La loi « Travail »[1] du 8 août 2016[2] a instauré une primauté quasi totale de l’accord d’entreprise sur les accords de branche : là où auparavant il était encore possible de choisir entre accord de branche étendu ou accord d’entreprise, ce dernier s’impose désormais de manière autonome dans la quasi-totalité des domaines du droit du travail.
La question de la majoration des heures supplémentaires n’a pas échappé à ce mouvement de décentralisation de la négociation collective de la branche vers l’entreprise, qui a d’ailleurs touché d’autres États membres de l’Union européenne à la fin des années 2000[3]. Un léger rappel historique s’impose afin de mesurer une chose : la loi El Khomri est une loi s’inscrivant dans un processus de continuité, ce n’est pas une loi qui révolutionne véritablement le droit du travail.
A l’origine, en présence d’un conflit normatif entre deux dispositions conventionnelles de même objet mais d’origine différente (branche/entreprise), on appliquait la disposition la plus favorable pour le salarié : c’est le principe légal de faveur[4]. Ce principe figure toujours dans le droit positif mais il connait, depuis une dizaine d’années, un recul certain. La loi « Travail » s’inscrit en réalité comme l’aboutissement d’un mouvement initié par la loi 4 mai 2004[5] qui a prévu, pour certaines matières, la possibilité pour un accord d’entreprise de déroger in pejus à l’accord de branche, c’est-à-dire dans un sens défavorable.
Ensuite, la loi du 20 août 2008[6] a étendu le processus en permettant à l’accord d’entreprise de primer directement sur l’accord de branche dans des domaines prédéfinis dont le temps de travail.
La loi « Travail » n’a fait que généraliser la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche à presque tous les domaines du droit du travail en redessinant l’architecture du code sur trois étages :
- ordre public ;
- champ de la négociation collective ;
- dispositions supplétives (à défaut d’accord collectif).
En ce qui concerne la question toujours très sensible de la réduction par accord collectif du taux de majoration des heures supplémentaires, la loi « Travail » ne fait que faciliter la mise en œuvre de cette réduction (II) dont la possibilité existe en réalité depuis 2004 (I).
I- La baisse du taux de majoration par accord d’entreprise : une possibilité délaissée par les partenaires sociaux
La question du taux de majoration des heures supplémentaires a occupé une place particulière dans les débats, certains commentateurs ayant insisté sur la possibilité offerte aux entreprises de prévoir un taux de majoration pouvant descendre jusqu’à 10%. Seulement, cette possibilité existait avant l’adoption de la loi « Travail » : l’article L. 3121-22 ancien disposait que : « Les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire […], donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires. Les heures suivantes donnent lieu à une majoration de 50 %. Une convention ou un accord de branche étendu ou une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement peut prévoir un taux de majoration différent. Ce taux ne peut être inférieur à 10 %. » Il était donc possible, depuis la loi du 4 mai 2004[7] de prévoir une majoration de 10% minimum par accord de branche étendu ou accord d’entreprise.
L’article L. 2253-3 du code du travail dans sa version antérieure à la loi « Travail » prévoyait la possibilité de prévoir des « clauses de verrouillage » dans l’accord de branche afin d’empêcher tout accord d’entreprise d’y déroger dans un sens défavorable au salarié. La quasi-totalité des accords de branche ont ainsi verrouillé le taux de majoration des heures supplémentaires en reprenant les taux de 25% et 50% prévus par la loi.
La possibilité donnée aux partenaires sociaux de déroger au taux de majoration dans la limite des 10% n’a pas été exploité en pratique ; rares sont les conventions collectives qui prévoient un taux inférieur à 25%[8].
II- La baisse du taux de majoration par accord d’entreprise : vers une réelle mise en œuvre dans les entreprises
La loi « Travail » n’a donc pas modifié les taux de majoration des heures supplémentaires prévus antérieurement : 25% puis 50% au-delà de la 8e heure[9]. Il est également toujours possible de descendre à 10% par accord collectif[10]. Seulement, l’article L. 3121-33 dans sa version issue de la loi Travail donne la priorité à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche pour prévoir le taux de majoration des heures supplémentaires et prévoit ensuite que ce taux ne peut pas être inférieur à 10%. Les partenaires sociaux ne pourront donc plus négocier de clauses de verrouillage au niveau de la branche : tous les accords d’entreprise pourront donc prévoir un taux de majoration de heures supplémentaires inférieur au taux légal.
La vraie nouveauté de la loi Travail réside dans ce point précis : le taux de majoration des heures supplémentaires est désormais entre les mains des partenaires sociaux au niveau de l’entreprise.
Si ce point n’est pas révolutionnaire sur le plan textuel, il tend à la devenir en pratique. La négociation au niveau de l’entreprise se distingue nettement de la négociation au niveau de la branche professionnelle. Négocier au niveau de l’entreprise ou de l’établissement, c’est être au plus près des réalités du terrain. Les accords d’entreprise conclus sous l’empire de la loi nouvelle permettront davantage de flexibilité, il faut nécessairement y voir un avantage pour la compétitivité des entreprises françaises. Les organisations syndicales et patronales ont donc plus que jamais les cartes en main.
Si les très grandes entreprises comportent des organisations syndicales influentes et pourront tenter de conserver des taux de majorations « élevés » des heures supplémentaires, les premières « victimes » de la généralisation de la primauté de l’accord d’entreprise seront à n’en pas douter les PME où la volonté de l’employeur s’imposera plus aisément qu’ailleurs.
Cédric Tomé
[1] Également appelée loi El Khomri
[2] Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels
[3] Grèce, Espagne, Portugal et Italie notamment
[4] Article L. 2251-1 du code du travail
[5] Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social
[6] Loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail
[7] Ancien article L. 212-5 du code du travail
[8] La convention collective des hôtels-cafés-restaurants prévoit un taux de majoration de 10% pour les 4 premières heures, 20% pour les 4 suivantes et 50% au-delà de la 8e heure
[9] Article L. 3121-36 du code du travail (nouveau)
[10] Article L. 3121-33 du code du travail (nouveau)