Le rapport sur la lutte contre l’évasion fiscale et le transfert de bénéfices[1] (rapport BEPS : Base Erosion and Profits Shifting), publié par l’OCDE le 12 février 2013, vient de recevoir sa première concrétisation : après que le Conseil des ministres de l’OCDE ait déclaré le 29 mai 2013 le problème urgent et ait demandé « l’élaboration d’un Plan d’action global qui prenne en compte la nécessité de traiter tous les aspects du problème (…) », puis que ce Plan d’action[2] fut dévoilé lors du G20 à Moscou les 18-20 juillet 2013, ce sont les sept premières recommandations qui viennent d’être publiées par l’OCDE le 16 septembre 2014.
Outre la célérité avec laquelle ce dossier avance, il faut noter également le caractère très ambitieux du Plan d’action BEPS. Tout en réaffirmant la nécessité des conventions fiscales internationales (CFI) dont le but est d’éliminer les doubles impositions, il constate que des failles ont été mises à jour et utilisées par certains contribuables afin de réduire leur base imposable ou de dissocier leurs bénéfices du territoire sur lequel ils ont été réalisés. Les causes de ces failles sont bien connues : numérisation de l’économie et augmentation de la part des transactions intra-groupes, des services et de la propriété intellectuelle dans l’économie mondiale, associées à un défaut de cohérence entre les différents systèmes fiscaux étatiques et à une pratique fiscale de plus en plus agressive de la part des entreprises ayant des activités transfrontalières. Insistant sur les effets néfastes d’une telle situation tant pour les États qui constatent une diminution des recettes fiscales que pour les autres contribuables sur lesquels pèse une partie de ce manque à gagner, le Plan d’action BEPS avait avancé 15 pistes devant aboutir, avant la fin de l’année 2015, sur autant de recommandations précises dont l’objectif est de rétablir une cohérence dans le système d’imposition des bénéfices au niveau international et, plus précisément, de « donner aux États les instruments nationaux et internationaux permettant de mieux aligner les droits d’imposition sur l’activité économique et sur la création de valeur »[3].
Il faut noter que le contenu précis de ces sept premières actions est susceptible d’évoluer car, toutes les mesures devant être coordonnées entre elles, l’élaboration en cours des actions prévues pour 2015 est susceptible d’avoir une influence sur celles de 2014. Selon le communiqué de la Réunion des Ministres des Finances et Gouverneurs du G20 qui s’est tenue à Cairns les 20 et 21 septembre 2014, les États se sont engagés à ce que ces sept premières recommandations soient mises en œuvre durant l’année 2015.
- L’adaptation des normes fiscales à la numérisation de l’économie[4] (action 1)
Le groupe de réflexion sur l’économie numérique (Task Force on the Digital Economy, TFDE) ne considère pas l’économie numérique comme un secteur de l’économie mais comme l’économie contemporaine elle-même, c’est-à-dire que les modèles économiques de tous les secteurs traditionnels de l’économie se sont transformés et vont continuer de se transformer sous l’influence des technologies de l’information et de la communication (TIC). Par conséquent, le TFDE estime inefficace l’adoption de règles spéciales destinées exclusivement à régir les activités numériques. Toutes les actions du Plan d’action BEPS vont ainsi permettre de lutter contre les risques de BEPS liés à certains aspects de la numérisation de l’économie.
Cette première action vient donc formuler des recommandations afin que les mesures préconisées par les autres actions BEPS puissent être efficaces lorsqu’une ou plusieurs des caractéristiques fondamentales de l’économie numérique exacerbant les risques de BEPS sont en jeu. Ces caractéristiques fondamentales sont notamment le recours grandissant aux actifs incorporels, leur mobilité, également la mobilité des utilisateurs de TIC et des fonctions de l’entreprise, et le recours massif à des données.
