La société EDF, l’un des premiers électriciens mondiaux et symbole de la réussite industrielle française, a, durant ces dix dernières années, été suspectée à plusieurs reprises de bénéficier d’aides d’Etat. Retour sur quatre affaires emblématiques qui ont façonné, parfois profondément, ce géant du secteur de l’énergie.
Du statut juridique à son régime fiscal, du monopole de fourniture de certains tarifs aux accords de construction de centrales conclus avec des pays étrangers… La Commission européenne a contesté plusieurs fois la bienveillance supposée de l’Etat à l’égard d’Électricité de France. En dix ans, EDF a notamment été accusée, à quatre reprises, de bénéficier d’aides de l’Etat. Un bref rappel du droit des aides d’Etat s’impose.
Si certaines aides sont autorisées, les articles 107 et 108 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) prohibent, par principe, les aides d’Etat en ce qu’elles entravent le libre jeu de la concurrence. Ainsi, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Cette aide peut prendre la forme d’une aide positive (prêt, subvention, recapitalisation) ou négative (avantage fiscal, exonération sociale).
Les nouvelles aides d’Etat doivent être notifiées à la Commission européenne, sans quoi elles seraient jugées illégales. Disposant d’une compétence exclusive pour se prononcer sur la compatibilité d’une aide avec le traité, la Commission peut également contester des aides existantes. La procédure commence par un dialogue confidentiel entre cette dernière et l’Etat intéressé. Ce dialogue informel a pour objectif de rendre l’aide envisagée conforme à l’article 107 TFUE si l’Etat partie respecte des conditions fixées par la Commission. En cas d’échec, une procédure formelle est ouverte et peut, à terme, aboutir à une sanction. La décision de la Commission peut bien évidemment être contestée devant le Tribunal de première instance de l’Union européenne puis devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Les conséquences de l’illégalité d’une aide sont importantes. L’objectif est de revenir à la situation antérieure en rétablissant une situation de concurrence non faussée. L’aide illégale doit donc être remboursée.
La Commission européenne a appliqué plusieurs fois cette procédure à l’entreprise EDF. On peut distinguer deux étapes : le droit des aides d’Etat a permis d’apprécier, d’une part, la structure juridique d’EDF et, d’autre part, ses activités.
Lors de la première étape, la Commission européenne a critiqué le régime fiscal appliqué lors de la restructuration d’Électricité de France avant d’en contester son statut juridique. D’établissement public, l’Etat transforma alors un de ses démembrements en société anonyme.
Lors de la seconde étape, la Commission européenne a remis en cause, d’une part, le monopole dont bénéficiait EDF concernant les offres aux tarifs réglementés de vente pour les entreprises et, d’autre part, le récent contrat de vente de deux réacteurs nucléaires au Royaume-Uni.
L’article propose un retour sur quatre affaires relatives aux aides d’Etat qui sont autant d’étapes emblématiques qui retracent l’histoire mais également présentent et parfois expliquent les caractéristiques de la société EDF telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Le contrôle de la restructuration de l’EPIC EDF
EDF est, à l’origine, un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) créé par la loi du 8 avril 1946 qui nationalise et affecte à une seule structure les biens de 1450 entreprises de production, de transport et de distribution d’énergie électrique.
En 1997 [1], la situation patrimoniale de l’EPIC a été modifiée et une restructuration a eu lieu. EDF a été exonérée d’une partie de l’impôt sur les sociétés en raison du reclassement comptable en capital des provisions constituées pour le renouvellement du réseau d’alimentation général. En raison de ces procédures fiscales complexes, la Commission européenne a considéré qu’EDF avait bénéficié d’un avantage fiscal susceptible de constituer une aide d’Etat. Cette première affaire témoigne de l’existence, déjà ancienne, d’un contrôle exercé par la Commission sur les liens économiques entretenus entre l’Etat et l’établissement public.
