Aux premières loges, l’Europe a été marquée par les secousses de la Seconde Guerre Mondiale tant sur le plan économique que sur le plan moral. Objectifs à la fois économiques, juridiques, politiques et culturels, l’Europe a dû se construire en adoptant des positions un tant soit peu contraires à l’image qu’elle souhaite pourtant préserver encore aujourd’hui.
Entre utopie et réalisme
Du Conseil de l’Europe à la formation de la Cour européenne des Droits de l’Homme, le respect de la démocratie et des libertés fondamentales a toujours été au cœur de la construction européenne. Plus encore, la protection de l’Homme s’est toujours présentée comme un pilier. Adoption du traité de Maastricht en 1992, visant « une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe[1] » ou encore valeur contraignante dès 2009 pour la charte des droits fondamentaux[2], les droits et libertés des individus ont été érigés comme le socle de l’élaboration d’une véritable communauté européenne.
Mais l’Europe, c’est avant tout des accords économiques. C’est pourquoi elle a dû construire son modèle sur d’autres principes, principes économiques au sein d’un marché unique afin d’assurer le respect d’autres libertés, telle que la libre circulation des personnes, des biens, des services ou encore des capitaux.
Cette Europe, relativement « utopique » qui prône la défense de droits et valeurs universelles, se trouve pourtant confronter à la réalité des enjeux géo-stratégiques qui amènent les États à passer sous silence le respect de certaines valeurs au profit de leurs propres intérêts. Plusieurs illustrations témoignent de cet aspect fluctuant : l’accord sur la migration entre l’union européenne et la Turquie ou encore la position de l’union européenne quant au régime Égyptien.
Futur ex-membre de l’Union européenne à la suite du Brexit, l’Angleterre a su faire part de ses idées récemment. Le 4 juin dernier, Theresa May, Premier Ministre britannique, a déclaré : « Je le dis très clairement : si les textes qui définissent les droits de l’Homme nous empêchent de combattre l’extrémisme et le terrorisme, alors nous modifierons les lois pour protéger les Britanniques[3] ».
Simple surenchère électorale ou lapsus révélateur d’une politique européenne sélective ?
Sommes-nous face à une simple volonté de respecter les valeurs véhiculées sur la scène internationale, ou plutôt une réalité traduite par la non-adhésion de l’union européenne[4] à la Convention européenne des Droits de l’Homme ?
Les droits de l’Homme et le respect des libertés fondamentales : valeurs universelles
Les premiers textes faisant référence aux droits de l’Homme et au respect des libertés fondamentales sont apparus très tôt en Angleterre. De la magna carta (1215) à l’Habeas corpus (1979) ou encore au célèbre texte « The bill of rights » (1689), cette pensée a été étendue au fur et à mesure sur la scène internationale. L’adoption de la déclaration des droits, plus communément connue sous le nom de « United States Bill of rights » en 1791, est venue quant à elle, consacrer des garanties (liberté de la presse ou encore liberté religieuse).
L’émergence de la prise en compte de ces droits a également été permise grâce aux philosophes des Lumières qui ont su contribuer par leur pensée à la consolidation de ces idées.
L’essor de l’ensemble de ces prémices a rendu légitime le respect de ces droits naturels dès lors consacrés dans de nombreux textes. Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, Préambule de la Constitution de 1946, Charte de l’environnement de 2004 ou encore Convention européenne des droits de l’Homme de 1950 : tant de fondements qui imposent à eux seuls le dogme de l’État de droit.
Revenons sur quelques notions
Un État de droit est un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit auquel tout individu est sujet de sorte que le respect des droits des individus demeure le socle de toute démocratie. Chaque État ne peut par conséquent porter atteinte à l’ensemble des droits de chacun et doit permettre, le cas échéant, de faciliter leur exercice[5].
La sauvegarde de la sécurité permettrait-elle alors de justifier des restrictions aux libertés fondamentales ?
Force est de constater qu’au sein de leurs relations diplomatiques, les États n’hésitent pas à sympathiser avec des pays dont le respect des valeurs sont toutes autres, avec des pays qui entravent dans leur quotidien les valeurs universelles dont se prévaut l’Europe et la communauté internationale. Il semblerait alors qu’en présence de mise en commun d’intérêts étatiques, il s’avère compliqué de contrebalancer le respect des droits et libertés fondamentaux face à des enjeux géopolitiques. Tandis que d’autres s’en tiendront à dire : « business is business », en affirmant qu’il est préférable de laisser la morale à la porte des intérêts[6].