Dans ce cadre, Le TFDE pointe trois risques principaux de BEPS que les autres actions devront prendre en compte:
- Les mesures de l’action 7, dont l’objectif est de lutter contre les évitements artificiels du statut d’établissement stable, devront permettre d’éviter que certaines activités ne puissent pas être constitutives d’un établissement stable car elles relèvent actuellement des exceptions de l’article 5.4 des CFI modèle OCDE. En effet, ces activités, considérées traditionnellement comme auxiliaires ou préparatoires (comme par exemple la prospection commerciale, le stockage ou la livraison de marchandises), peuvent désormais constituer le cœur de certaines activités économiques. La définition de l’établissement stable devra également être modifiée afin d’éviter que des arrangements artificiels entre sociétés liées entrainent une fragmentation des fonctions permettant d’éviter le statut d’établissement stable (par exemple, l’une des société va négocier localement des contrats de vente ou de prestations de service qui seront ensuite conclus avec une autre société établie dans un autre État).
- Les actions 8 à 10 sur les prix de transfert devront tenir compte de l’importance croissante des actifs incorporels et de leur mobilité, de l’utilisation massive des données et de la généralisation des chaines de valeurs mondiales.
- L’action 3 relative au sociétés étrangères contrôlées (SEC) devra prendre en compte les rémunérations typiquement perçues à l’occasion d’activités numériques telles que les ventes à distance de biens ou de services ou les activités permises par des actifs incorporels localisés dans un autre État que celui dans lequel ils vont servir à fournir des biens ou des services numériques.
Au-delà de ces risques de BEPS, Le TFDE va plus loin et identifie des problématiques systémiques engendrées spécifiquement par la numérisation de l’économie et propose différentes options afin d’y remédier :
- L’augmentation des transactions sur internet et la possibilité de ne plus avoir de présence physique dans un État afin d’y mener une activité ont rendu obsolète l’exigence d’une présence physique sur un territoire afin que soit caractérisée l’existence d’un établissement stable. Le TFDE propose donc un critère alternatif : un État aurait également le pouvoir d’imposer une entreprise dès lors qu’elle a une « présence numérique significative » sur son territoire. Celle-ci se déduirait de la présence d’indices tels qu’une activité principalement numérique, l’absence de présence physique sur le territoire, la conclusion de contrats à distance, des paiements réalisés par cartes bancaires ou par des moyens électroniques, le site internet comme seul moyen de communication avec l’entreprise, l’indifférence du consommateur pour l’État dans lequel l’entreprise a son siège social, ou le fait que l’utilisation du bien ou du service numérique ne nécessite aucune présence physique. De plus, une présence numérique significative serait présumée si un nombre significatif de contrats est conclu à distance, si les biens ou services numériques fournis par l’entreprise sont largement utilisés dans le pays, si les clients font un nombre important de paiements dans l’État de siège de l’entreprise, et si une succursale de l’entreprise propose des fonctions secondaires (par exemple une fonction marketing) ciblant les consommateurs locaux.
- Le TFDE propose également qu’il soit possible de caractériser une présence numérique significative en présence d’activités économiques réalisées grâce à l’utilisation des données numériques des usagers locaux obtenues par une surveillance régulière et systématique d’internet.
- Une autre proposition du TFDE pour répondre à cette problématique serait d’instaurer une retenue à la source (qui pourrait être collectée par les intermédiaires financiers) sur certains paiements effectués par des consommateurs locaux à des entreprises étrangères.
- La modification de la définition actuelle d’un établissement stable est également envisagée. Il serait caractérisé dès lors que l’entreprise a une « présence significative» dans un pays. Le but serait de permettre de prendre en compte les relations entre l’entreprise et les consommateurs locaux tout en maintenant l’exigence d’une présence physique même réduite.
- La révision des principes relatifs à la documentation sur les prix de transfert et la transmission de données pays par pays[5] (action 13)
La manipulation des prix de transfert étant l’une des technique majeure de délocalisation de bénéfices qui a, de surcroit, des conséquences potentiellement massives sur la consistance des bases imposables, il n’est pas étonnant que le Plan d’action BEPS consacre quatre actions à ce sujet, dont deux sont présentées dès septembre 2014.