A contrario, les autorités françaises considèrent que la restructuration comptable opérée en 1997 peut être interprétée comme une dotation complémentaire en capital d’un montant équivalent à l’exonération partielle d’impôt. L’Etat français se défend alors d’avoir simplement procédé à une augmentation de capital.
Le 16 décembre 2003 [2], la Commission européenne décide que l’exonération d’impôt constituait une aide d’Etat incompatible avec le marché commun. Afin d’éviter de rembourser les 1,217 milliards d’euros réclamés, EDF exerce un recours auprès du Tribunal de première instance de l’Union européenne [3]. Cette juridiction a annulé la décision de la Commission. En effet, cette dernière n’aurait pas analysé si l’Etat français avait agi comme un investisseur privé, en tenant compte de l’intégralité de l’opération de restructuration et du fait que l’Etat français était propriétaire unique d’EDF à cette époque.
La Commission saisit la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). L’avocat général considère alors, dans ses conclusions, que la Cour doit déclarer le pourvoi recevable et renvoyer l’affaire devant le tribunal. Le communiqué de presse [4] de la CJUE sur cette affaire présente l’opinion de l’avocat général : « Selon l’avocat général, il y a lieu d’établir une distinction claire selon que l’État agit en tant que puissance publique ou en tant qu’investisseur privé. Il est évident que lorsqu’un État exerce son pouvoir d’imposition, il agit en tant que puissance publique. Cependant, une entreprise privée ne dispose pas de ce pouvoir d’imposition. Le principe de l’investisseur privé en économie de marché ne saurait donc s’appliquer en matière fiscale puisqu’il est impossible de comparer les actes de l’État à ceux d’un investisseur privé. L’avocat général ajoute que, si l’État souhaite agir en tant qu’investisseur privé, il en a toujours la possibilité : il lui suffit d’exercer tout d’abord ses pouvoirs fiscaux et de procéder ensuite à l’injection de capital. »
La CJUE ne suit cependant pas l’opinion de l’avocat général. En effet, elle rappelle dans un premier temps « que l’application du critère de l’investisseur privé vise à déterminer si l’avantage économique accordé, sous quelque forme que ce soit, au moyen de ressources de l’État à une entreprise publique est, en raison de ses effets, de nature à fausser ou à menacer de fausser la concurrence et à affecter les échanges entre États membres ». Dans un second temps, la Cour précise alors que « la situation financière de l’entreprise publique bénéficiaire dépend non pas de la forme de la mise à disposition de cet avantage, quelle qu’en soit la nature, mais du montant dont elle bénéficie en définitive. C’est donc sans erreur de droit que le Tribunal a concentré son analyse de l’applicabilité du critère de l’investisseur privé sur l’amélioration de la situation financière d’EDF en vue de l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence et sur les effets de la mesure en cause sur la concurrence et non sur la nature fiscale des moyens employés par l’État français ». Ainsi, la Commission européenne est sanctionnée en ce qu’elle a commis une erreur de droit et a violé les règles relatives aux aides d’Etat.
EDF n’est pas pour autant à l’abri d’une décision défavorable puisque la Commission a rouvert une enquête le 2 mai 2013. Elle considère en effet qu’« il appartient donc à la Commission de rouvrir et poursuivre son enquête dans cette affaire en vue d’une décision en accord avec les critères établis par les juridictions de l’UE [5]. »
Dans une lettre envoyée aux autorités françaises et reproduites dans le Journal Officiel de l’Union européenne du 28 juin 2013 [6], la Commission européenne considère qu’il s’agit bien d’une aide d’Etat et doute de sa compatibilité avec le marché intérieur. Elle souhaite ainsi récolter l’avis des intéressés avant de prononcer sa décision.
Cette décision pourrait, en l’absence de tout recours, clore cette affaire dont les faits datent d’un autre âge (1997) et qui ne correspondent aucunement au statut actuel d’EDF. Elle constitue cependant la première pierre lancée à l’encontre de cet EPIC pour lequel les liens étroits entre l’Etat et EDF, un des démembrements de l’Etat à cette époque, sont contestés.
