Les ententes sont des actions concertées entre plusieurs entreprises. Ce type de convention est prohibé par le droit communautaire et national lorsqu’il a pour finalité de fausser le jeu de la concurrence et de faire obstacle à la fixation du prix qui doit s’établir par le seul jeu de l’offre et de la demande.
Les ententes sont en effet considérées comme des pratiques particulièrement nuisibles à l’intérêt général en ayant un impact direct sur les prix. Une enquête de l’OCDE publiée en 2005 indique qu’il a été constaté que les prix ont été dans certains secteurs majorés de 16,5% au Royaume-Uni suite à la constitution d’ententes.
Les enjeux sont tels en ce domaine que les sanctions encourues par les participants à une entente sont désormais élevées et a priori dissuasives, les législations communautaires et françaises ayant évolué vers une plus grande sévérité. Le règlement n°1/2003 prévoit que les sanctions pécuniaires peuvent atteindre pour les entreprises jusqu’à 10% du montant du chiffre d’affaires mondial consolidé. Pour déterminer le montant de l’amende, la Commission (au niveau communautaire) ou l’autorité de la concurrence (au niveau national) prend en considération la gravité de l’infraction ainsi que sa durée.
Les autorités chargées de l’application du droit de la concurrence n’hésitent plus à donner un plein effet à ces dispositions et à prononcer des sanctions d’un montant conséquent. À titre d’exemple, en 2008, Saint-Gobain a été condamné par la Commission a verser 896 millions d’euros pour entente illégale.
Une preuve difficile à fournir
Le premier obstacle à la preuve de l’existence des ententes tient à la relative étendue des pouvoirs d’enquête des institutions chargées de la concurrence. Le deuxième obstacle à la détection des ententes, intimement lié au premier, tient au secret dont les participants à une entente s’entourent. Dans sa décision du 21 février 2007 dans l’affaire des ententes sur les ascenseurs et les escaliers mécaniques, la Commission a relevé qu’il était manifeste que les sociétés savaient que leur comportement était illicite et qu’elles prenaient soin d’éviter d’être découvertes. Leurs représentants se rencontraient habituellement dans des bars et des restaurants, se rendaient à la campagne ou même à l’étranger et utilisaient des cartes de téléphone prépayés afin d’éviter une identification des appels.
Les difficultés liées à l’identification des ententes ont poussé les institutions européennes à réfléchir à l’élaboration de nouveaux moyens d’actions plus efficace pour les détecter. Inspirées par la réglementation américaine, les autorités communautaires puis françaises se sont dotées de programmes de clémence. Ces programmes permettent d’offrir à un participant à une entente une immunité totale ou une réduction des sanctions encourues en échange d’éléments de preuve relatifs à l’existence d’une entente. Aussi la Commission considère-t-elle qu’il est de l’intérêt de la Communauté de récompenser les entreprises participant à ce type d’ententes illégales qui souhaitent mettre fin à leur participation et coopérer à l’enquête de la Commission.
Le renouvellement des méthodes d’investigation par les programmes de clémence
Le professeur de mathématiques F.Ghezzi estime que la probabilité pour que l’existence d’une entente soit prouvée est de 14%.
Fondées sur des outils intrusifs, les méthodes classiques d’investigation sont à la fois essentielles et inefficaces dans la lutte contre les cartels. Il est donc apparu nécessaire d’obtenir la collaboration des participants afin de répondre à l’asymétrie des informations. Dans cette perspective, les programmes de clémence tendent à déjouer les stratégies de dissimulation et à obtenir une bonne qualité de preuve sans heurter frontalement les droits de l’entreprise. De telles politiques permettant de percer la confidentialité des ententes et surtout d’obtenir des informations et des preuves de l’infraction de l’intérieur du cartel. La clémence apparaît ainsi comme un moyen de mettre en œuvre la répression de manière efficace : la collaboration d’entreprises repentantes offre en effet la possibilité aux autorités d’obtenir des éléments pertinents qui concernent la durée et la gravité de l’infraction et qui permettent de fixer des sanctions élevées. En outre, ces programmes de clémence exercent d’une part des effets très dissuasifs sur la formation des ententes existantes en introduisant méfiance et suspicion parmi les membres du cartel (Dissuasion ex-ante), et permettent d’autre part de réduire les coûts d’investigations des autorités de concurrence.