Ce rapport, qui va remplacer le chapitre 5 du guide de l’OCDE relatif au prix de transfert[6], vise à ce que les contribuables fournissent aux administrations fiscales, dans le cadre de leurs obligations documentaires, des informations pertinentes permettant à la fois la prise de décision de déclencher un contrôle fiscal et le contrôle fiscal portant sur les prix de transfert lui-même. L’OCDE propose ainsi que les droits internes adoptent des normes documentaires standardisées qui devront prévoir trois types de documentation :
- Une transmission de données pays par pays (« country-by-country reporting ») qui devrait permettre aux administrations fiscales d’évaluer le risque de manipulation des prix de transfert et donc de déclencher à bon escient des contrôles approfondis. Cette documentation devra lister, pour chaque État ou territoire dans lequel le groupe est implanté, le chiffre d’affaire, le bénéfice avant impôt, le montant du capital social, le montant d’impôt sur les bénéfices payés, le montant d’impôt bénéficiant d’un report d’imposition, le montant des bénéfices non distribués, le montant des bénéfices mis en réserve, la valeur des actifs corporels autres que les liquidités et le nombre d’employés. De plus, une liste de toutes les entités du groupe (établissements stables inclus, en précisant la société dont ils émanent) devra être établie, en indiquant pour chacune d’elle son État ou territoire d’implantation ainsi que sa ou ses principales activités économiques.
- Une documentation mondiale (« master file »), mise à la disposition de toutes les administrations fiscales des États dans lesquels le groupe est implanté, présentant de manière générale les opérations transfrontalières réalisées et la politique de formation des prix de transfert. Cette documentation devra donc décrire la structure du groupe, ses activités commerciales, les flux financiers intra-groupes, sa situation financière et fiscale, sa chaine d’approvisionnement concernant les principaux biens et/ou services commercialisés, les opérations importantes portant sur des actifs financiers et incorporels, les opérations de restructuration, les rulings unilatéraux en matière de prix de transfert et les rulings bilatéraux relatifs à un partage du pouvoir d’imposer les bénéfices réalisés par des entités du groupe.
- Une documentation locale (« local file »), spécifique à chaque État d’implantation, permettant aux administrations fiscales d’évaluer si les entités du groupe ont respecté le principe de pleine concurrence dans les opérations impactant localement le bénéfice imposable. Elle devra lister toutes les transactions (entrantes et sortantes) avec des entités liées et présenter une analyse justifiant qu’elles ont été réalisées au prix de pleine concurrence. Cette documentation devra également contenir une copie des conventions conclues avec d’autres entités du groupe et l’ensemble des rulings en matière de prix de transfert auxquels l’administration fiscale en question n’est pas partie.
- La révision des normes relatives aux prix de transfert des actifs incorporels (action 8)
Le contenu de cette action, qui modifie également les Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert, a pour objectif d’éviter les délocalisations de bénéfices pouvant être générées par la circulation d’actifs incorporels au sein des groupes de sociétés.
Pour cela, une définition large et autonome des actifs incorporels est fournie : « quelque chose qui n’est pas un actif corporel ou financier, qui peut être détenu ou contrôlé pour être utilisé pour les besoins d’activités commerciales, et dont l’usage ou le transfert serait rémunéré s’il avait lieu entre des parties indépendantes dans des circonstances comparables ». L’existence d’une protection, la transférabilité et l’inscription au bilan sont donc des critères indifférents à la qualification d’actif incorporel. Le rapport précise également que dès lors qu’une entreprise du groupe peut demander une rémunération supérieure du fait de l’une de ses caractéristiques, par exemple son goodwill, sa valeur d’exploitation (« ongoing concern value »), son savoir-faire ou sa réputation, alors cette caractéristique devra être prise en compte dans la détermination du prix de pleine concurrence.
