Depuis 2010, les affaires de propos injurieux d’un salarié à l’encontre de son employeur sur Facebook défrayent abondamment les chroniques judiciaires. On parle d’ailleurs couramment de licenciements « Facebook » dans ces hypothèses. Or le débat sur la nature publique/privée des comptes Facebook semble avoir éclipsé dans ces affaires la question de la loyauté de la preuve rapportée par l’employeur de cette faute.
a) L’abus de la liberté d’expression : une faute pouvant justifier un licenciement
Si la liberté d’expression des salariés a été reconnue par la jurisprudence (affaire Clavaud, 1988), cette notion reste limitée en cas d’abus du salarié. En effet, dans certains cas les propos du salarié pourront justifier un licenciement pour faute. Encore faut-il pour l’employeur justifier la faute de son salarié en rapportant la preuve des propos litigieux. La faute du salarié en matière d’abus quant à sa liberté d’expression existe notamment lorsque les propos injurieux du salarié ont un caractère public (l’employeur ne pouvant rapporter des propos ayant un caractère privé sans porter atteinte au droit à la vie privée du salarié, comme l’a justement précisé l’arrêt Nikon de 2001).
Si l’employeur ne peut rapporter la preuve de cette faute, le licenciement sera considéré sans cause réelle et sérieuse et l’employeur devra verser au salarié des indemnités et, dans certains cas, proposer sa réintégration dans l’entreprise.
b) Les décisions concernant les licenciements « Facebook »
Le 1er jugement en la matière est celui du Conseil de Prud’hommes de Boulogne, du 19 novembre 2010, qui a considéré qu’il y avait bien eu faute grave des salariés (en l’espèce deux salariés avaient été licenciés) en raison de propos injurieux à l’encontre de leur supérieur hiérarchique sur leur compte Facebook. L’employeur avait eu connaissance des faits grâce à un “ami” (et collègue) des salariés qui avait édité et rapporté la page du site où figuraient les propos incriminés.
On imagine donc que la page éditée a été utilisée comme moyen de preuve. Or cette pièce était-elle une preuve loyale ? Cette question n’ayant pas été relevée, le Conseil n’a pas cherché à y répondre, considérant qu’un compte Facebook avait un caractère public dès lors que les commentaires étaient ouverts aux « amis des amis » et qu’ainsi la faute grave était caractérisée.
Dans une décision du 15 novembre 2011, c’est la Cour d’appel de Besançon qui validait un licenciement « Facebook » pour faute grave. Là encore, la juridiction ne se posait pas la question de savoir comment l’employeur a eu connaissance des propos, ni si la preuve rapportée par l’employeur était loyale mais jugeait que Facebook était un espace public et qu’ainsi les propos de la salariée justifiaient son licenciement.
Mais, le même jour, la Cour d’appel de Rouen a (enfin) soulevé la question de la preuve. En effet, dans cette espèce, l’employeur n’apportait aucune justification sur la manière dont il avait pu avoir connaissance des faits reprochés à la salariée et, ainsi, il ne démontrait pas que les propos tenus sur Facebook avaient un caractère public. La Cour d’appel en a justement considéré que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.
Cette décision, rassurante, nous rappelle les principes essentiels en matière de preuve et notamment en droit social lors de conflit entre un salarié et son employeur quant à des propos injurieux tenus sur Facebook.
c) Le respect au droit à la vie privée du salarié et le caractère public ou privé de Facebook
C’est l’arrêt Nikon en 2001 qui a posé le principe du droit au respect de la vie privée du salarié sur son lieu de travail. Il découle de ce principe que l’employeur ne peut pas utiliser n’importe quelle preuve pour démontrer la faute d’un salarié et, notamment, ne peut utiliser des faits relevant de la vie privée du salarié.
En matière d’abus de la liberté d’expression du salarié, ce principe suppose que les propos, diffamant ou injurieux, aient un caractère public pour justifier la faute et le licenciement d’un salarié. Cependant la preuve de ces propos doit aussi respecter le principe de loyauté de la preuve.
d) Le principe de loyauté de la preuve en matière sociale
En effet, le droit processuel français, et notamment en matière civile, pose le principe de la loyauté de la preuve lors du jugement. Ce principe est issu du droit à un procès équitable (art. 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme) qui impose l’égalité des armes entre la partie demanderesse et la partie défenderesse. Ce principe implique que l’obtention de preuves ne doit pas se faire de façon déloyale ou illicite, par exemple en ayant recours à un stratagème ou encore, en provoquant l’infraction.