Les facteurs influant la vision des libertés fondamentales
Au sein de l’union européenne et sur la scène internationale, bon nombre de situations témoignent de la présence de facteurs influant la vision des libertés fondamentales. Là où les États prônent majoritairement l’application continue de la Convention européenne des droits de l’Homme et du respect constant des libertés telles que la liberté d’expression ou encore la liberté de conscience, la réalité demeure tout autre.
A titre d’illustration, selon l’Europe, la Turquie dont l’entrée dans l’Union européenne reste discutée, a très souvent bafoué les principes et droits fondamentaux, et plus spécifiquement la liberté d’expression[7]. Cela s’est accentué avec les nombreuses arrestations à la suite du Putsch militaire de juillet 2016[8]. Malgré tout, l’Europe n’a pas hésité a conclure un accord avec la Turquie concernant la réduction des migrations vers l’Europe, ce qui montre toute la dimension géopolitique d’utilisation des droits fondamentaux dans les relations entre les États.
Il en va de même quant à l’Égypte qui n’a cessé de voir restreindre ses libertés depuis le régime Sissi[9], ce qui n’a pas empêché l’Europe de conclure des accords économiques avec ce dernier[10], tout en rappelant timidement le respect des droits de l’Homme.
Les exemples sont nombreux quand il s’agit des relations bilatérales et économiques entre les États au détriment des valeurs universelles. Tel est encore le cas des accords commerciaux entre la France et l’Arabie Saoudite qui ne cessent de se réaliser. Dernièrement, la France a investi et conclu un accord à hauteur de 10 milliards d’euros[11], ce qui affirme l’idée d’une moralité placée au second plan.
Cela s’illustre également avec les relations entre l’Union européenne et le Tchad. Malgré une continuelle répression de l’opposition de la société civile, la France entretient ses relations diplomatiques avec le pays. Pour ainsi dire, c’est au nom de la lutte contre le terrorisme que l’État français s’est gardé de réagir quant à la présentation à cinq reprises aux élections présidentielles du Président Idriss Déby Itno en raison du soutien militaire du Tchad envers la France dans le Sahel[12].
Ainsi, par des obligations géopolitiques ou des raisons économiques, la morale est mise à mal. Cela montre que l’application et le respect des droits et libertés fondamentaux, dans un contexte européen et sur la scène internationale, a vocation à s’appliquer de manière relative.
Mathilde Ralambomiadana et Adnan Zerkti
Pour en savoir + :
[1] Traité de Maastricht, signé le 7 février 1992 et entré en vigueur en 1er novembre 1993 (www.touteleurope.eu)[2] Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre, prenant force contraignante en 2009, avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009 (www.touteleurope.eu)
[3] P. BERNARD, « Theresa May veut « changer les lois sur les droits de l’Homme » », Le Monde, 07 juin 2017
[4] CJUE, Ass. PI. 18 déc. 2014, Avis 2/13
[5] R. GOSALBO BONO, « État de droit et droit de l’union européenne », Revue de l’UE, 2011 p.156
[6] J-B JEANGENE VILMER, « Jusqu’où aller dans nos relations avec les dictatures ? », Le Monde, 23 février 2010
[7] « Turquie : l’ONU fait état de graves violations des droits de l’Homme dans le sud-est depuis juillet 2015 », UN News Centre (www.un.org)
[8] « Turquie : Les leçons d’un putsch manqué », Le Monde, 20 juillet 2016
[9] « L’Égypte sous la botte des militaires », L’express, 16 avril 2016
[10] D. GALLOIS, « Comment la vente de Rafale à l’Egypte a-t-elle été organisée ? », Le Monde, Économie, 16 février 2015
[11] « La France conclut 10 milliards d’euros d’accords avec l’Arabie Saoudite », La Tribune, 13 octobre 2015
[12] C. MACE, « Tchad : une vague de disparitions entache la réélection de Déby », Liberation, 30 avril 2016