« La filiation n’est pas un fait biologique que le droit enregistre, c’est une institution que le droit construit (…). Elle est l’un de ces concepts dont l’ordre et l’essence sont proprement politiques » [1]. En effet, le droit réagit fermement aux aspirations individualistes de la filiation, il ne peut accepter de reconnaître un lien juridique que sous certaines conditions.
La société exprime sa préférence pour un paradigme de la filiation dans une double orientation, par des limitations d’ordre processuel car la recevabilité de la vérité est canalisée dans l’instance et d’ordre conceptuel car certaines vérités sont rejetées par les principes essentiels du for.
I – Les limitations processuelles : la sécurité du droit
« Par son rôle dans la détermination de l’état de la personne, la filiation (…) doit être d’autant plus stable qu’elle paraît socialement et sérieusement fixée » [2] .
A – L’encadrement temporel
La vérité est limitée par le temps car une vérité tardive est à la fois pernicieuse et suspicieuse ; le droit restreint alors la recevabilité de l’action en contestation de la filiation à travers la possession d’état et l’écoulement du temps.
L’équilibre entre vérité et sécurité de la filiation est difficile à réaliser car souvent c’est au nom de la vérité que la sécurité sera remise en cause ; il convient alors de mettre en place un système sécuritaire qui borne dans le temps la contestation de la filiation. La loi interdit toute remise en cause en cas de concordance quinquennale, le législateur serait guidé par le souci de préservation de l’ordre public.
Le choix pour la stabilité est alors radical, l’intérêt de l’enfant qui est le dogme du droit contemporain de la famille est alors sacrifié au nom de l’intérêt général et cela se prolonge sur le terrain probatoire.
B – L’encadrement probatoire
La filiation est un fait juridique, il serait donc logique d’appliquer le principe de la liberté de la preuve. Ce système est écarté par le droit positif au profit du système légal. Cela signifie que la loi énumère limitativement et hiérarchiquement les modes de preuve qu’elle reçoit, elle en fixe l’objet et la force probante. Cela répond à des motifs d’intérêt général de sécurité juridique car la filiation est le lien de famille élémentaire.
La filiation est légalement établie par l’acte de naissance, par la reconnaissance volontaire ou par la possession d’état constaté par un acte de notoriété. Ce sont des actes établis par des autorités en qui l’Etat a confiance, le notaire, l’officier d’état civil, le juge et dans des conditions telles qu’ils présentent des garanties de fiabilité.
La filiation établie par possession d’état doit être constatée par acte de notoriété. Cette solution est contestable au pan notionnel mais elle répond à un impératif de sécurité du lien de filiation.
Enfin, l’article 320 c. civ. pose un principe de priorité chronologique qui permet d’éviter les conflits de filiation en instaurant une sécurité dans la pérennité du lien de filiation.
La sécurité du droit de la filiation est d’abord assurée en droit procédural, mais l’identité culturelle du for s’exprime également dans le rejet de certaines conceptions filiales.
II – Les limitations conceptuelles : l’identité du for
A – La filiation naturelle
En 1804, il y a une inégalité absolue entres les différents types de filiation qui tend à préserver le modèle de la famille légitime. Le législateur, en uniformisant les effets de la filiation, a réduit l’imprégnation sociale en la matière, mais le droit de la filiation continue de relever d’un ordre institutionnel de base.
L’entière égalité de droits qui est proclamée suppose que la filiation soit légalement établie. Ainsi, l’abandon de la distinction entre filiation légitime et naturelle n’implique pas de façon générale l’unification des modes d’établissement de la filiation.
Une véritable uniformisation a été réalisée pour la filiation maternelle puisque la mention du nom de la mère sur l’acte de naissance emporte établissement de la filiation qu’elle soit ou non mariée (art. 311-25 c. civ.). Mais cela n’était guère possible pour la filiation paternelle en raison de la présomption de paternité (art. 312 c. civ.).
La filiation en mariage conserve la particularité d’unir indivisiblement un enfant à ses père et mère car c’est la vocation procréatrice du mariage qui le commande. La présomption est fondée d’une part sur l’engagement anticipé des enfants à naître et d’autre part, sur les devoirs de mariage.
B – La filiation incestueuse
S’agissant d’un inceste relatif, l’établissement de la filiation est permis dans les conditions du droit commun.