De l’EPIC à la société anonyme : la remise en cause du statut juridique d’EDF
Le 19 novembre 2004, la transformation s’opère : EDF devient une société anonyme, abandonnant le statut de l’établissement public à caractère industriel et commercial que l’électricien conservait depuis 1946. Ce bouleversement juridique est le fruit d’un accord trouvé entre l’Etat et la Commission européenne le 16 décembre 2003 : au plus tard le 31 décembre 2004, la garantie illimitée de l’Etat dont bénéficie l’EPIC EDF doit être supprimée sans quoi l’Etat contreviendrait aux règles régissant les aides d’Etat.
Une garantie d’emprunt est un engagement par lequel l’Etat accorde sa caution à un organisme dont il veut faciliter les opérations d’emprunt, en garantissant au prêteur le remboursement en cas de défaillance du débiteur. La garantie de l’Etat dont il était question dans cette affaire n’était pourtant pas évidente.
A l’origine, une communication est élaborée le 11 mars 2000 par la Commission sur l’application des articles 87 et 88 du traité CE (aujourd’hui les articles 107 et 108 TFUE) aux aides d’Etat sous forme de garanties. Dans cette communication il est souligné que constituent une aide sous forme de garantie les conditions de crédit plus favorables obtenues par les entreprises dont le statut légal exclut la possibilité d’une procédure de faillite ou d’insolvabilité.
En droit interne, l’insaisissabilité des biens des personnes publiques a été consacrée. Un arrêt de la Cour de cassation [7] en date du 21 décembre 1987 évoquait déjà un « principe général du droit selon lequel les biens des personnes publiques sont insaisissables ». Dès lors, le recours aux voies d’exécution de droit privé ne peut être envisagé à l’égard des personnes publiques. L’article L2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques dispose également que « les biens des personnes publiques (…) sont insaisissables ».
Ce principe d’insaisissabilité des biens des personnes publiques conduit-il à ce que l’Etat accorde une garantie illimitée à l’établissement public ? Le Conseil d’Etat, dans une note de 1995 qui est demeurée confidentielle, répond par l’affirmative. La garantie de l’Etat est donc incluse dans le statut de l’établissement public. M. Delion liste dans un article [8] des arguments en ce sens. Ainsi, la garantie implicite de l’Etat peut être fondée, premièrement, sur le fait que l’établissement public est un démembrement d’une collectivité publique et il est, par conséquent, logique que l’Etat soit responsable de l’un de ses démembrements. Un deuxième argument consiste à signaler que lorsqu’un concessionnaire de service public est insolvable, le concédant est appelé pour payer l’activité de concession. Enfin, le troisième et dernier argument s’appuie sur les taux d’intérêts accordés aux établissements publics. En effet, les conditions de crédit de ces établissements s’apparentent à celles accordées pour l’Etat. Dès lors, les agents économiques considéraient qu’il y avait bien une garantie implicite de l’Etat en faveur des établissements publics.
Quelques années après, une procédure formelle d’examen a été entamée le 2 avril 2003 par la Commission européenne concernant la garantie illimitée de l’Etat dont bénéficie l’établissement public EDF.
La Commission européenne se fonde sur le comportement qu’aurait un créancier privé. La garantie illimitée et implicite de l’Etat dont bénéficie EDF sera retenue si ce créancier privé ne peut pas perdre sa créance du fait de l’incapacité de payer de la part du débiteur. L’établissement public étant un démembrement de l’Etat, le second viendra se substituer au premier dans l’hypothèse de sa défaillance. La question de la suppression d’un établissement public peut également être posée. La créance de l’investisseur privé va-t-elle disparaître du fait de la suppression d’un établissement public ? Là encore, l’histoire et le droit conduisent à répondre par la négative. En effet, si les cas de suppression d’établissements publics peuvent être recensés, une reprise de leurs droits et obligations a été systématiquement prévue par une autre structure créée pour prendre le relais de l’établissement supprimé. De plus, le principe de continuité du service public oblige à ce qu’il y ait une continuité entre les personnes morales. Dès lors, le créancier privé peut légitimement considérer qu’il ne peut pas perdre sa créance. Le statut juridique d’EDF, en tant qu’EPIC, instaure indirectement une garantie illimitée de l’Etat.
