Un simple fait divers de saison aurait pu passer inaperçu s’il ne s’était agi d’un magistrat ayant dépassé les limites jusqu’à l’outrage, à l’encontre d’une patrouille de police.[1]
S’il ne faut pas prendre les vessies pour des lanternes, il ne faut pas non plus prendre les policiers pour des taxis !
Et oui, un magistrat du Nord, profitant de vacances judiciaires bien méritées, dépassant sans inquiétude la Vallée de la Loire, n’a pu découvrir pleinement la joie du sud que dans un dépôt froid et humide d’un commissariat Montpelliérain.
Sans vergogne aucune, le bon père de famil... l’homme raisonnable,[2] siffla une patrouille afin qu’elle veuille bien le ramener jusqu’à son hôtel ou son camping, l’histoire ne le dit pas. Toutefois, le Law cost a ses limites…
Pensant sans doute à raison que le service public pouvait atteindre les plages de la côte méditerranéenne, il fut pris par son élan grisé, insultant brigadiers et brigadiers chefs, lesquels ne plaisantent pas avec les ch’tites injures.
Fort de ses cris, arrivé à l’hôtel des mis en causes, il ne put s’empêcher de mordiller ses G.O. (gentils outragés).
Si les excuses des lendemains difficiles ne sauraient sans doute suffire à effacer cet événement, pour autant, le radeau ivre du désespoir commun, doit-il être coulé par les balances d’une justice parfois trop encline à porter l’outrage au-delà de flots raisonnables ?
Il convient de s’interroger sur la qualification pénale d’un tel délit (1), cette analyse serait néanmoins incomplète si l’on éludait la polémique entourant les condamnations (2).
1. Le tangage d’une qualification juridique
L’espèce est quelque peu trompeuse dans la mesure où le délit d’outrage n’est pas le seul à pouvoir être retenu : rébellion[3] (sœur-jumelle) et violences volontaires[4] (cousine germaine) se sont, elles aussi, invitées à la fête.
Pour autant, à ne s’en tenir qu’au seul délit d’outrage, rappelons qu’il est prévu à l’article 433-5 du Code pénal, lequel énonce :
« Constituent un outrage puni de 7 500 euros d’amende les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l’envoi d’objets quelconques adressés à une personne chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie.
Lorsqu’il est adressé à une personne dépositaire de l’autorité publique, l’outrage est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. »
Il en ressort qu’il s’agit d’un délit, lequel, pour être constitué, nécessite naturellement la démonstration d’un élément matériel et d’un élément moral.
L’élément matériel sera apprécié souverainement par les juges du fond, et de cette appréciation souveraine naît une casuistique difficilement compréhensible concernant cette infraction. Il n’est, en effet, pas aisé d’en définir avec grande certitude ses contours, laquelle a tendance à être dominée par une trop grande insécurité juridique, voire une « inéquité » judiciaire.
Cela donne l’occasion de sourire, lorsque la Cour d’appel de Paris, le 3 avril 2001, condamne pour outrage à personne dépositaire de l’autorité publique un prévenu qui, lors d’une interpellation pour infraction à la circulation routière, a utilisé l’expression « mon pote » envers un policier, et fait une réflexion sur le fait que les policiers feraient mieux de courir après les voleurs…
Cela est moins évident lorsqu’un père de famille qui pense avoir perdu à tort l’autorité parentale, qui n’a pas vu son fils depuis six ans et a déjà introduit quatre requêtes aux fins de voir rétablir ses droits parentaux, demande à être jugé devant un autre Juge aux affaires familiales plus compétent. Il est aujourd’hui poursuivi pour outrage à magistrat (l’affaire est en cours).
Dès lors, l’élément matériel sera caractérisé et il importe peu la nature et le nombre de familiarité, les circonstances ne semblant pas non plus influer sur les décisions de condamnation
Il convient de préciser que l’intention doit elle aussi, être caractérisée pour la parfaite qualification juridique. L’outrage est en effet une infraction intentionnelle.
L’auteur des faits doit avoir nécessairement eu conscience du caractère outrageant de ses paroles, de ses gestes ou plus généralement de l’objet par lequel l’outrage a pu s’exprimer. Le juge déduira le plus souvent l’élément intentionnel de la caractérisation de l’élément matériel.
Enfin, l’auteur des faits pour être condamné, devra avoir connaissance de la qualité de la personne outragée.
En outre, il ne sera pas rare de cumuler rébellion, outrage et violence.
Pour autant, l’infraction d’outrage est actuellement la cible de critiques, lesquelles doivent permettre une réflexion de fond sur la nécessité de la conserver dans l’arsenal juridique.
2. Une infraction décriée
Il est particulièrement difficile de s’opposer au délit d’outrage à l’heure où la médiatisation d’une société irrespectueuse de l’Etat et de ses représentants choque toujours davantage l’opinion.