Pour des raisons d’ordre moral et social et dans le souci de préserver l’intérêt de l’enfant autant que l’ordre social, la filiation d’un enfant issu d’un inceste absolu ne peut être légalement établie qu’à l’égard de son père ou de sa mère, afin de ne pas révéler les circonstances de sa naissance (art. 310-2 c. civ.).
C – La filiation médicale
La loi détermine strictement les conditions et les effets de l’AMP et ce conditionnement procède de considérations institutionnelles car la société ne veut pas ouvrir trop largement les voies de l’assistance médicale afin de ne pas consacrer un droit à l’enfant.
L’article L 2141-1 du CSP autorise l’AMP ainsi que toute technique d’effet équivalent fixée par un arrêté du ministre de la santé. Il s’agit d’une exigence de sécurité sanitaire par laquelle la société manifeste une emprise éthique.
Ces techniques ne peuvent être utilisées que pour certaines finalités ; l’article L 2141-2 du CSP énumère limitativement ces possibilités : remédier à une infertilité et éviter la transmission d’une maladie.
L’AMP n’a qu’un caractère subsidiaire, on ne peut y recourir si on peut avoir un enfant par les voies naturelles car il n’y a pas d’assistance de complaisance. Le couple doit être vivant et en âge de procréer, cela permet d’éviter des grossesses tardives et d’interdire les inséminations post-mortem car l’enfant n’est pas un droit.
D – La filiation conventionnelle
Le droit à la procréation est un droit strictement personnel, cela revient à prohiber les conventions de gestation et de procréation pour le compte d’autrui. Cette prohibition a été posée par la jurisprudence [3] et sanctionnée par la nullité absolue de la convention sur le fondement du principe d’indisponibilité de l’état des personnes et du corps humain.
Cette règle qui est d’ordre public a été consacrée à l’article 16-7, cela manifeste l’imprégnation sociale du droit de la filiation car certaines pratiques apparaissent pour trop subversives. Cette influence se prolonge avec l’article 227-12 c. pénal qui incrimine parallèlement ces pratiques.
La Cour de cassation, dans trois arrêts récents [4] a opposé l’exception d’ordre public international français à des conventions homologuées à l’étranger. En considérant que cette pratique heurte le principe d’indisponibilité de l’état des personnes, la Cour exprime le paradigme culturel de la filiation et ses limites.
E – La filiation homosexuelle
L’adoption plénière est ouverte à une personne seule à condition qu’elle soit âgée de plus de 28 ans (art. 343-1 c. civ.). Alors que la Cour européenne avait jugé conventionnelle la position du Conseil d’Etat [5] lorsqu’il prenait en considération l’homosexualité du requérant pour refuser l’agrément administratif [6], elle a récemment opéré un revirement en constatant une violation des articles 8 et 14 de la Conv. EDH [7].
L’adoption plénière conjointe est possible à condition d’être marié (art. 346 c. civ.), en l’état actuel du droit positif, cette solution est jugée conventionnelle, bien que des évolutions se fassent ressentir.
L’adoption simple n’opère pas une destruction, mais une superposition du lien de filiation.
La Cour de cassation a rappelé que la demande d’adoption formée par le concubin homosexuel n’était toujours pas possible [8]. Le Conseil constitutionnel a jugé cette position constitutionnelle [9].
Cette prohibition de principe de l’adoption de l’enfant de son partenaire ou de son concubin subit deux formes de tempérament, la délégation de l’autorité parentale de l’art 377 c. civ. [10] et l’exequatur du jugement d’adoption étranger [11].
Antoine Guillemot
Master 2 droit privé général
Université Paris II Panthéon Assas
Notes [1] A. Lefebvre-Teillard, Introduction au droit des personnes et de la famille, 1re éd., PUF, Coll. dr. fond., 1996, nos 166 et s., p. 231 et s. [2] Jean-Pierre Gridel, Vérité biologique et droit positif de la filiation (1972-1993), Recueil Dalloz 1993 p. 191 [3] Arrêt de l’assemblée plénière du 31 mai 1991 [4] Arrêt de la 1ère chambre civile du 6 avril 2011 [5] Arrêt Fretté du CE du 9 octobre 1996 [6] Arrêt fretté c. France de la Cour EDH du 26 juillet 2002 [7] Arrêt EB c/ France de la Cour EDH du 22 janvier 2009 [8] Arrêt de la 1ère chambre civile du 9 mars 2011 [9] Décision QPC du 6 octobre 2010 [10] Arrêt de la 1ère chambre civile du 24 février 2006 [11] Arrêt de la 1ère chambre civile du 8 juillet 2010 |