Un accord est donc conclu entre l’Etat français et la Commission européenne. Cependant, la seconde n’a pas obligé le premier à transformer l’EPIC EDF en société anonyme. En effet, en vertu des dispositions de l’article 345 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, « les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres. » Dès lors, la Commission européenne ne conteste pas le statut de l’établissement public dans son ensemble. Le caractère public du capital d’EDF n’est également pas visé. La Commission européenne reproche seulement au statut de l’établissement public la garantie implicite accordée par l’Etat. Une simple loi abrogeant cette garantie implicite et préservant le statut d’établissement public aurait suffi.
Cette voie n’a pourtant pas été retenue. L’article 24 de la loi du 9 août 2004, dans sa version initiale, dispose alors : « Electricité de France et Gaz de France sont transformés en sociétés dont l’Etat détient plus de 70 % du capital. Sauf dispositions législatives contraires, elles sont régies par les lois applicables aux sociétés anonymes. »
Le 19 novembre 2004 se concrétisent les conséquences de cette affaire : la société EDF SA est née.
La perte d’un monopole : La suppression des tarifs réglementés de vente aux entreprises
La Commission européenne a également eu l’occasion de contester les tarifs réglementés de vente aux moyennes et grandes entreprises en ce qu’ils seraient artificiellement bas et financés directement ou indirectement par l’Etat français.
L’ouverture progressive à la concurrence des marchés de l’électricité et du gaz naturel a commencé au début des années 2000 et s’est achevée en 2007. Depuis, la société EDF ne dispose plus d’un monopole dans la fourniture de cette énergie aux clients finals. Les clients, professionnels ou résidentiels, sont désormais libres de choisir leur fournisseur. Dès lors, plusieurs acteurs, étrangers ou nationaux, ont souhaité tenter leur chance dans ce secteur nouvellement libéralisé.
Le marché français de l’électricité est particulier en ce que les clients ont massivement choisi de souscrire encore des offres aux tarifs réglementés de vente (TRV). En effet, depuis la libéralisation de ce secteur, deux types d’offres coexistent :
– l’une dite « offre de marché » ou encore « offre libre » est proposée par l’ensemble des fournisseurs (fournisseurs historiques et alternatifs) et les prix sont fixés librement par ceux-ci ;
– l’autre dite « offre aux tarifs réglementés de vente » est proposée seulement par les fournisseurs historiques (EDF essentiellement) et ces tarifs sont fixés par le Gouvernement après avis du régulateur, la Commission de régulation de l’énergie (CRE).
Ces deux types d’offres sont cependant très proches. Il s’agit du même produit (électricité), commercialisé auprès des mêmes clients ; seul le dispositif réglementaire applicable en matière de tarifs réglementés de vente diffère.
Le 13 juin 2007 [9], la Commission européenne annonce ouvrir une enquête sur les tarifs réglementés de vente en France. Sont précisément visés les tarifs dits « vert » et « jaune », destinés aux grandes et moyennes entreprises.
Il est important de rappeler qu’il y a avantage au regard de l’article 107 paragraphe 1 du TFUE si une mesure étatique permet à une entreprise de ne pas supporter des charges auxquelles elle devrait normalement faire face en l’absence de la mesure. Or, c’est bien ce que retient la Commission européenne dans sa décision [10] en date du 12 juin 2012 considérant que les tarifs vert et jaune sont inférieurs au prix du marché.
De plus, elle indique que seules les entreprises consommant de l’électricité (et non celles consommant une autre énergie) profitent de cet avantage. Le critère de sélectivité est donc rempli.
