Les droits fondamentaux à l’épreuve des prisons françaises  

La crise sanitaire a fait chuter historiquement le taux d’occupation des prisons françaises. Pour la première fois, depuis près de vingt ans, il y a en France moins de détenus que de places en prisons. Les acteurs du monde judiciaire et pénitentiaire y voient une occasion inespérée de rétablir des conditions de détention dignes au sein de ces établissements.

La France a subi plusieurs décennies d’une surpopulation carcérale chronique. Le 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné l’Etat français pour le non-respect des droits fondamentaux au sein de ces prisons. Il appartient désormais à la France d’agir pour ne pas renouer avec l’inflation carcérale passée, synonyme de mépris des droits fondamentaux des détenus.

Une baisse inédite de la surpopulation carcérale

Au 16 mars 2020, jour précédent l’annonce du confinement, 72 500 personnes étaient incarcérées dans les 188 établissements français pour seulement 61 065 places opérationnelles. La France, avec un taux moyen de 116 détenus pour 100 places, était l’un des pires élèves à l’échelle européenne, devancé par la Roumanie (120) et la Macédoine (122) [2]. Sous la menace de la propagation du virus entre les murs des établissements vétustes et surpeuplés, Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a rapidement affiché sa volonté d’agir face à l’engorgement des prisons.

Au 6 juin 2020, la Chancellerie a annoncé une baisse historique de 13 500 détenus pour un total de 59 782 détenus et un taux d’enfermement de 97 %, des chiffres jamais vus depuis 2002. Cette chute spectaculaire s’explique par la diminution de l’activité judiciaire et de la délinquance pendant le confinement mais surtout par la multiplication des libérations anticipées pour les détenus en fin de peine, permettant ainsi d’accomplir ce qu’aucune politique pénale des quinze dernières années n’a réussi : désengorger les prisons françaises surpeuplées.

La contrôleure générale des lieux de privations de liberté, Adeline Hazan, y voit une occasion « inespérée » d’instaurer un « système de régulation carcérale » visant à ne plus dépasser le taux moyen d’enfermement de 100 % et ainsi en finir avec les violations des droits fondamentaux.

La condamnation récente de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme

La surpopulation chronique, produit du déséquilibre entre le nombre de détenus et le nombre de places disponibles constitue la cause principale des violations des droits de l’Homme au sein des prisons françaises. Cette surpopulation a pour conséquence l’aggravation des conditions matérielles de détention des détenus. Agressions, insalubrité, vétusté, délabrement : ces termes s’appliquent au quotidien des prisons et constituent autant de violations aux libertés et droits fondamentaux prévus par les textes internationaux, tel que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

A titre d’exemple, avant le confinement, plus de 1 600 détenus étaient contraints de dormir à même le sol et de partager des cellules de 9m2 et ce alors même qu’une loi pose le principe de l’encellulement individuel depuis 1875. Cependant, cette loi, faute de pouvoir être appliquée, n’est jamais entrée en vigueur. Le 30 janvier 2020, la Cour européenne condamnait la France en raison de ces conditions de détentions. Elle faisait le constat d’une double violation de la CEDH de la part de l’Etat français [3]. La Cour concluait à la violation de l’article 3 de la CEDH interdisant les traitements inhumains et dégradants, estimant que les requérants ne bénéficiaient pas de « conditions de détentions décentes », notamment « en raison du manque d’espace personnel dont ils disposent » et de « l’insalubrité omniprésente ». Elle concluait également à la violation de l’article 13 de la Convention consacrant le droit à un recours effectif, sanctionnant ainsi l’absence, en droit interne, de voies de recours préventives efficaces « permettant de faire cesser de manière effective, des traitements contraires à l’article 3 de la Convention ». La Cour de Strasbourg pointait que « les taux d’occupation des prisons concernées révèlent l’existence d’un problème structurel », évoquant ce point comme la raison principale des mauvaises conditions de détentions en France et recommandait : « l’adoption de mesures générales visant la résorption définitive de la surpopulation carcérale ». Cet arrêt était destiné à jouer le rôle catalyseur d’une réaction rapide de l’Etat français pour assurer le respect des droits fondamentaux des détenus.

L’importance d’empêcher tout retour à la situation antérieure

Quatre mois après sa condamnation par la Cour européenne, en raison de la crise sanitaire, les prisons françaises n’ont jamais été aussi peu peuplées. Cependant, la menace d’un retour au spectre de la situation antérieure plane avec le déconfinement. « L’activité pénale va reprendre car il faudra faire face à une délinquance de voie publique qui n’existait plus, et avec elle une probable remontée des incarcérations », a prévenu la ministre de la Justice devant l’Assemblée nationale.

Cependant, les milieux judiciaire et pénitentiaire sont unanimes : il ne faut pas retomber dans les méandres qui plombaient les prisons françaises jusqu’à mi-mars et qui ont valu à la France d’être condamnée par la Cour européenne. Ainsi, de nombreuses voix ont exhorté la Garde des Sceaux à mettre en place une réelle politique de régulation carcérale afin que le rebond des incarcérations soit le plus limité possible, et avec comme leitmotiv que si rien n’est fait, on risque de remonter très vite à un taux d’occupation inacceptable.

Une réforme des peines, portée par la Garde des Sceaux, est d’ores et déjà entrée en vigueur le 24 mars dernier. Elle doit servir d’outil de régulation carcérale à plus long terme. Cette réforme limite les emprisonnements de courte durée et favorise les aménagements de peines, tel que le recours aux travaux d’intérêt général et au bracelet électronique.

Il est certain que le respect du nombre de places opérationnelles en prison va de pair avec l’application en son sein des Droits de l’Homme. Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois, rappelle sur ce point qu’un « établissement pénitentiaire qui respecte sa capacité d’accueil permet un travail utile sur les détenus : sur leur réinsertion, leurs addictions, leur formation et facilite l’individualisation de la peine et la prise en charge des personnes détenues ».[4]

Il appartient dès lors à l’Etat français de saisir cette opportunité pour poursuivre la mise en place d’une politique de déflation carcérale effective à même de garantir des conditions de détention dignes au sein de ces prisons. Elle se conformerait ainsi aux attentes de la Cour européenne et permettrait d’en finir avec les violations des droits fondamentaux qui gangrènent les prisons françaises.

Quentin Coffin, avocat au barreau de Caen

[1] Site Ministère de la Justice – Prison et réinsertion > Les chiffres clefs > Statistiques trimestrielles – Milieu fermé – 2020
[2] Statistiques Pénales Annuelles du Conseil de l’Europe – Rapport 2019

[3] CEDH, 30 janv. 2020, n° 9671/15, J.M.B et autres c. France

[4] France Inter – Prisons : Le confinement a fait baisser la surpopulation carcérale – Charlotte Piret – 5 juin 2020

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