En droit social, les juridictions usent de ce principe afin de pallier la faiblesse de la partie “salarié”. On peut notamment citer l’arrêt Afflelou, du 18 novembre 2009, dans lequel la Cour de cassation assouplit ce principe à l’encontre du salarié en considérant que “la production en justice de documents couverts par le secret professionnel peut être justifiée par l’exercice des droits de la défense”.
A contrario, ce principe est appliqué de façon plus sévère à l’égard de l’employeur qui, non seulement ne peut porter atteinte au droit à la vie privée du salarié (par exemple, doit informer le salarié avant d’ouvrir des fichiers « personnels » sur son ordinateur) mais doit aussi respecter le principe de loyauté de la preuve qui implique de ne pas sanctionner un salarié pour des faits relevant de sa vie privée (arrêt Nikon, 2001).
L’employeur doit donc faire preuve de la plus grande prudence quand il veut faire constater la faute d’un salarié afin de justifier son licenciement et d’éviter sa requalification en licenciement « sans cause réelle ou sérieuse ». Or, rapporter la preuve de propos injurieux sur un réseau social peut s’avérer compliqué. Souvent l’employeur a connaissance des faits par le biais des collègues du salarié, qui n’hésitent pas à transmettre les propos à l’employeur (en imprimant la page sur laquelle les propos litigieux apparaissent, par exemple). L’employeur doit donc démontrer le caractère public des propos pour ne pas porter atteinte au droit à la vie privée du salarié mais doit également s’assurer du caractère loyal de la preuve.
e) Constat d’huissier et Facebook
Pour mieux garantir que le caractère loyal de la preuve, l’employeur peut être tenté de faire appel à un huissier afin de procéder à un constat Internet. Or, le constat d’huissier doit aussi répondre à certaines règles, posées notamment par le Tribunal de Grande Instance de Paris, dans son jugement du 4 mars 2003 (TGI Paris, 3ème ch., 4 mars 2003, Frédéric M. c/ Ziff Davis, ZDN et autres):
- description du matériel utilisé ;
- mention de l’adresse IP de l’ordinateur utilisé par l’huissier ;
- effacement des “caches”, fichiers temporaires afin de s’assurer que l’huissier ne voit pas des pages qui auraient pu être stockées lors d’une précédente visite ;
- contrôle de la connexion sans serveur proxy.
En plus de ces règles techniques, l’huissier doit respecter des règles, encore une fois afin de respecter le principe de loyauté de la preuve. Par exemple l’huissier, lors d’un constat sur un site soumis à une inscription préalable, doit se connecter via sa propre identité. Ce principe a été rappelé par la jurisprudence dite “Second life” (TGI Paris, ord. réf. 2 juillet 2007, UDAF de l’Ardèche et a. c/ Linden Resarch et autres) ou encore à propos de procès verbaux de constat d’achat (TGI Paris, 21 janvier 2009, Red Castle France, Jill M. c/ Aubert France, Sicatec).
En conséquence, lorsqu’un employeur souhaite faire constater par huissier les propos injurieux qu’un salarié tiendrait à son encontre sur un site de réseau social, l’huissier ne doit pas mentir ni sur son identité, ni faire usage d’une fausse qualité pour confondre le salarié. En effet, l’huissier qui utiliserait un autre nom sur un réseau social pour constater les propos injurieux d’un salarié, userait en fait de manœuvres déloyales entraînant l’annulation de son constat. Il doit alors se connecter sous sa propre identité et pouvoir accéder au contenu litigieux via son compte.
Dès lors, s’il peut accéder aux propos injurieux via son compte, non seulement l’employeur bénéficiera d’une preuve loyale afin de justifier le licenciement pour faute, mais, de plus, le caractère public sera établi puisqu’en toute logique l’huissier sera un tiers par rapport aux commentaires. Cela évitera le débat sur le caractère public ou privé des publications sur Facebook et justifiera le licenciement.
Après Facebook, c’est sur Twitter que les salariés usent (et abusent ?) de leur liberté d’expression quant à leur employeur. Le licenciement de Pierre Salviac en mai 2012 en est un bon exemple après un tweet concernant Valérie Trierweiler (« A toutes mes consœurs je dis : « baisez utile vous avez une chance de vous retrouver première Dame de France » 😉 »). Plus récemment c’est Quick qui attaque un salarié pour diffamation pour des propos concernant son quotidien dans l’entreprise sur Twitter. Il va sans dire que la preuve est beaucoup plus facile à rapporter dans cette hypothèse…
Claire VINH-SAN