Des principes nouveaux sont également posés concernant la détermination des prix de pleine concurrence des transferts intra-groupes d’actifs incorporels. Ce prix devra d’abord être déterminé ex ante, c’est-à-dire en se basant sur les renseignements dont l’entité pouvait raisonnablement disposer au moment de la transaction intra-groupe. Le choix de la méthode d’évaluation du prix de pleine concurrence devra se faire sur la base d’une analyse fonctionnelle décrivant précisément l’activité globale du groupe, la manière dont l’actif incorporel interagit avec ses différentes fonctions et avec ses autres actifs, et les risques assumées par les différentes entités du groupe. Bien que le rapport affirme que chacune des cinq méthodes OCDE de détermination du prix de pleine concurrence puissent être utilisées, il déconseille l’utilisation des méthodes unilatérales ou qui sont basées sur le coût de développement de l’actif. Il préconise donc l’utilisation de la méthode du prix comparable sur le marché, bien qu’elle soit rarement applicable faute de comparables pertinents dans les opérations portant sur des actifs incorporels, ou la méthode transactionnelle du partage des bénéfices qui consiste à répartir les bénéfices engendrés par une opération entre les entités du groupe en se rapprochant de la répartition qui aurait été prévue dans un accord de pleine concurrence. L’OCDE préconise que cette répartition se fasse en considération, d’une part, des fonctions exercées par ces entités et, d’autre part, des éléments d’actifs qu’elles ont utilisés et des risques qu’elles ont assumés dans le développement, l’amélioration, la maintenance, la protection et l’exploitation des actifs incorporels. Il est également précisé que la propriété d’un actif incorporel ne doit donner en soi aucun droit à rémunération, même si des conventions entre entités du groupe le prévoient.
- La neutralisation des effets fiscaux des dispositifs hybrides[7] (action 2)
Les dispositifs hybrides sont définis par l’OCDE comme des « dispositifs qui exploitent les différences d’instruments, d’entités ou de transferts des régimes fiscaux entre deux ou plusieurs pays »[8]. Il peut s’agir d’une entité considérée comme transparente dans un État mais comme un contribuable dans un autre (entité hybride), ou qui est résidente fiscale de deux États (entité à double résidence), ou d’opérations qualifiées fiscalement de transferts de propriété dans un État mais pas dans l’autre (transferts hybrides), ou d’instruments dont le régime fiscal diffère selon les États (instruments hybrides). Par exemple, un instrument peut être qualifié de titre de dette dans un pays et de participation dans l’autre, permettant ainsi une déduction/exonération : déduction des intérêts versés par la filiale et exonération des dividendes reçus par la société mère en vertu du régime mère-filiale. Ces montages peuvent également aboutir à des doubles déductions, par exemple en cas de versement d’intérêts par une société considérée comme opaque dans son État de résidence, mais transparente dans celui de sa société mère, ou à l’octroi abusif de crédits d’impôt (souvent en cas de contrat de vente et de rachat d’action, considéré selon les États comme une vente et un rachat ou comme un prêt). Pour neutraliser les effets fiscaux des dispositifs hybrides, l’OCDE propose une série de mesures destinées à être retranscrites dans les ordres juridiques internes et dans les CFI.
Les droits internes devront prévoir :
- L’imposition des dividendes reçus par une société mère lorsque l’État de la filiale permet la déduction de cette dépense au niveau de la filiale (le plus souvent cette dépense aura été qualifiée de charge financière).
- Le plafonnement du montant des crédits d’impôt octroyés en cas de retenue à la source lors de transferts hybrides, qui ne pourra excéder le montant du bénéfice imposable.
- L’imposition des bénéfices des sociétés transparentes contrôlées par des sociétés étrangères lorsque l’État de résidence de la société mère qualifie la filiale de société opaque ou que les dividendes versés ne sont pas imposés.
Des règles générales sont également prévues : elles prévoient de refuser la déduction ou l’exonération des sommes versées par une entité lorsque le paiement était déductible dans l’autre État. Les droits internes prendront ainsi en compte les conséquences fiscales des opérations réalisées à l’étranger par leurs contribuables, ce qui améliorera la cohérence du système fiscal à l’échelle internationale. Remarquons également que la législation fiscale française contient déjà des dispositions similaires, par exemple les articles 238 A ou 212-I[9] du CGI tel que modifié par la loi de finance pour 2014.