Toutefois, un collectif pour une dépénalisation du délit d’outrage (CODEDO) pointe du doigt les tourments de ces actions de plus en plus fréquentes.[5]
L’Inspection générale de l’administration a publié, en 2012, un rapport dénonçant les petits bénéfices engrangés par certains policiers grâce à leurs plaintes pour outrage et le coût exorbitant de la prise en charge systématique par la République des frais d’avocat des policiers.[6]
S’il n’est pas possible de quantifier véritablement un tel phénomène, voilà qui peut générer des tensions supplémentaires dans l’opinion publique et une défiance grandissante à l’égard de ce délit.
Le Bulletin annuel de la criminalité et délinquance enregistrées[7] montre qu’entre 2008 et 2013, les faits constatés d’infraction d’outrage, par la Police nationale, sont sensiblement en baisse. Ils restent néanmoins très élevés atteignant plus de 20 000 cas par an en France. A titre de comparaison, il a été constaté, encore par la Police nationale, 4 600 cas de violations de domicile.
Est-ce à cause de la facilité avec laquelle les magistrats condamnent les prévenus d’outrage, ou est-ce la faute à une société de plus en plus méprisante à l’égard des représentations ou des représentants de l’Etat ?
En outre, chaque échelon social peut être touché par les poursuites de ce délit.
Henri Guaino, par exemple, est poursuivi pour outrage à magistrat par le juge Jean-Michel Gentil, à la suite de ses propos tenus dans le cadre de l’affaire Bettencourt. Il avait déclaré que le juge « déshonorait la justice ». Pour cette bévue, il sera défendu par Me Eric Dupond-Moretti. Audience le 22 octobre 2014…[8]
L’argument qui doit être mis en exergue et relevé par le CODEDO est l’idée de la constitution d’une rupture d’égalité entre citoyens. Il y a une incroyable disproportion entre la répression de l’outrage (7.500 euros d’amende et 6 mois de prison) et la répression de l’injure à n’importe quel citoyen (contravention de 1ère classe de 38 euros).[9]
Gageons finalement qu’il est tout de même difficile de trouver un équilibre entre la nécessité du respect dû aux représentations étatiques et les dérives qu’accompagnent manifestement les actions punissant le délit d’outrage.
De nombreux pays étrangers (Etats-Unis,[10] Italie, Grande-Bretagne) ont abandonné ce délit.
Toutefois, dans cette période de grande tempête, sommes nous réellement prêts à laisser dire, à observer l’inflexion du respect devant la promotion de la libre parole.
Monsieur le Vice-Président connaîtra peut être la clémence de ses paires et il n’est pas certain qu’il soit l’un des derniers à faire perdurer cette exception française.
Quoiqu’il en soit, les faits rapportés sont susceptibles d’être constitutifs du délit d’outrage. Si les juges décident d’entrer en voie de condamnation, hormis une amende et, potentiellement, de la prison avec sursis, cette bavure outrancière pourrait avoir comme conséquence une sanction disciplinaire.
Jules Renard avait raison : « Quand on lit le récit d’une vie « exemplaire » comme celle de Balzac, on arrive toujours au récit de la mort. A quoi bon ? »
Alain Belot
[1] V. par ex. AFP, « Montpellier : un magistrat ivre poursuivi pour outrage aux forces de l’ordre », La Parisien en ligne, 18 août 2014 : http://www.leparisien.fr/montpellier-34000/montpellier-un-magistrat-ivre-poursuivi-pour-outrage-aux-forces-de-l-ordre-18-08-2014-4071111.php
[2] V. HUET J., « Adieu bon père de famille », D. 2014. 505.
[3] C. pén., art. 433-6 s.
[4] C. pén., art. 222-13 s.
[5] CODECO, « 10 raisons de dépénaliser le délit d’outrage », 18 septembre 2008 : http://codedo.blogspot.fr/2008/09/8-raisons-de-depenaliser-le-delit.html
[6] Inspection générale de l’administration, Rapport sur l’évolution et la maitrise des dépenses de contentieux a la charge du ministère de l’Intérieur, n° 13-058/13-041/01
[7] Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, Bulletin annuel de la criminalité et délinquance enregistrées en 2013, janvier 2014 : http://www.inhesj.fr/sites/default/files/bulletin_annuel_2013.pdf
[8] CODECO, « Outrage à magistrat : le procès de Henri Guaino aura lieu le 22 octobre 2014 », 5 juillet 2014 : http://codedo.blogspot.fr/2014/07/outrage-magistrat-le-proces-de-henri.html
[9] C. pén., art. R. 621-2.
[10] Par exemple, aux Etats-Unis, le droit de profaner le drapeau est un droit fondamental (Texas v. Johnson, 21 juin 1989 ; 11 juin 1990).