Dans le but, selon Hervé Novelli, secrétaire d’Etat aux PME, « de faire de la France un véritable pays d’entrepreneurs », la loi du 15 juin 2010 a créé l’EIRL ou Entreprise individuelle à responsabilité limitée. L’objectif est de répondre à l’inquiétude de la plupart des 1,5 millions d’entrepreneurs en leur nom propre quant à la protection de leurs biens personnels en cas de faillite de leur entreprise.
A partir du 1er janvier 2011, date d’entrée en vigueur de ce nouveau statut, le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel pourra être constitué de manière distincte de son patrimoine personnel sans création d’une personnalité morale. L’entrepreneur individuel aura la possibilité de placer ses biens personnels à l’abri de ses créanciers professionnels. L’EIRL repose donc sur un dispositif juridique de patrimoine affecté : l’entrepreneur doit établir la liste des biens qu’il affecte à son activité professionnelle, permettant ainsi de séparer son patrimoine personnel de son patrimoine professionnel sans pour autant avoir à créer une société par une déclaration d’affection au registre du commerce et des sociétés ou au registre des métiers.
Un des problèmes potentiels de ce nouveau régime est que si cette déclaration d’affectation est naturellement opposable aux créances nées après la constitution de la société, il n’en est pas nécessairement de même pour les créances nées antérieurement à la constitution de celle-ci. Dans cette situation, le débiteur ne pourra opposer le patrimoine d’affectation que s’il l’a notifié au créancier.
Autre élément important : un entrepreneur exerçant plusieurs activités pourra constituer un patrimoine distinct pour chacune d’elles et ainsi protéger non seulement son patrimoine personnel, mais aussi chaque activité, contre les créances générées par les autres. Néanmoins l’application de cette mesure a été repoussée à 2013, car son applicabilité n’est à ce jour pas démontrée. Cela met en évidence l’un des problèmes de cette réforme qui, en théorie s’avère être une très grande simplification de l’entreprenariat individuel mais qui, en pratique, ne lève pas tous les obstacles inhérents à ce régime.
Ce nouveau statut d’entrepreneur individuel offre aussi de nouvelles options en matière fiscale. En effet l’EIRL reprend le régime fiscal de l’EURL mais sans la création obligatoire d’une personnalité morale. Dès lors l’entrepreneur individuel peut opter pour le régime de l’impôt sur les sociétés sans avoir à recourir à la forme sociétale. L’objectif de cette mesure était de permettre une uniformisation du régime fiscal applicable quelle que soit la forme de société choisie.
Si ce régime semble être un véritable progrès pour l’entrepreneur individuel, certains ont émis l’inquiétude selon laquelle les banques chercheraient à imposer systématiquement une caution personnelle aux entrepreneurs individuels afin de garantir les créances. Pour offrir une alternative aux banques, Oséo, qui est depuis sa création en 2005 un établissement public chargé de soutenir l’innovation et la croissance des PME en France, pourra garantir à hauteur de 70% les crédits des entrepreneurs individuels.
Au vu de ces développements il est difficile de juger cette loi du 15 juin 2010 car sur bien des aspects les parlementaires l’ont votée à l’aveugle : le texte n’est pas abouti et le gouvernement doit encore fixer de nombreuses modalités par voie d’ordonnance. Pour l’heure, une grande partie de la doctrine reproche que le principe d’unicité du patrimoine ait été écarté sans que les conséquences en droit patrimonial, droit du crédit et des suretés et en droit des entreprises en difficultés soient nettement établies. De surcroît, beaucoup pensent que la personnalité morale représente un gage d’étanchéité et que s’en passer n’est pas une solution pour protéger le patrimoine personnel. Bien que des précisions soient à attendre, il n’est pas certain que le gouvernement parvienne à donner la cohérence nécessaire au succès de l’EIRL.
Tristan Lemonnier
Pour en savoir plus Loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 sur www.legifrance.gouv.fr
F.-X. Lucas, EIRL, de la fausse bonne idée, à la vraie calamité : Bull. Joly Sociétés avr. 2010, p. 311 |