Arbitrage international et droit communautaire : les injonctions anti-suit incompatibles avec la liberté de circulation des décisions de justice au sein de l’Union.
« Le fait, pour une juridiction d’un Etat membre, d’adopter une décision interdisant à une personne d’engager ou de poursuivre une procédure dans un autre Etat membre au motif qu’une telle procédure viole une convention d’arbitrage est-il compatible avec le règlement n° 44/2001 ? ». Voici en substance la question qu’a tranché la Cour de Justice des Communautés Européenne dans une décision Allianz c/ West Tankers (CJCE, gr. ch., 10 février 2009, aff. C- 185/07), relative à la portée d’une clause compromissoire face aux principes généraux du droit communautaire.
Le litige naît suite à l’entrée en collision, durant l’été 2000, dans le port de Syracuse en Italie, d’un navire appartenant à West Tankers avec l’embarcadère de la société Erg Petroli SpA. Les parties au contrat d’affrètement avaient entendu soumettre un éventuel conflit au droit anglais par une clause compromissoire prévoyant un arbitrage à Londres.
Erg s’est d’une part adressé à ses assureurs, Allianz et Generali afin d’obtenir l’indemnisation prévue au titre des couvertures d’assurances et d’autre part, a engagé une procédure d’arbitrage contre West Tankers, à Londres. Cette dernière a contesté sa responsabilité pour les dommages causés par la collision.
D’un autre coté, les assureurs subrogés dans les droits d’Erg, ont engagés une action en dommages et intérêts devant les tribunaux italiens, lieu du dommage, a l’encontre de West Tankers, qui a immédiatement excipé de l’incompétence des juridictions italiennes en invoquant la clause compromissoire. La High Court de Londres a fait droit à la demande de West Tankers en prononçant une anti-suit injonction, permettant d’interdire aux assureurs la poursuite de la procédure en Italie. Cette injonction des juges de Londres tendait à protéger le droit du demandeur à ce qu’aucune action ne soit engagée contre lui en dehors de la procédure d’arbitrage prévue par la clause compromissoire. Sur l’appel de cette décision de la High Court, la House of Lords a posé une question préjudicielle à la CJCE tendant à savoir si cette injonction était compatible avec le droit communautaire, et notamment le Règlement CE n° 44/2001.
Estimant que l’injonction porte atteinte à l’effet utile des dispositions du droit communautaire, la CJCE juge que l’injonction « entrave la juridiction d’un autre Etat membre dans l’exercice des pouvoirs » que le droit communautaire lui confère, et ne respecte pas le principe général selon lequel « chaque juridiction saisie détermine elle-même si elle est compétente pour trancher le litige qui lui est soumis ». La Cour estime que la décision des juges de Londres est contraire au principe de confiance mutuelle qui doit prévaloir entre les Etats membres. A contrario, il semble donc que les injonctions anti-suit demeurent valables pour s’opposer à une procédure engagée devant une juridiction hors Union Européenne, aucun principe de confiance légitime n’étant applicable dans ce cadre.
Plus largement, la portée de l’arrêt Allianz c/ West Tankers enseigne que la force obligatoire, et donc l’efficacité, des conventions d’arbitrage doit céder devant la compétence des juridictions d’un autre Etat membre conférée par le Règlement communautaire. Cet « arbitrage », en faveur de l’extension de l’empire du droit communautaire dérivé, pourrait dans certains cas, favoriser des procédures abusives ou dilatoires et remettre en cause l’opportunité de prévoir une clause attributive de juridiction.
Astrid Petiot