Une distinction en fonction de l’étendue de la clémence sollicitée
La clémence peut conduire à une « immunité d’amende » ou à une « réduction de l’amende », selon l’importance de la contribution apportée par l’entreprise concernée à la détection de l’existence de l’entente. Afin d’obtenir une immunité d’amende l’entreprise doit remplir trois conditions : elle doit tout d’abord apporter une coopération totale et permanente à la Commission ; fournir toutes les preuves en sa possession ; et mettre fin immédiatement à la violation.
L’hypothèse d’une réduction du montant de l’amende concerne les entreprises qui, sans remplir les conditions de l’immunité, fournissent des preuves ayant « une valeur ajoutée importante » par rapport à celles déjà en possession de la Commission : la première entreprise remplissant ces conditions obtiendra une réduction de 30 à 50% de l’amende qui lui aurait été sinon infligée ; la deuxième une réduction de 20 à 30% et les suivantes une réduction allant jusqu’à 20%. Depuis 2002, on estime que deux tiers des cartels punis par la Commission Européenne ont été détectés grâce au programme de clémence.
Un programme efficace et rentable
Grâce au programme de clémence introduit dès 1996 dans l’Union, le montant des amendes à considérablement augmenté en une vingtaine d’années. Ainsi, le montant cumulé des amendes fondées sur l’article 101 du Traité est passé de 344 millions d’euros au cours de la période 1990-1994 , puis de 3 milliards euros pour la période 2002-2004 pour atteindre 9 milliards euros , pour la période allant de l’année 2005 au 22 juillet 2009.
Ces dernières semaines, la clémence a occupé plus que jamais la scène médiatique. Deux condamnations ont été prononcées par la Commission grâce au recours à des programmes de clémence.
Dans la première affaire, en date du 9 novembre 2010 la commission a infligé à onze transporteurs de fret aérien des amendes d’un montant total de plus de 799 millions d’euros pour avoir mis en œuvre, à l’échelle mondiale, une entente sur les services de fret au sein de l’Espace économique européen. Les onze transporteurs ont coordonné leur action concernant les surtaxes carburants et sécurité. Parmi les onze entreprises sanctionnées figurait notamment le groupe Air-France/KLM condamné à 340 millions d’euros. Lufthansa a bénéficié d’une immunité totale de l’amende au titre du programme de clémence de la commission, car elle a été la première entreprise à fournir des informations concernant l’entente.
Plus récemment, dans une deuxième affaire dite du cartel des écrans LCD, le fabriquant LG et le taïwanais InnoLux ont été condamnés à une amende de 649 millions d’euros révélée par le fabriquant coréen selon la procédure de clémence.
Si l’efficacité de la clémence dans le démantèlement des ententes est incontestable, de nombreux auteurs mettent en doute le caractère vertueux d’un tel programme. Dans la pratique, force est d’admettre que sa mise en place pose un certain nombre de problèmes. Premièrement bien qu’étant auto financé, l’idée même de récompenser un ancien criminel donne lieu à des interrogations d’ordre moral. En second lieu, la clémence peut être instrumentalisée par le dénonciateur afin de conforter sa position sur un marché et déstabiliser voir éliminer les entreprises concurrentes. Enfin, pour certains auteurs, derrière l’expression de programme de clémence se cache en fait une dénonciation secrète voire une délation. Ce type de programme soulève un débat éthique d’une importance considérable au regard de l’évolution des pratiques acceptables dans une société civilisée puisqu’il s’agit d’obtenir la rédemption par la délation.
Benjamin DARGNIES
Master 2 Droit Européen Des Affaires (Université Panthéon-Assas)
Pour en savoir plus
La clémence en droit de la concurrence : Études comparative des droits droits américains et européen; J-C Roda
Les programmes de clémence en droit de la concurrence; F. Mélin |