Par ailleurs, l’Etat est largement majoritaire au capital d’EDF. Au 31 décembre 2010, il en possédait 84,48%. EDF est donc sous le contrôle de l’Etat. Il s’agit d’une entreprise publique, et ses ressources sont donc des ressources d’Etat. Lorsqu’un consommateur bénéficiant du tarif est fourni par EDF, les décisions légales et règlementaires de l’Etat imposent à EDF de fournir l’électricité à un prix qui est inferieur à celui qui s’appliquerait sur le marché, mettant en jeu par-là les ressources sous contrôle public d’EDF. Dès lors, la Commission européenne considère que ces tarifs réglementés sont financés par des ressources d’Etat et sont imputables à l’Etat.
N’ayant pas été notifiée, l’aide d’Etat constituée est illégale. Cependant, la Commission tempère les conséquences de cette décision. Elle considère alors que cette aide sera jugée compatible si la France se conforme à plusieurs conditions. La France y a répondu par l’affirmative.
Premièrement, l’Etat français doit mettre en place un accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Le parc de production nucléaire est détenu entièrement par EDF. Ce moyen de production de l’électricité est parmi les plus compétitifs. Afin de permettre à la concurrence de rivaliser avec les tarifs et les prix pratiqués par EDF, la Commission européenne souhaite que la France mette en place ce système permettant aux concurrents de bénéficier de cet avantage en leur accordant une part de l’électricité produite d’origine nucléaire [11].
Deuxièmement, l’Etat français doit, à partir de 2012 et chaque année jusqu’en 2015, faire en sorte que, progressivement, les tarifs réglementés de vente reflètent l’addition des coûts (tarif de l’ARENH [12], coût de fourniture, coût d’acheminement, coût de commercialisation et rémunération normale)[13].
Troisièmement, la France doit s’engager à faire disparaître les tarifs dit « vert » et « jaune » au plus tard le 31 décembre 2015 [14].
Les tarifs réglementés de vente ont cependant un avantage économique. Cet atout légitime d’ailleurs la clémence dont a fait preuve la Commission européenne. En effet, dans une période transitoire d’ouverture à la concurrence de ce marché, les tarifs réglementés permettent de prévenir le pouvoir de marché de l’opérateur historique. En effet, ce tarif est imposé ex cathedra à EDF qui dispose d’une position dominante. Sans cette mesure réglementaire, la théorie économique enseigne que la société EDF, en quasi-monopole, serait tentée de se comporter de telle sorte qu’elle maximiserait son profit. Le jeu de la concurrence doit ensuite, au terme de cette période transitoire, prendre le relais pour limiter le pouvoir de marché d’EDF.
S’il a perdu le monopole général de la fourniture d’électricité à partir de l’an 2000, EDF conservait encore le monopole de la fourniture aux tarifs réglementés de vente. Suite à cette décision, les entreprises de moyenne et grande tailles ne pourront plus bénéficier d’une telle offre. Seuls les petits clients, les consommateurs, peuvent encore disposer d’une offre aux tarifs réglementés de vente pour lesquels EDF bénéfice toujours d’un monopole.
La multinationale EDF : Le contrôle des accords conclus avec des Etats étrangers
L’époque où EDF était considérée comme une entreprise franco-française est révolue. Le Groupe EDF, acteur mondial, est dorénavant présent dans de nombreux pays. L’Etat français n’est finalement pas le seul à être suspecté d’aider EDF. En effet, le Gouvernement britannique souhaite faire construire deux réacteurs nucléaires de nouvelle génération (EPR) à Hinkley Point, dans le Somerset. La société EDF a été retenue pour ce projet titanesque.
Le coût d’une telle construction est estimé à plus de 30 milliards d’euros. Afin de sécuriser l’investissement et de minimiser les risques financiers pour la société EDF, le Gouvernement britannique a prévu deux mécanismes spécifiques. Premièrement, un contrat d’écart compensatoire est conclu afin d’instaurer un mécanisme de soutien des prix. Sur une période de 35 ans, ce contrat permettra de garantir à l’exploitant une stabilité des prix de vente de l’électricité produite. Secondement, les dettes contractées afin de financer la construction de la centrale seront garanties par l’Etat britannique, ce qui est un aspect sécuritaire important pour les créanciers. Ces deux mécanismes ont alerté la Commission européenne qui a souhaité ouvrir une enquête le 18 décembre 2013 [15].
