L’impasse d’une lutte contre les discriminations en matière d’économie collaborative

La consommation collaborative est un modèle économique en pleine expansion dominée par l’usage, le partage, la location, plutôt que l’acquisition de la propriété, Airbnb en étant un parfait exemple.

Plus que jamais au cœur des sociétés, elle attire pour sa simplicité et son côté bon marché. Pourtant, sous un trompe l’œil d’inoffensivité, elle peut jouer en défaveur du consommateur. Cela peut sembler aller à contre courant avec le droit positif, sachant que ce dernier tend à venir protéger le consommateur, tant par la loi que par le juge. Ainsi, il a été jugé qu’en matière d’économie collaborative nul délai de rétractation ne jouait (Tribunal d’instance de Dieppe, juridictions de proximité, 7 février 2011, Igor D. c/ Priceminister).

En ce domaine, certaines problématiques apparaissent presque naturellement. Par exemple, une concurrence déloyale est aisément identifiable lorsque des chauffeurs privés Uber offrent des prestations équivalentes à celles des chauffeurs de taxis, sans pour autant être contraints par les mêmes obligations. En effet, ces derniers sont obligés de passer des épreuves afin d’obtenir un certificat de capacité professionnelle, contrairement aux chauffeurs uber. En décembre 2016, la rapidité avec laquelle les manifestations des chauffeurs de taxis se sont organisées reflète indéniablement le sentiment d’injustice dû à ladite concurrence déloyale.

Mais d’autres problématiques sont bien moins simples à démasquer. Il en est ainsi des violations du principe de non discrimination. A priori, rien ne laisse penser que les plate-formes d’économie collaborative nourrissent des risques de discrimination. Pourtant les usagers de ces applications se sont habitué à ce qu’on leur demande photo et informations personnelles. Airbnb par exemple demande pour la création d’un profil le niveau d’études, l’emploi courant ou encore une «vidéo de présentation» en vu de favoriser la conclusion de contrats. Tout cela dans l’unique but de pouvoir louer le temps d’un week end, un nid via Airbnb.

La collecte de ces informations tend à creuser les discriminations, à nourrir les préjugés, même inconsciemment. Par exemple, la non attractivité de profils afro-américains a été confirmée par une étude menée par deux chercheurs d’Harvard, sachant que la question a été bien plus approfondie en Amérique. Or, ces profils n’ont aucun moyen de déduire une quelconque discrimination. Ils ne peuvent en effet que constater que leurs offres, pour une raison ou une autre, ne sont satisfaites ; ou tout au plus, soupçonner la discrimination. Seules des statistiques ont permis jusque-là de conclure à l’existence de discrimination.

Dès lors, on remarque qu’il est quasiment impossible pour la victime de rapporter la preuve de la violation du principe de non discrimination, voire d’être consciente de ladite violation.

Face à ce constat, il est tentant de conclure à l’inefficacité du principe de non discrimination, noble en théorie, inapplicable en pratique.

Dans des domaines comme le droit du travail et sous l’influence du droit communautaire, le droit s’est ajusté aux difficultés rencontrées en matière de discrimination. Ainsi, il suffit pour la victime salariée d’apporter un indice de discrimination, soit de prouver le soupçon au lieu de la discrimination en elle-même. Dans le jargon juridique, il s’agit d’une «preuve allégée». C’est alors à l’employeur d’apporter les raisons objectives à l’origine de la décision perçue comme discriminatoire par le salarié. Le régime est connu pour sa sévérité car l’employeur sera condamné à défaut de preuve de raisons objectives, sans considération de l’intention discriminatoire.

Ce système de preuve allégée pourrait répondre aux difficultés, similaires, rencontrées en matière d’économie collaborative. Toutefois, le régime étant spécifiquement dédié au droit du travail, il ne peut être invoqué par un consommateur privé, obligé de se réduire au droit commun.

Au Canada, la tendance est de se tourner vers le principe de non discrimination dans son aspect collectif. Ainsi, lorsqu’un «nombre disproportionné d’individus appartenant à un groupe identifiable […] subit une différence de traitement résultant d’un ensemble de faits tels que des politiques institutionnelles, des processus décisionnels, des comportements et des attitudes [qui sont] souvent inconscients et anodins en apparence», une class-action est envisageable en vu d’obtenir réparation. Mais la solution semble peu satisfaisante en ce qu’elle impose la constitution d’un groupe de victimes.

Face à la carence du droit, certaines multinationales occupant un rang prédominant dans l’économie collaborative réagissent en imposant le respect d’un règlement intérieur luttant contre les discriminations. Ainsi Airbnb s’est «dévoué à bâtir un monde où des personnes de toutes les origines et de tous les parcours se sentent accueillies et respectées». Les hôtes autant que les voyageurs doivent s’engager préalablement à ne pas refuser une offre pour des raisons contraires à la loi. Une équipe au sein de la multinationale veille à ce qu’aucune annonce n’aille dans le sens contraire, suspend tout utilisateur ayant des propos malveillants et propose des solutions alternatives à toute victime de discrimination, notamment en leur offrant la possibilité de louer un autre bien sans payer d’avantage.

Toutefois, il ne s’agit là que d’une roue de secours face à vide juridique. Il semble qu’il n’y ait d’autre solution que d’attendre une adaptation du droit positif à cette nouvelle économie, si rapidement installée et si prompte à ancrer une discrimination silencieuse dans les mœurs.

MOHAMED Eshana
M1 Droit International

En savoir plus :

Études menées par l’université d’Harvard
Site http://www.hbs.edu → Rubrique Faculty and Research → Rubrique Research → Onglet Publication → Publication « Racial discrimination in the Sharing Economy : evidence from field experiment. »

Site http://www.hbs.edu → Rubrique Faculty and Research → Rubrique Research → Onglet Publication → Publication « Digital discrimination : The case of Airbnb. »

Article complet sur Harvard Business Review
Site https://hbr.org → Article du 27 Février 2017 : « A better way to fight discrimination in the sharing economy.

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