L’élévation de la création artistique au rang de liberté est-elle pertinente ?
Le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine a apporté une remarque à laquelle nous ne pensions plus, croyant qu’elle était intégrée dans la pierre bâtissant l’édifice de la République française. « La création artistique est libre », affirme ainsi l’article premier du chapitre premier du projet. Interrogeons ici la pertinence d’une telle affirmation de la liberté de création artistique.
Affirmer l’évidence
Tout d’abord, il faut rappeler que le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine a été déposé à l’Assemblée nationale le 8 juillet 2015 et il fait depuis l’objet de discussions parlementaires. Le 6 octobre 2015, le projet a été adopté en première lecture par l’Assemblée. Ce vote parlementaire a conservé la teneur de l’article premier, incisif et efficace. Il faut également rappeler que la France n’est pas le premier pays à affirmer un tel principe de liberté de création artistique. De fait, cette liberté apparaît dans les textes constitutionnels de plusieurs pays Européens : Autriche, Allemagne, Italie, Espagne, Grèce, etc. Il est alors légitime de se demander pourquoi notre pays a attendu si longtemps avant d’affirmer un tel principe. Nous pouvons supposer ici que l’exception culturelle française a donné le sentiment qu’il n’était pas nécessaire de rappeler une liberté qui, cela va sans dire, paraissait acquise.
Mais d’ailleurs, avait-on réellement besoin d’un article de loi, en France, rappelant le droit de disposer de la liberté d’une création artistique pleine et entière ? La question se doit d’être posée, dans un pays dont la devise – liberté, égalité, fraternité – affirme d’ores et déjà des principes révélateurs de la culture artistique, politique et juridique. De plus, les droits de la propriété intellectuelle semblaient déjà protéger les créations artistiques. Ainsi, les détracteurs du projet pourront affirmer qu’il ne s’agit que d’un exercice de style, afin de réaffirmer un principe, que nous pensions acquis. La création d’une liberté pourrait alors cacher une volonté de renforcer les bases de l’édifice de la République, liée à un contexte particulier dans lequel la création artistique bénéficie d’une plus grande visibilité et émancipation.
Une poésie rédemptrice
La formule de l’article premier du projet de loi, concise et percutante, apparaît presque comme lyrique et empreinte d’une certaine volonté de magnificence. De fait, comme tout projet de loi, celui-ci émerge d’un contexte social et politique particulier. Les attentats du mois de janvier 2015 ont remémoré la nécessité pour le gouvernement de protéger la culture et les artistes, comme ses biens les plus précieux. La rédaction de Charlie Hebdo avait fait l’objet de plusieurs menaces, plus ou moins prises au sérieux par les premiers intéressés, mais peut-être pas assez par les membres du gouvernement en fonction. Ainsi, les violents évènements de janvier sont apparus pour certains comme le déclencheur d’une plus grande protection de la culture et de ses tenants. Face au terrorisme, choisir l’art et la culture comme armes. Cette réponse a d’ailleurs été choisie par le Premier ministre italien Matteo Renzi, qui a affirmé que les remèdes nécessaires face à la situation actuelle étaient « la sécurité et la culture ». Le gouvernement, en préparant et présentant rapidement le projet de loi, semble vouloir palier à la lacune législative existante dans ce domaine et ainsi tente de mettre en place de meilleurs outils juridiques de défense de la création artistique et de leur auteurs.
Dans l’exposé des motifs du projet de loi, il est admis qu’« alors que notre pays et notre continent traversent une crise de sens, nous avons plus que jamais besoin de réaffirmer notre attachement à la préservation du patrimoine comme au soutien aux artistes ». Cette déclaration montre une nouvelle fois le fort attachement de cette loi à son contexte particulier. Cependant, par certains aspects, le chapitre premier du projet de loi ne semble pas apporter de réel bénéfice à la création artistique. D’abord, comme il a été rappelé précédemment, parce que le droit de la propriété intellectuelle garantit d’ores et déjà de nombreuses dispositions rappelées dans le projet. Ensuite, le projet présente une prose travaillée, rythmée, et parfois, vide de sens. Néanmoins, il est vrai que la poésie de différents textes législatifs français laisse parfois ceux-ci vides de toute cohérence et d’apports pertinents. Relevons ainsi, dans le projet sur la création artistique adopté, la formule rappelant que la politique de service public en faveur de la création artistique se doit de « Favoriser la liberté dans le choix par chacun de ses pratiques culturelles et de ses modes d’expression artistique ». Dans cette formule, il est également possible de percevoir une réminiscence de la liberté d’expression, voire de la liberté de conscience affirmée dans les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Création d’une liberté, perte d’une valeur ?
L’article premier du projet de loi vient édifier et affirmer une liberté, celle de la création artistique. Cependant, le fait d’affirmer une telle liberté transforme celle-ci en un objet intouchable et la porte au rang des droits culturels essentiels. Une telle sacralisation ne viendrait-elle pas freiner la création artistique ? Aussi, la création artistique n’est-elle pas libre par définition ? Lors de la séance de l’Assemblée nationale du 6 octobre 2015, M. Michel Pouzol, du groupe socialiste, républicain et citoyen a ainsi rappelé que « la création artistique est par essence liberté, dans toute sa force, dans toute sa diversité, dans toute son impertinence ». Une autre question semble alors se poser naturellement : impertinence et droit sont-ils compatibles ? Les artistes pourront se prévaloir de cette loi en justice, s’ils se trouvent attaqués pour leurs créations. La liberté est par définition « un exercice sans entrave garanti par le droit de telle faculté ou activité » (Vocabulaire juridique Cornu). Mais l’absence de soumission au pouvoir politique ne peut pas ici vouloir signifier une création artistique au dessus des lois, capable de tout et sans rien risquer. En effet, il n’est pas permis de tout montrer, de tout produire et de tout affirmer puisqu’existe notamment des restrictions concernant la diffamation, l’exhibition sexuelle, ou encore les atteintes aux biens publics ou privés. Ainsi, l’usage du mot liberté pourrait apparaître comme trop intense pour un domaine si vaste, mais limité, qu’est la création artistique.
Selon la ministre de la Culture Fleur Pellerin, l’affirmation de la liberté de création artistique est nécessaire afin de disposer d’une arme législative puissante pour contrer les atteintes à la culture et à l’art. Un exemple flagrant d’atteinte a été révélé durant l’été 2015, avec la dégradation de l’oeuvre Dirty Corner d’Anish Kapoor, présentée dans les jardins du Château de Versailles. Ce vandalisme dirigé ostensiblement contre une œuvre artistique nous rappelle l’importance de la protection de la création artistique, qui nous paraissait être une valeur de la République ancrée et assimilée. Cependant, la création d’une liberté ne serait-elle pas démesurée ? Cette nouvelle liberté de création sera-t-elle véritablement à même de protéger les créations artistiques ? Ou au contraire, sera-t-elle source de conflits liés à son ambiguïté et sa construction hâtive ? Seule la pratique législative pourra apporter ces réponses.
Constance Peruchot
Sources internet :
Exposé des motifs du projet de loi
Vocabulaire juridique, Gérard CORNU