La Commission met en garde :« les interventions des pouvoirs publics en faveur d’entreprises peuvent être considérées comme ne constituant pas des aides d’État au sens des règles de l’UE dès lors qu’elles sont effectuées à des conditions qu’un opérateur privé guidé par les critères du marché aurait acceptées (principe dit de l’investisseur en économie de marché). Si ce principe n’est pas respecté, elles contiennent des éléments d’aide d’État au sens des règles de l’UE (article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – TFUE), car elles procurent à leur bénéficiaire un avantage économique dont ne bénéficient pas ses concurrents. »
Dans sa décision finale du 8 octobre 2014 [16], la Commission européenne valide le principe d’une aide apportée par l’Etat. En effet, face à un projet de si grande ampleur, aucun investisseur privé ne pourrait, de par sa seule initiative, répondre à cette demande. Il y a donc bien une carence de l’initiative privée.
L’accord conclu entre le Gouvernement britannique et la société EDF est cependant revu en la défaveur de cette dernière par la Commission européenne. En effet, en contrepartie de la garantie qu’apporte l’Etat britannique aux dettes contractées pour le financement de la construction de la centrale, la société EDF devra verser au trésor britannique une prime de garantie majorée. De plus, une fois que l’exploitation aura atteint un rendement sur fonds propres suffisant, une part des bénéfices de l’exploitant devra être reversée à l’Etat britannique. La Commission européenne considère alors que ce projet est conforme aux règles de l’Union européenne en matière d’aides d’Etat.
Malgré ces modifications, la société EDF obtient néanmoins l’accord de la Commission européenne pour construire un projet pharaonique représentant, à terme, 7% de la production d’électricité totale du Royaume-Uni.
Comme tous les leaders de chaque secteur de l’économie, la Commission européenne veille avec attention à ce qu’EDF ne fausse pas le libre jeu de la concurrence. D’un établissement public à caractère industriel et commercial gouverné par le principe de spécialité, EDF s’est transformée en un géant mondial de l’énergie. Bénéficiant d’une position dominante sur le marché français de l’électricité dorénavant ouvert à la concurrence, il est parti à l’assaut des autres marchés européens. Si cette étroite surveillance par les instances garantes d’une libre concurrence s’est parfois avérée handicapante, il n’en demeure pas moins que le fruit de ces multiples contentieux ont permis à la société EDF d’offrir un nouveau visage, modernisé et plus à même d’évoluer sereinement au sein du marché européen unifié et libéralisé de l’électricité.
Stéphane ANDRIEU
Magistère de Droit des Activités Economiques (Sorbonne)
M2 Energie (Sciences Po Paris)
[2] Décision C (2003) 4637 final de la Commission.
[3] Arrêt du 15 décembre 2009, EDF/Commission (T-156/04).
[4] Communiqué de presse n° 114/11, Cour de justice de l’Union européenne.
[5] Communiqué de presse – Commission Européenne – IP/13/391 02/05/2013.
[6] Journal Officiel de l’Union européenne, 28 juin 2013, C-186, 2013/C 186/05.
[7] Civ.1 ère. , 21 décembre 1987, Bureau de recherches géologiques et minières, n°86-14167.
[8] Delion (André), « Les garanties d’État et leur évolution », Revue juridique de l’entreprise publique, n° 613, 2004.
[9] Journal officiel de l’Union européenne C 164 du 18 juillet 2007, p. 9.
[10] Décision de la Commission européenne du 12 juin 2012, C(2012) 2559 final.
[11] Articles L336-1 et suivants du code de l’énergie.
[12] Accès régulé à l’électricité nucléaire historique.
[13] Article L337-6 du code de l’énergie.
[14] Article L337-9 du code de l’énergie.
[15] Commission Européenne – IP/13/1277 18 décembre 2013.
[16] Commission Européenne – IP/14/1093 08 octobre 2014.