberté d’établissement ? La réponse est incertaine. La CJCE admet, depuis l’affaire Marks & Spencer, qu’un Etat doit traiter identiquement filiales nationales et dans l’UE.
Si l’on adoptait le principe de la mondialité en droit français, il faudrait le combiner avec les techniques conventionnelles d’élimination de la double imposition, soit par la méthode de l’exonération (qui ne change guère la situation actuelle) soit celle de l’imputation.
Pour les entreprises, le système actuel est de nature à permettre l’optimisation, car il est complexe, mais l’harmonisation ne serait-elle pas plus efficace ? Ne faut-il pas renoncer à la règle de l’unanimité sur ces questions lorsqu’une décision de la CJCE contredit la législation de plus de 50% des États membres (affaire Marks & Spencer) ?
Parmi 50 arrêts, il y en a 47 dans lesquels le système national a été condamné. La logique serait d’harmoniser, car cette œuvre de destruction des dispositifs nationaux n’est pas toujours avantageuse pour le contribuable, sans parler des États et de leurs prévisions budgétaires ainsi que de la sécurité juridique. Les Britanniques notamment sont très hostiles à l’harmonisation et s’opposent au vote à majorité qualifiée en matière fiscale. Se pose également le problème de la cohérence de la jurisprudence européenne lorsque l’on sait que la CJCE est composée de 14 juges en exercice depuis peu, dont la vision peut être différente.
Il existe des divergences entre l’État collecteur d’impôt désirant assurer le bien-être de ses contribuables et l’entreprise, qui va rechercher la compétitivité (fiscale), prise dans la compétition mondiale. On peut être attractif soit en favorisant l’installation d’usine, soit de centres de décision. Malgré cette mesure exceptionnelle concernant l’impôt sur les sociétés, il n’est pas démontré que le système fiscal français ne soit pas compétitif. Il existe dans notre pays une consolidation et des fiscalités différenciées d’une région à l’autre, pourquoi ceci ne serait-il pas possible au niveau européen ? Cette hypothèse soulève le souci de remplir certaines conditions, dont la plus importante semble être le besoin d’un processus de décision maitrisé et une compétition fiscale loyale. Enfin, il est indispensable de vérifier la condition d’homogénéité du territoire, ce qui n’est pas sans risque au sein d’une Union à 27.
Julien Nouchi
Notes :
(1). CE 12 mars 2010, n°328424, Wolseley
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