Afin de ne pas générer de double imposition, les États ne devront appliquer ces règles que lorsque la double non-imposition n’aura pas été éliminée dans l’autre État : des règles précisant l’État devant appliquer en premier ses normes devront donc être établies. Des mesures dites défensives devront également refuser la déduction d’une dépense dans l’hypothèse où l’autre État n’aurait pas introduit dans son droit des normes permettant de neutraliser les conséquences fiscales des dispositifs hybrides.
L’OCDE propose également de modifier les CFI. Les situations dans laquelle une entité est considérée comme résidente des deux États contractants devront être résolues au cas par cas (et non plus selon le critère du lieu du siège de direction effective, comme le prévoit l’actuel article 4.3 du modèle OCDE de CFI). Il est également prévu d’introduire un nouvel article qui reprendrait les principes dégagés dans le Partnership Report de 1999[10]: il s’agira d’accorder à l’État de résidence le pouvoir de qualifier une entité comme étant transparente ou opaque, cette qualification s’imposant aux autres États. Actuellement, la jurisprudence française considère les sociétés de personne comme des entités opaques au regard des règles de territorialité de l’IR[11].
- La prévention des utilisations abusives des CFI[12] (action 6)
Afin d’éviter que le bénéfice d’une CFI ne soit accordé indument, l’OCDE propose d’amender son modèle de CFI. Pour cela, elle distingue deux types d’abus.
D’abord, des abus peuvent résulter du détournement des dispositions des traités. Le cas classique est celui d’un non-résident d’un État qui obtient indument la qualité de résident dans le but de bénéficier d’une CFI conclue par cet État (« treaty shopping »). Pour lutter contre cette pratique, l’OCDE propose que les CFI soient modifiées comme suit:
- Le préambule des CFI pourra indiquer que leur but est d’éliminer les doubles impositions et non pas de permettre, par le biais de techniques d’évasion fiscale ou d’évitement fiscal[13], des non-impositions ou des réductions d’imposition.
- Des règles semblables aux clauses de restriction des avantages (« limitation-on-beneficits provisions») figurant dans les CFI conclues par les États-Unis d’Amériquepourront être introduites afin de limiter la reconnaissance de la qualité de résident aux seules entités ayant une activité réelle sur le territoire de l’État contractant. Cette mesure devrait contrer les montages consistant à faire transiter des capitaux via des États-tunnels (par exemple les Pays-Bas) ne pratiquant aucune retenue à la source lorsque ces capitaux quittent ensuite leur territoire souvent à destination d’États à faible imposition.
- Une clause de limitation des bénéfices (« principal purpose test ») pourra également être introduite afin de refuser le bénéfice d’une CFI dès lors qu’il sera raisonnable de conclure que l’un des objectifs principaux du montage ou de la transaction est d’obtenir le bénéfice de cette CFI.
Ensuite, le rapport aborde les stratégies par lesquelles les dispositions des CFI sont utilisées abusivement afin d’échapper à certaines dispositions anti-abus internes (notamment en matière de sous-capitalisation, de double résidence, d’exit tax ou de prix de transfert). L’OCDE propose que les CFI contiennent une disposition autorisant expressément les États à appliquer certaines dispositions anti-abus internes même lorsque cette application serait contraire à une disposition conventionnelle.
- La lutte contre les pratiques fiscales dommageables[14] (action 5)
Par cette action 5, l’OCDE poursuit et entend rénover une action entamée de longue date[15] qui vise à réduire les distorsions trop importantes dans la taxation de certaines activités pouvant facilement être déplacées d’un pays à l’autre, notamment les activités financières et de services et celles liées aux actifs incorporels, l’objectif étant d’éviter une course mondiale au moins-disant fiscal. Pour cela, l’OCDE souhaite améliorer la transparence en mettant en place des échanges spontanés obligatoires d’informations sur les rulings relatifs à des régimes préférentiels, et aligner la taxation sur la substance par l’obligation de requérir une activité substantielle pour l’instauration future de tout régime préférentiel.
