L’ordonnance du 25 mars 2020 (n°2020-321) dresse le tableau d’un droit des sociétés 2.0, par une digitalisation massive des modes de décision. Ce tournant numérique n’est toutefois pas sans conséquence sur l’exercice des droits des associés.
La limitation des assemblées générales en présentiel due à la crise sanitaire contraint la législation à adapter les règles de droit commun sur le fonctionnement des sociétés. La délibération, l’échange entre actionnaires et associés, le débat préalable à la prise de décisions semblent, aujourd’hui, être relégués au profit de visio-conférences préenregistrées ou encore de consultations écrites. La société comme « contrat organisation » (Paul Didier) semble perdre de sa vigueur, au détriment de l’exercice des droits des associés.
L’atténuation des droits des associés
Parmi ces droits, le droit de participer aux décisions collectives apparaît comme l’un des plus importants. L’article 1844 al 1er du Code civil dispose que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives », le dernier alinéa ajoute que les statuts ne peuvent déroger à ce droit. Or, les contraintes techniques du numérique font obstacle au bon exercice de ce droit.
Plus encore, ce sont le droit à l’information et à la convocation individuelle aux assemblées qui se trouvent mis sous silence par ce droit des sociétés exclusivement numérique. La collégialité de la prise de décision en est plus qu’affaiblie, si ce n’est inexistante. L’associé ne peut prendre la parole à distance, répondre à une objection ou tout simplement partager un point de vue en temps réel. Par ailleurs, un problème technique peut tout aussi bien empêcher la prise de décision, puisqu’il remettrait en cause la validité juridique de l’assemblée et, in fine, des décisions prises.
L’avènement des consultations écrites
Sans clause préalable dans les statuts, les associés peuvent désormais décider de prendre des décisions par consultation écrite et ce, même concernant le rapport de gestion et l’approbation des comptes annuels. Au delà des droits dont disposent les associés, ce sont le caractère contractuel et la place de ces derniers qui sont questionnés par l’ordonnance du 25 mars 2020.
Une digitalisation déjà présente dans le droit commun ante covid 19
Considérer ces ordonnances comme un bouleversement radical des pratiques existantes serait toutefois exagéré. En effet, cette digitalisation du droit des sociétés n’est pas nouvelle, l’article L225-107 du code du commerce permettait déjà une participation virtuelle si les statuts le prévoyaient. Sans oublier que la pratique de la représentation (article L225-106 du code du commerce) et le système de vote par correspondance (article L225-107 du code du commerce) étaient déjà très utilisés avant le régime dérogatoire introduit en mars dernier.
L’extension du numérique dans le droit des sociétés devra être analysée après la crise sanitaire. Il s’agira de voir si ces nouveaux modes de décision perdureront dans la pratique et analyser la future position du législateur sur ce point. Loin d’exclure tout mode de décision numérique, l’enjeu reposera sur l’ajustement entre l’usage de ces outils et la possibilité d’une délibération, d’un débat entre les associés avant la prise de décision.
Marine Hourdel, en L3 double licence droit-science politique à Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Hervé Le Nabasque, le droit des sociétés face au covid-19 (Bulletin Joly Sociétés, 01/04/2020)
Bruno Dondero, hypercours facebook live, professeur Bruno Dondero du 20 avril 2020
Arnaud Reygrobellet, professeur à l’université Paris Nanterre, avocat associé CMS-Francis Lefebvre avocats, le droit des sociétés derrière les masques (Bulletin Joly sociétés, 01/05/2020)