Situation de « dictature légitime », l’état d’urgence est une pratique institutionnelle exceptionnelle. Le professeur Pascal Jan le définit comme « un état de crise qui permet aux autorités administratives de prendre des mesures (…) susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés des personnes » (1).
Le 23 mars 2020, le Sénégal est entré en état d’urgence. Conformément à l’article 69 de la Constitution, l’Assemblée Nationale sénégalaise a autorisé le Président à proroger l’état d’urgence pour une durée de trois mois.
Il est possible de se demander comment les institutions sénégalaises mettent en place un état d’urgence sans dériver vers un régime liberticide.
La situation de calamité, permet aux institutions de restreindre les libertés fondamentales des citoyens. Toutefois, les prérogatives exceptionnelles de l’exécutif, sont nécessairement encadrées.
L’État d’urgence et la restriction des libertés
Restriction des libertés associatives et d’aller et venir. Dès le 13 mars 2020, le Ministre de l’intérieur du Sénégal, M. Aly Ndiaye, avait pris un arrêté portant interdiction provisoire des manifestations et des rassemblements du 14 mars au 14 avril 2020. Le 23 mars 2020, le décret sur l’état d’urgence a définitivement entériné la mesure. Or cette interdiction est contraire au principe de liberté des réunions garanti par l’article 8 de la Constitution du Sénégal. Ce fut là, l’acte I des restrictions des libertés qui vont suivre par la suite. La seconde mesure topique, fut la mise en place d’un confinement partiel des populations afin de lutter contre le Covid-19.
Les mesures d’intervention sur l’économie (2). Le principe de la libre concurrence implique en outre l’encadrement des aides d’Etat et l’interdiction des restrictions économiques. Face au Covid-19, l’exécutif sénégalais a toutefois adopté trois séries de mesures (3) :
– De façon générale un fonds de riposte de 1 000 milliards de FCFA a été mis en place pour soutenir les entreprises et la diaspora.
– Une série de mesures économiques et fiscales dont la remise partielle de la dette fiscale constatée au 31 décembre 2019 due par les entreprises, pour un montant global de 200 milliards.
Ces restrictions aux libertés garanties par la Constitution sénégalaise sont encadrées par des garde-fous nécessaires qui assurent légalité et légitimité à un tel régime.
Des prérogatives encadrées
Le contrôle de l’Assemblée nationale. Ce contrôle s’exerce avant l’entrée en vigueur des mesures concrètes prévues en situation d’état d’urgence. L’article 69 de la Constitution prévoit que l’Assemblée nationale se réunit de plein droit, lorsque le Chef de l’Etat décrète l’état d’urgence (4). De même, l’alinéa 2 du même article confie à l’Assemblée Nationale, saisie par le Président, le soin d’autoriser la prorogation de l’état d’urgence au-delà du délai légal de 12 jours.
Un contrôle par la voie juridictionnelle. Le premier type de contrôle est un contrôle de légalité. C’est l’administration qui met en œuvre les mesures d’urgences par voie réglementaire. Ces actes sont susceptibles de recours devant le Tribunal administratif.
Le second type de contrôle est fait par le juge judiciaire, juge des libertés par excellence. C’est un contrôle après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Dans ce contrôle, le juge interprète cette dernière en examinant la concordance de la situation. Elle sanctionne le non respect des aspects formels ou la disproportion des mesures adoptées.
En définitive, les pouvoirs exceptionnels de l’exécutif, en état d’urgence, n’ont pas glissé dans l’arbitraire qui d’ordinaire hante les jeunes démocraties africaines. En ce sens, il est possible de conclure que la pandémie du Covid-19 est un excellent baromètre pour évaluer au Sénégal, le niveau de l’Etat de droit.
David Edou, en licence de droit à l’UCAO (Université catholique de l’Afrique de l’Ouest) à Dakar.
1 P. Jan, « Qu’est-ce que l’état d’urgence ? Son régime juridique », 13 juillet 2017.
2 https://taj-strategie.fr/afrique-mesures-covid-19-senegal
4 Constitution du Sénégal