Un régime préférentiel se caractérise principalement par un taux d’imposition inférieur au taux d’imposition généralement pratiqué dans l’État. Il pourra être qualifié de dommageable lorsqu’il aura pour effet de déplacer une activité (au lieu de la générer), ou qu’il est la motivation principale de la localisation d’une activité dans ce pays, ou que le revenu ou l’investissement est disproportionné par rapport à l’activité. L’État hôte devra alors abroger ce régime, à défaut les autres États pourront adopter des mesures défensives.
Le rapport vise également à déterminer une stratégie pour étendre à des États non membres de l’OCDE la participation à cette action.
- La question de la faisabilité d’une CFI multilatérale[16] (action 15)
Afin que le consensus actuel ne s’effrite pas, les États associés au Projet BEPS[17] sont encouragés à élaborer rapidement un instrument multilatéral permettant de modifier les conventions bilatérales existantes. Cela permettrait d’éviter une fastidieuse modification de chaque CFI qui pourrait même compromettre le Projet BEPS si les États se lançaient dans la renégociation du contenu entier de chaque CFI. Cela permettrait également la mise en œuvre de ces recommandations dans le délai souhaité par l’OCDE, à savoir deux ans au plus pour la plupart d’entre elles.
Julien LAMOUCHI
Master 2 Opérations et Fiscalité Internationales des Sociétés (Promotion 2014-2015),
sous la direction de Monsieur le Professeur Michel MENJUCQ.
[1] OCDE (2013), Lutter contre l’évasion fiscale et le transfert de bénéfices, éditions OCDE. http://dx.doi.org/10.1787/9789264192904-fr
[2] OCDE (2013), Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.
http://dx.doi.org/10.1787/9789264203242-fr
[3] OCDE (2013), Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.
[4] OECD (2014), Addressing the Tax Challenges of the Digital Economy, OECD/G20 Base Erosion and Profit Shifting Project, OECD Publishing. http://dx.doi.org/10.1787/9789264218789-en
[5] OECD (2014), Guidance on Transfer Pricing Documentation and Country-by-Country Reporting,
OECD/G20 Base Erosion and Profit Shifting Project, OECD Publishing.
http://dx.doi.org/10.1787/9789264219236-en
[6] OCDE (2010), Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales.
[7] OECD (2014), Neutralising the Effects of Hybrid Mismatch Arrangements, OECD/G20 Base Erosion and Profit Shifting Project, OECD Publishing. http://dx.doi.org/10.1787/9789264218819-en
[8] OCDE (2012), Dispositifs hybrides – Questions de politique et de discipline fiscale.
[9] Ne sont plus déductibles les intérêts versés par des entreprises domiciliées en France à des entreprises liées lorsqu’ils ne sont pas l’objet d’une imposition d’au moins un quart de l’imposition sur les bénéfices calculée dans les conditions de droit commun (soit 8,33%).
[10] OCDE (1999), L’application du Modèle de conventions fiscales aux sociétés de personnes.
[11] CE Plen. 11 juillet 2011, Société Quality Invest, n°317224.
[12] OECD (2014), Preventing the Granting of Treaty Benefits in Inappropriate Circumstances, OECD/G20 Base Erosion and Profit Shifting Project, OECD Publishing. http://dx.doi.org/10.1787/9789264219120-en
[13] L’évitement fiscal consiste en l’utilisation légale mais abusive d’une disposition dans le but de réduire ou d’éviter une imposition, alors que l’évasion fiscale suppose une violation de la loi.
[14] OECD (2014), Countering Harmful Tax Practices More Effectively, Taking into Account Transparency and Substance, OECD/G20 Base Erosion and Profit Shifting Project, OECD Publishing. http://dx.doi.org/10.1787/9789264218970-en
[15] OECD (1998), Harmful Tax Competition: An Emerging Global Issue, OECD Publishing. http://dx.doi.org/10.1787/9789264162945-en
[16] OECD (2014), Developing a Multilateral Instrument to Modify Bilateral Tax Treaties, OECD/G20
Base Erosion and Profit Shifting Project, OECD Publishing. http://dx.doi.org/10.1787/9789264219250-en
[17] Il s’agit des membres de l’OCDE, des pays du G20, ainsi que de la Colombie et de la Lettonie.